1912-1915, le passage en force d’Einstein pour asseoir la relativité générale
La théorie d’Einstein est assez étrange. Mais une chose est certaine. Si l’espace-temps gravitationnel possède un contenu physique, ce contenu appartient à la physique des dispositions d’après la relativité générale. L’espace-temps est (serait) une structure dynamique qui bouge, qui se dispose en fonction des masses et influence la disposition des masses dans le cosmos. L’espace gravite autour des masses et les masses gravitent autour de l’espace. La relativité d’Einstein formalise avec une grande élégance mathématique cette conception des choses, sauf que les choses ne sont peut-être pas comme les a pensées Einstein et la plupart des cosmologistes depuis un siècle.
La relativité générale laisse en effet en suspens des interrogations ontologiques sur la nature de l’espace-temps. Cette conjecture irrésolue ne peut être dissociée des doutes exprimés par Einstein entre 1912 et 1915. Trois années marquées par un obstacle d’ordre physique et théorique connu comme le « hole argument ». Pour une présentation claire et synthétique, notice wikipédia dédiée au « hole argument » et pour une discussion très technique et poussée (J. Stachel, Livings Reviews in Relativity, 17, 2014). Einstein a buté sur un paradoxe consécutif à l’introduction de la métrique g(r) et des équations invariantes déterminant le champ. Imaginons une expérience de pensée dans laquelle on transforme les coordonnées r en r’. Avec r identique à r’ dans une région de l’espace mais pas à l’intérieur du soleil. Il en résulte que la forme de la métrique g’ en dehors du soleil est changée. Ce qui a comme conséquence l’existence de deux solutions physiques pour le champ de gravitation produit par une seule source, le soleil. Ce qui est inacceptable. Pour sortir du paradoxe, il faut supposer que deux champs qui se déduisent par une transformation de type « hole » ne sont qu’un seul et même champ. De la même manière que deux potentiels vecteurs liés par une transformation de jauge produisent un même champ électromagnétique et donc une seule réalité physique.
L’argument « hole », enterré pendant un demi-siècle, est revenu sur la scène scientifique à partir des années 1970. Les spécialistes de cosmologie se sont en effet demandés pourquoi Einstein avait tergiversé pendant trois ans avec ce paradoxe qui fut résolu mais avec un coût. L’argument « hole » conduit à un postulat fondamental en théorie du champ. Les solutions d’une équation covariante appartiennent à une même classe d’équivalence (elles se déduisent par une transformation mathématique, le difféomorphisme) ; on considère alors qu’elles ne correspondent qu’à une seule et même réalité physique et c’est ce tour de passe-passe qui a été employé par Einstein avec l’usage de considérations très subtiles sur la réalité des points matériels qui n’existe que sous forme d’un tissage (argument des points coïncidences, (Stachel))
L’argument « hole » s’exprime dans le langage des espaces fibrés et des faisceaux (Stachel). Un difféomorphisme se conçoit alors sur le principe des transformations de jauge. Ainsi, la relativité générale peut être traitée comme les théories de jauge construites par Yang et Mills. Ces théories sont fondamentales dans le modèle standard de particules matérielles et utilisent aussi les faisceaux et les fibres. Mais l’essence de la gravitation nous échappe avec ce passage en force effectué avec tout le génie d’Einstein. Qui laisse néanmoins sans en avoir pris conscience un indice décisif sur la nature de la matière avec l’interprétation de la cosmologie relativiste en connivence avec les théories de jauge décrivant le modèle standard des processus matériels. Et ce dans le cadre des champs quantifiés. Le principe des jauges physiques intervient alors autant dans les interactions matérielles que dans la genèse de l’espace-temps relativiste dont la nature n’est pas encore connue mais qui ne peut être résolue que dans une alternative entre un champ de communication des dispositions ou un champ efficient sur les dispositions, cette seconde éventualité se raccordant au substantivalisme et aux conceptions dérivées issues de la conception que se faisait Einstein de la nature physique de l’espace-temps. La révolution d’Einstein est un coup de force sont la signification ultime est encore débattue (Stachel). Elle conditionne notamment la formulation de la gravité quantique dans la mesure où les théories quantiques des champs sont établies sur une base fixe qu’est l’espace relativiste restreint de Minkowski (fixed background) alors que l’espace d’Einstein avec ses tenseurs de métrique est une base dynamique. (non fixed background).
La physique du 21ème siècle devra élucider comment s’est opéré ce passage en force subtilement opéré par Einstein qui avec une étrange coïncidence avait réussi à calculer l’orbite exacte de Mercure, signant d’un blanc seing le triomphe à venir de la relativité générale. L’avenir dira si ce passage en force signe aussi la perte de la cosmologie relativiste. Et l’avènement d’une nouvelle théorie qui accorde à la matière une place éminente. Tout en redonnant à la physique une dimension ontologique proche de la vérité. L’histoire dira si le contournement de l’argument « hole » assoie le triomphe de la relativité générale ou signe sa perte en annonçant une victoire à la Pyrrhus réalisée en sacrifiant l’ontologie naturelle des choses physiques.
L’avenir de la physique ne repose pas tant sur les interféromètres Ligo ou les radiotélescopes mais sur la pensée et les cerveaux qui sauront trouver les bases d’une nouvelle science physique basée sur l’information
https://en.wikipedia.org/wiki/Hole_argument
http://relativity.livingreviews.org/Articles/lrr-2014-1/download/lrr-2014-1Color.pdf
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