Génétique, intelligence et morphisme
La connaissance de la génétique pouvant se tramer derrière nos qualités psychologiques a toujours suscité une certaine polémique. Car si personne ne conteste le fait que tous les hommes ne naissent pas avec d’égales qualités physiques, notre culture judéo-chrétienne considère l’être humain comme un corps dans lequel est glissé une âme toute à construire. Ainsi, si tous les hommes n’ont en effet pas le même corps, tous ont une âme égale à modeler. La sophistication récente de méthodes scientifiques in vivo a permis d’établir l’existence d’un lien entre intelligence et génétique amenant à la conclusion que tous les hommes ne naissent pas également pourvus intellectuellement.
I. Mesure de l’intelligence.
L’avancement de la science a permis d’établir clairement le lien
entre phénotype et génétique en se basant sur l’hérédité de certains
caractères physiques bien définis. De ce point de vue, le lien entre
l’intelligence et la génétique est beaucoup plus difficile à établir
car le concept d’intelligence lui-même n’est pas défini. En 1921 a
lieu le premier symposium international « Intelligence and Its
Measurement », puis une seconde édition en 1986, au cours desquels
devait être établie la définition de ce qu’est l’intelligence et
comment la mesurer. Aucun consensus n’a été trouvé autour de la
définition du concept d’intelligence et donc, a fortiori, il n’en est sorti aucune manière satisfaisante de la mesurer.
Si
les experts ne s’accordent pas sur la définition générale, la mesure du
quotient intellectuel (QI) est en générale acceptée comme un indice
pertinent d’une forme bien précise d’intelligence (qui ne saurait en
aucun cas être réduit à l’intelligence globale). En neurosciences, le
terme d’intelligence se rapporte aux aptitudes cognitives et est
souvent quantifié par l’indice g, développé par le statisticien
Spearman en 1927. Il existe d’autres tests basés sur les aptitudes
visuospatiales, déductives, sémantiques et de raisonnement symboliques,
mais généralement, une personne obtenant un bon score à l’un des ces
tests obtiendra un bon score aux autres, suggérant que ces différentes
aptitudes ne sont pas indépendantes.
La validité de g comme
indice d’intelligence a été grandement débattu, donnant lieu à de
nombreuses controverses et polémiques. Il n’en reste pas moins que la
plupart des chercheurs en psychométrie s’accordent sur le fait que g
est un bon indicateur d’aptitudes à apprendre, raisonner et résoudre
des problèmes. C’est aussi un bon prédicateur de réussite scolaire,
professionnelle, sociale ainsi que de l’espérance de vie.
Inversement, il est démontré que g est influencé par le statut social du milieu familial. C’est en cela que tient toute la difficulté à établir l’hérédité de l’intelligence en utilisant l’indice g : quelle est l’influence éventuelle de la génétique par rapport à l’influence du milieu social ?
II. Association entre génétique et intelligence : jumeaux monozygotes vs dizygotes.
Afin
d’annuler l’effet de l’influence familiale, les chercheurs se sont
intéressés aux jumeaux élevés dans la même famille. Pour établir
l’influence de la génétique sur la performance aux tests
d’intelligence, les chercheurs ont regardé la corrélation des scores
des jumeaux monozygotes (MZ), possédant exactement le même patrimoine
génétique, aux scores des jumeaux dizygotes (DZ) qui sont des jumeaux
fraternels possédant 50 % de patrimoine génétique commun.
Le protocole expérimental est simple, g est mesuré pour chaque jumeau. L’écart entre le g
des deux jumeaux est calculé et utilisé comme mesure de similarité (ou
de corrélation). Le test statistique consiste à savoir si l’écart entre
les g des jumeaux MZ est significativement plus grand ou plus petit que l’écart des DZ.
Les résultats sont les suivants : g est significativement plus corrélé chez les MZ que chez les DZ. L’héritabilité de g
est d’environ 0,86, établissant clairement le lien entre
l’intelligence et la génétique [1]. La subtilité de cette étude
consiste en ce qu’elle n’utilise pas directement les scores g, mais
l’écart de scores entre deux jumeaux, supprimant ainsi le biais créé par
le milieu familial. En clair, deux jumeaux auront un score g plus proche si leur patrimoine génétique est identique.
III. Association entre génétique et neuromorphologie.
Maintenant que le lien entre intelligence et génétique est établi,
sachant que la génétique détermine en bonne partie notre morphologie,
les chercheurs se sont intéressés à l’existence d’association entre g
et certaines mesures morphologiques, qui peuvent être le volume de
matière grise, celui de matière blanche ou encore l’épaisseur corticale.
Comme précédemment, l’expérience compare un groupe de jumeaux MZ à un
groupe de jumeaux DZ. Les mesures neuromorphologiques sont effectuées in vivo
sur les IRM de chacun des jumeaux. Des méthodes de traitement du signal
permettent de standardiser les images et de rendre les données
directement comparables. Un algorithme automatique sépare la matière
blanche de la matière grise et en mesure leur volume. L’avantage des
méthodes automatiques par rapport aux méthodes manuelles est l’absence
de biais cherchant à valider l’hypothèse de départ.
Pour chaque jumeau, on mesure donc automatiquement le volume de matière
grise et de matière blanche, puis on regarde si la différence de volume
entre les paires de jumeaux est plus grande ou plus petite selon s’il
s’agit de jumeaux MZ ou DZ.
Les résultats montrent une corrélation volumique significativement plus
importante chez les MZ que les DZ. Le volume du cerveau est donc
génétiquement influencé. [1]
III. Conclusion.
Ces expériences permettent d’établir deux liens très importants.
- L’indice d’intelligence g est génétiquement déterminé. Sachant qu’il est un excellent prédicateur de réussite scolaire, professionnelle et sociale, on peut spéculer que cette découverte permette d’établir l’existence d’un lien entre patrimoine génétique et réussites scolaire, professionnelle et sociale.
- L’intelligence est associée à la neuromorphologie d’un individu. La neuromorphologie est un prédicateur de l’intelligence d’un individu, et donc de son statut social, de son revenu et de sa durée de vie. En d’autres termes, l’IRM d’un individu suffit à prédire ces attributs.
Pour plus d’informations, veuillez lire l’excellente revue :
Arthur W. Toga and Paul M. Thompson. Genetics of Brain Structure and Intelligence. Annu. Rev. Neurosci. 2005. 28:1-23
[1] Daniëlle Posthuma, The association between brain volume and intelligence is of genetic origin. Nature neuroscience, volume 5 no 2. February 2002
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