Gears of War, entre néo et photo-réalisme
Le jeu d’Epic est plus une révolution culturelle que graphique.
Gears of War intime le respect de la presse vidéoludique. La qualité du titre est une sorte d’impératif catégorique, qui s’impose à la critique avec l’évidence d’un aphorisme. Mais l’emphase ou l’hyperbole, d’ordinaire si caractéristiques de la presse spécialisée, laissent place à un argumentation étonnamment raisonnée. Epic a-t-il tari le souffle de l’épopée ?
Tel le beau kantien, les développeurs auraient atteint, avec Gears of War, une perfection formelle, mais sans commune mesure avec la fascination outrancière qu’exerce une oeuvre sublime. Le jeu n’est-il qu’un shoot, doté d’une plus-value simplement graphique ?
Gears of War est un peu plus que cela. Véritable synecdoque des consoles de la nouvelle génération, il exemplifie à la fois ce qui est, et ce qui est à venir.
A cet égard, le titre est déjà bien plus novateur qu’il n’y paraît. Il l’est encore plus d’un point de vue structurel. Quand Charles Baudelaire prônait, au XIXe siècle, l’art pour l’art, Gears of War défend le jeu pour le jeu, véritable manifeste de l’avant-garde vidéoludique.
Dans une telle perspective, les graphismes et le scénario ne sont que des éléments superficiels, qui ne doivent pas détourner du jeu. Pourquoi la presse manque-t-elle à ce point d’enthousiasme ? Parce que le jeu est a-topique, a-chronique, et fait du gameplay le sens et l’essence de son être.
Les graphismes, tant magnifiés dans diverses publications, participent en réalité d’une esthétique du retrait et du dépouillement. Pour les développeurs, il s’agissait de mettre en scène - étrange paradoxe - la sobriété. Villes détruites, couloirs sombres, autant de lieux communs, mille fois arpentés des joueurs ; autant de patterns vidéoludiques, abstraits, à mille lieux des paysages photoréalistes.
Lucides, les auteurs du jeu ont également pris soin de produire un scénario à l’universalisme abstrait. Projeté dans une action in medias res, le joueur affronte un autre, un fantasme, sans contours précisément définis. Après l’antihéros, Gears of War fait du protagoniste un homme commun.
Qui sont les Locustes ? Pourquoi la guerre a-t-elle éclaté ? Peu importe, seul compte le torrent de violence, qui se déchaîne sous les yeux des spectateurs. La saine absurdité de la trame narrative rejoint les règles de la tragédie antique.
Gears of War retrouve la pulsation primale du gameplay : le rythme binaire. Pour être accompli, un shoot doit être aussi intense dans l’action que dans l’inaction. Avec une conception stratégique des combats, les développeurs parviennent à donner du sens à l’inaction. La logique binaire absorbe même tout le gameplay. Le « game over » n’est plus la conséquence la plus fâcheuse d’une mauvaise action. Il est réintroduit comme une composante légitime, et irréfragable.
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