Croyances versus sciences : attention danger
A l’ère de la « post-vérité », le primat de l’émotion sur la raison se vérifie même dans les discussions scientifiques. Les risques sont majeurs pour la santé publique et l’économie.
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Un battement d’ailes de papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? La question que le scientifique américain Edward Lorenz posait en 1972 pour expliquer la façon dont un événement en apparence insignifiant peut conduire au chaos, n’a rien perdu de son actualité. Bien au contraire, à l’ère de la « post-vérité », une petite rumeur originée dans un coin reculé du monde peut avoir des conséquences dramatiques grâce à la caisse de résonance que sont devenues les nouvelles technologies de l’information et la communication.
Les habitants de la ville de New York peuvent en témoigner. Selon une étude publiée en juillet dans la revue JAMA Pediatrics, un adolescent a provoqué la plus importante épidémie de rougeole que la métropole ait connue depuis 20 ans. Né au sein d’une famille hostile aux vaccins, comme il y en a de plus en plus en Amérique, le jeune homme n’était pas vacciné contre la rougeole lorsqu’il est parti faire ses études à Londres, en 2013.
En vacances aux États-Unis, et ignorant qu’il avait été infecté par le virus, le jeune a rapidement répandu la maladie parmi ses proches, beaucoup d’entre eux n’étant pas vaccinés. Au total, 3 351 personnes ont été en contact avec le virus. Parmi elles, 58 ont contracté la rougeole, une maladie qui avait pourtant disparu des États-Unis en 2000, grâce à une excellente couverture vaccinale.
« Étant donné la nature très contagieuse du virus, même un seul cas isolé de rougeole peut entraîner un grand nombre de cas », explique Jason L. Schwartz, professeur à l’Université de Yale.
Or, dans un monde hyper-connecté comme le nôtre, ces nouvelles versions de l’effet papillon pourraient rapidement devenir dévastatrices. Il suffit de penser aux récentes épidémies de la grippe ou du virus Ebola.
Promesses fantaisistes
La transmission d’informations claires et scientifiquement fiables est de plus en plus importante. Mais la tâche devient ardue comme le montre, en France, le cas des médecins attaqués en justice pour avoir défendu une « médecine scientifique » contre les fausses promesses des « médecines alternatives ».
Le 18 mars dernier, 124 professionnels de la santé ont lancé un appel dans Le Figaro afin « d’alerter sur les promesses fantaisistes et l’efficacité non prouvée des médecines dites alternatives comme l’homéopathie ». Ils ont notamment demandé « l’exclusion de ces disciplines ésotériques du champ médical ». Résultat, le Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF) a porté plainte contre les 124 signataires pour « non-confraternité » auprès du conseil départemental de l’Ordre des médecins de chaque professionnel.
« Aujourd’hui, on peut donc dire les pires mensonges sur les vaccins sans être inquiété comme Joyeux, on peut inventer l’électrosensibilité et escroquer des gens comme Belpomme sans conséquences. Et on poursuit ceux qui défendent une médecine basée sur les preuves », s’est indigné sur Twitter l’un des médecins attaqués.
Faux débat
Mais le recul de la science au profit des discours alarmistes touche plusieurs secteurs, comme l’agriculture. Le débat autour du glyphosate le montre bien. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), seule agence réglementaire internationale à avoir classé la célèbre substance comme « cancérogène probable » pour l’Homme, reçoit toute l’attention des médias dominants et des associations écologistes. Au détriment des très nombreuses agences internationales qui contestent la position et parfois les méthodes du CIRC.
Ainsi, pour l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) ou encore le JMPR, un organe conjoint de l’OMS et la FAO, le glyphosate n’est pas un cancérogène probable lorsque les seuils d’exposition autorisés sont respectés.
Les raisons du désaccord sont pourtant relativement simples. « Le CIRC s’est basé sur des études sur non-mammifères, alors que toutes les autres agences ayant mené cette évaluation ont privilégié les études sur mammifères », explique Hervé Le Bars de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS).
Le débat, dont les scientifiques sont de plus en plus absents au profit des militants, continue pourtant d’enfler. En novembre, Emmanuel Macron avait promis la sortie unilatérale du glyphosate sous trois ans. Une mesure que l’Assemblée nationale a refusé d’inscrire dans la loi le 28 mai dernier. Et pour cause : « Dans un contexte ultra-compétitif où le pays le moins disant sur les pesticides met tous les autres sous pression, un soutien financier aux agriculteurs est indispensable pour sortir sans risque du glyphosate », affirme Xavier Reboud, de l’Inra.
Or, les agriculteurs français, qui, comme beaucoup d’autres agriculteurs à l’étranger, ont recours à ce produit pour satisfaire la demande, sont les principaux perdants d’un débat qui s’enlise.
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