Vincennes, les mains en l’air contre le mur...
Ils sont une petite quinzaine, les mains en l’air, face contre un mur arrondi qui fait l’angle entre une rue et un jardin le long du RER. Ils ont une quinzaine d’années, plus ou moins. Ils sont une bonne dizaine, presque un policier par jeune, directement derrière eux et à côté, devant le lycée professionnel. Il est quatre heures moins dix, vendredi 9 décembre, deux personnes m’ont demandé l’heure, à chaque bout de la rue, cela m’a étonné.
Une opération de contrôle un peu musclée. Les jeunes devant le lycée professionnel s’échauffent. « Il l’a giflé, il l’a giflé, pourquoi il l’a giflé ? », demande l’un des jeunes devant le lycée à un des policiers qui surveillent le groupe qui s’énerve devant l’entrée du lycée. Je m’approche des autres, ceux qui sont contre le mur. Un jeune derrière moi lâche une bordée d’injures pour qualifier les policiers. Ils en ont particulièrement après un jeune noir, et son sac. « C’est ton sac ? » Oui, mais après une fouille ce n’est pas le sien. « Tu viens d’où ? » : il dit sortir du lycée. Les policiers finissent par l’emmener, attaché par des menottes au bras d’un policier. « Et mon sac ? » : il en désigne un que les policiers vont chercher, et la première voiture s’en va. Les policiers tutoient ces jeunes. Je me souviens que Sarkozy l’a interdit, mais je me dis que si je leur parlais, je les tutoierais sans doute aussi.
Pendant ce temps, de petits groupes se forment, sur le parking RATP qui domine la scène, à distance respectable. Les liaisons radios s’excitent. « Ça chauffe ! », d’autres voitures arrivent, se garent au milieu de la rue, puis de mauvaise grâce sur le trottoir pour laisser passer les autres voitures, qui ne sont pas de police, mais de simple citoyens. La rue n’est pas fermée. Un groupe de tout petits traverse la zone du contrôle de police, conduits vers leur école par leurs maîtresses, peut-être de retour de la piscine, en plein milieu de ce qui doit être bien dangereux, puisqu’il y a maintenant une impressionnante concentration de policiers. Cela fait déjà plus d’une demi-heure que je regarde, les jeunes sont lentement libérés les uns après les autres. De dos, ils se ressemblent tous, à part la taille. Du plus grand au plus petit, capuches, pantalons de survêt., démarche pendulaire des cités de banlieues, blancs, noirs, bruns, toutes races mêlées dans le contrôle. Ils quittent le mur en jurant, « Fils de putes », ou autres. Ils essaient de garder de l’assurance pour ne pas avoir l’air ridicule, une humiliation ordinaire. Les policiers sont de plus en plus nombreux. Un gradé en civil, veste sombre et cheveux blancs, d’autres en civil, jeans et blousons, les autres en bleu, tenue d’intervention, tout en muscles, excités, ils partent par petits groupes de trois, « T’as ton flash ball ? », ils l’ont tous, matraques aussi.
Depuis un moment, je parle avec un passant, qui comme moi s’est arrêté. Fils d’immigré portugais fuyant Salazar, ça ne lui plaît pas. En même temps, il me dit que cela arrive souvent, devant ce lycée professionnel de Vincennes, alors... C’est comme son gamin, finalement, il l’a mis dans une école privée "trop catholique", même si ça le gêne un peu, souvenir de son père. Nous finissons par quitter les lieux, sans connaître la cause de l’incident, ni sa conclusion. Pourquoi une telle agressivité, et pourquoi un telle mobilisation des forces de l’ordre ? Je n’ai pas demandé, je n’ai pas non plus osé les prendre en photo. La prochaine fois, j’essaierai un peu plus d’audace, mais je ne pense pas qu’on m’aurait répondu.
Cette semaine, je voulais écrire une note à propos du rapport des Renseignements généraux, présenté par Le Parisien. Pas de caïds, pas d’économie parallèle, pas de barbus, pas d’islamistes, pas de révolte organisée, juste des jeunes révoltés par un « incident » qui met le feu au poudre. Une propagation, parce qu’elle se passe dans des milieux qui ressentent la même frustration, la même exclusion et la même ségrégation. Quelle frustration, quelle exclusion, quelle ségrégation ? Rester une demi-heure les mains en l’air contre un mur, en période de paix civile, parce qu’on a un « look banlieue ». De quoi faire naître cette fameuse « haine », ou la renforcer si elle est déjà là, chez des jeunes qui ne sont peut-être pas complètement innocents, mais qui n’ont certainement pas encore le bagage intellectuel ou culturel qui leur permettrait d’analyser, de comprendre, si ce n’est une analyse primaire les confortant dans ce sentiment d’exclusion qui fait naître chez eux un rejet de la société. À se demander si ce n’est pas ce qu’on cherche ?
Je ne veux pas être taxé d’angélisme. Il y a des trafics, de drogue ou autres, il y a une influence grandissante des islamistes, il y a une immigration qui ne veut, ne peut pas s’assimiler. Excision, polygamie, mariages forcés, il ne faut pas fermer les yeux. Et en ces jours de centenaire de la loi de 1905, il faut encore une fois défendre nos valeurs, républicaines et laïques. Ne pas en avoir honte, ne pas avoir peur de les revendiquer. Mais ne pas laisser un ministre de l’intérieur faire un tel amalgame, accuser à tort, quitte à mentir pour trouver des boucs émissaires que la société semble trop contente de laisser poursuivre. Après tout, les trafiquants et les islamistes, meneurs de racailles, c’est plus confortable que les jeunes banlieusards exclus par nous, la société française, (p/h)eureuse et tranquille, mais tout de même un peu égoïste.
Rappelons tout de même que le 10 décembre, on célébrait la déclaration universelle des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » !
Autre note complémentaire sur le malaise des banlieues.
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