Hadopi : L’imposture idéologique de Christine Albanel
Un des arguments de fond du discours de Madame Albanel consiste à mettre en avant les 450 000 films « piratés » chaque jour via Internet qui seraient directement liés à la baisse des revenus de l’industrie culturelle. Avant tout, il semble évident de rappeler que ce chiffre est largement contestable : l’ALPA, à la fois juge et partie, n’apparait pas comme la meilleure des sources en la matière. Madame Albanel utilise cet argument de façon récurrente afin de convaincre son auditoire de l’urgente nécessité d’instaurer son projet de loi.
Or, de tout temps, le droit d’auteur a évolué par le conflit : chaque avancée technologique ou médiatique a entrainé des craintes quant à la survie des précédentes. Ces peurs, si elles sont le fruit d’un raisonnement logique, ne sont pas nécessairement viables dans la réalité.
Ainsi pouvait on s’exclamer il y a quelques années : « Mais comment voulez-vous que l’on vende encore des disques alors qu’il suffit simplement d’allumer le poste de radio pour écouter de la musique ? La radio c’est la mort du disque ! Franchement, quand un auditeur a entendu une chanson, de plus dans son intégralité, il n’a plus envie de l’acheter ! Le calcul des pertes est alors très simple : multiplions le nombre de musiques diffusées par chaque radio et multiplions ce nombre par le nombre d’auditeurs, on ne devrait pas être très loin de la réalité. » Ce discours semble parfaitement logique : il ne tient cependant pas la route. Continuons
« Arf, pourquoi vendre des disques juste après les concerts, c’est totalement idiot : quelle personne saine d’esprit irait acheter de la musique qu’il vient juste d’écouter dans le concert ? Franchement, ce n’est pas raisonnable ! Le concert c’est la mort du disque ! », Ce discours reste toujours parfaitement logique, mais tout comme la précédente, cette théorie n’est pas viable. Continuons.
« Mais vous ne vous rendez pas compte ? Comment voulez-vous encore que les gens se déplacent au cinéma, alors qu’il y a maintenant des films à la Télévision ? Attendez que la TV arrive dans presque tous les foyers, et vous pourrez faire vos adieux au cinéma. » : discours logique, mais qui s’est avéré être totalement faux encore une fois. Continuons.
« Vendre des cassettes vierges ? Pour que les gens puissent enregistrer des films, ou pire, les partager entre eux ? La cassette, c’est la mort du cinéma, on ne pourra plus vendre de films : dès qu’un des films sera acheté, il sera partagé. ». Encore une fois ce discours apparaît comme le fruit d’un raisonnement fondé sur la logique, mais comme à chaque fois, les faits nous prouvent qu’il n’est pas applicable à notre vie quotidienne. Continuons.
« Il faut le reconnaitre, un film qui marche bien au cinéma, ne se vendra pas après en DVD. Tout le monde l’a vu, c’est idiot d’aller l’acheter alors qu’on le connait déjà au risque en plus de le voir diffuser quelques temps après à la télévision, vous ne trouvez pas ? », Discours logique, mais parfaitement faux. Continuons,
« Internet, Avec 450 000 films piratés chaque jour ! C’est simple ... le cinéma est en train de disparaître. Bientôt on ne pourra plus vendre de films, tout sera piraté sur internet. Il s’agit de 450 000 ventes quotidiennes perdues », tiens donc, ce discours pourtant parfaitement logique devrait tenir la route ? Tout comme les précédents, il semble peu probable que ce soit le cas.
La réalité est que toutes les formes de diffusion présentent toujours un double visage : tout d’abord, un aspect concurrentiel, largement évoqué par les industries, par moi pour les démonstrations par l’absurde au-dessus, par Mme Albanel et son cabinet. Mais la diffusion présente également un aspect promotionnel. Après tout, on n’achète pas une œuvre dont on a jamais entendu parler. Il faut au moins en avoir une connaissance minimale, partielle de l’œuvre : un ami m’en a parlé, j’ai lu une critique dans un magazine/sur la pochette, j’ai vu une publicité sur l’œuvre, j’aime les films de cet acteur/auteur/réalisateur, etc. Mais cette connaissance peut aussi être complète : j’achète la musique que j’ai entendue à la radio/chez un ami/dans la rue/dans un restaurant, le disque du concert que je suis allé voir, le film que j’ai vu au cinéma etc. Ce visage promotionnel a complètement été ignoré par l’industrie culturelle mais aussi par Mme Albanel.
Ce qui a plusieurs conséquences pour le moins fâcheuses, premièrement, à force de voir internet et surtout les nouvelles possibilités et pratiques qu’offre celui-ci, comme étant simplement et purement néfastes. Cette vision a empêché les acteurs de la musique et du cinéma de voir les cotés positifs pour leur activité de ces nouvelles pratiques, les rendant pour le coup vraiment concurrentiels. Aujourd’hui on a détruit Napster, Kazza, globster, etc. Est-ce que ces destructions ont permis à l’industrie de remonter la pente ? Non, Par contre maintenant il y a de nouveaux acteurs emule, freenet, etc. Et il est impossible de discuter avec eux, et surtout de négocier avec eux, quand ce n’est pas la création de partis politiques « pirates », qui se forme.
Deuxième conséquences fâcheuse : Le fait d’aller lutter contre l’aspect concurrentiel du « piratage », fait qu’on lutte aussi contre l’aspect promotionnel du « piratage »... et ça c’est ballot ! Qu’un acteur qui refuse de but en blanc que ses œuvres soient partagées sur le réseau donne de la place à d’autre acteurs de prendre la place. En gros ce qui n’est pas copié, permet à d’autres œuvre d’exister.
Troisième conséquence fâcheuse : cette lutte des industries culturelles contre les « pirates », qui sont en fait son public, ou son futur public, crée une incompréhension mutuelle, qui ne peut être que néfaste aux deux. Le public ayant l’impression de financer ce qui ressemble à une mafia, le mot « Major » lui même est devenus péjoratif. Quant à l’industrie, elle voit dans chaque internaute un malfrat (pirate), qui n’a pour ambition que de les couler. La réponses des uns étant les échanges sauvages et irrespectueux via le P2P, et les autres la surveillances et la contrainte pas les DRM, et la répression par la coupure de la connexion internet (HADOPI).
Pour en revenir au chiffre de 450 000 films partagés sur internet chaque jours, c’est un peu comme dire qu’il y a 450 000 musiques qui chaque jours passent à la radio. Il n’y a pas à en avoir peur, par contre comme la radio à son époque, il faut trouver un moyen pour que ces 450 000 films partagés ne le soient pas au détriment pur et simple des acteurs du films. D’un autre coté aujourd’hui interdire les radios relancerait-il la vente de disque ? Tout comme couper internet relancerait-il la vente de DVD ? Dans les deux cas on ne peut qu’en douter.
Bref, Mme Albanel trompe son monde avec ses chiffres qui ne présagent de rien. Et leur fait dire un faut message. La loi HADOPI, partant d’un faut constat, entraînera de fait de « fausses » conséquences, et surtout pas celles espérées. C’est du temps perdu pour rien, des espoirs créés sans lendemain. Une situation qui continuera à pourrir. Cette loi n’est un cadeau pour personne, elle criminalise les internautes, elle crée de faux espoirs, elle empêche aussi l’industrie qu’elle tente de sauver de faire un vrai travail sur elle-même, elle exacerbe les rivalités, et elle ne règle rien sur le fond.
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