L’humanité va-t-elle rentrer dans l’âge du Nickel ?
Note : ce texte est une mise à jour de mon article "Vers un nucléaire (vraiment) propre ?" consultable ici
La saga du réacteur E-cat (Energy Catalyzer) de l'inventeur Andrea Rossi suit son cours. Aujourd'hui, 28 Octobre 2011, le test de la centrale thermique de 1 mégawatt va être effectué par un mystérieux client américain acheteur potentiel. Selon son concepteur, cette centrale ne consommerait que 10 kg de nickel en poudre et 18 kg d'hydrogène pour produire une puissance thermique de 1 MW pendant 6 mois à partir d'une puissance électrique de 133 kW. En attendant les résultats de ce nouveau test, il est possible de s'intéresser aux résultats du test précédent, celui du 6 octobre de cette année.
- Vue de face
- Centrale de 1 MW Andrea Rossi
Centrale de 1 MW de l'ingénieur Andrea Rossi
Crédit photo Mats Lewan NyTeknik.se
"Le réacteur d'Andrea Rossi "E-Cat" libère-t-il plus de chaleur (ou énergie thermique) qu'il ne consomme d'énergie électrique ?". Cette question avait déjà fait l'objet de tests antérieurs par une poignée de témoins extérieurs au projet. Cependant les mesures effectuées, trop imprécises, semblaient insuffisamment convaincantes pour susciter un réel intérêt de la part de la communauté scientifique. Le protocole utilisé dans l'expérience du 6 Octobre lève en très grande partie le problème lié à ses imprécisions.
Comme les implications de cette découverte sont potentiellement colossales il est important de comprendre techniquement comment les physiciens, chimistes et techniciens présents sur les lieux s'y sont pris pour effectuer les mesures.
Rudiments de thermodynamique...
Afin de comprendre le protocole employé par les scientifiques chargés de tester le réacteur, je vous propose une leçon( simplifiée) de thermodynamique et d'électricité. Je tiens à rassurer les lecteurs non-scientifiques : ce paragraphe est facilement compréhensible par un collégien .
Si on apporte une calorie à un gramme d'eau liquide (en la chauffant) , la température de cette eau croît de 1°C. On dit que la capacité calorifique de l'eau liquide est de 1 calorie par gramme d'eau et par degré Celcius.
Tant que l'eau reste liquide cette loi continue de s'appliquer : il y a une relation de proportionnalité entre la quantité de chaleur apporté à ce gramme d'eau et la variation de température de celle-ci.
Par exemple, avec deux calories, on peut :
- Augmenter de 2 degrés la température de 1 gramme d'eau.
- Augmenter de 1 degrés la température de 2 grammes d'eau.
La relation liant la chaleur apportée Q1 et augmentation de température est (si on raisonne sur 1 gramme d'eau) : Q1 = (Température finale - Température initiale).
Et que se passe-t-il quand l'eau se change en vapeur ? La relation précédente ne s'applique plus et une autre prend sa place. Tant que toute l'eau n'est pas vaporisée la température du mélange eau+vapeur ne change pas. Conséquence : vous n'augmentez pas la température de l'eau qui bout en donnant plus de chaleur à l'eau bouillante. Par contre l'eau se changera plus vite en vapeur.
En apportant 540 calories à 1 gramme d'eau à 100°C vous la changez en 1 gramme de vapeur à 100°C. Il faut donc 540 fois plus d'énergie pour faire évaporer 1 gramme d'eau déjà à 100°C que pour faire chauffer ce même gramme d'eau liquide d'un degré.
La relation liant la chaleur apportée Q2 à une eau déjà à 100°C et la masse m d'eau qui s'évapore est : Q2 = 540 x m.
Exemple : avec 1080 calories vous pouvez passer de 2 grammes d'eau liquide à 100°C à 2 grammes de vapeur à 100°C.
Remarque : la calorie est une unité ancienne utilisée ici pour des raisons de simplicité. Les résultats du test sont exprimés en Joules. 1 calorie (cal) = 4,18 Joules (J)
....et petit rappels d'électricité
Quand un appareil est branché sur une prise de 220 V il est traversé par une intensité I qui dépend du type d'appareil utilisé. Pour connaître l'énergie électrique consommée par cet appareil, rien de plus simple : il suffit de multiplier la tension U = 220 V par l'intensité I et de multiplier le tout par la durée d'utilisation. Energie = Tension x Intensité x duréee d'utilisation.
Mais que se passe-t-il si l'appareil a une intensité qui varie dans le temps ? Encore une fois, la réponse est simple : on additionne les énergies calculées pendant que l'intensité était constante...
Exemple : Si notre appareil est traversé par une intensité de 1 ampère pendant 1 heure (soit 3600 s) puis par une intensité de 1,5 ampères les deux heures suivantes (soit 7200 s) alors l'énergie totale E consommée est bêtement :
E (Joules) = 220 V x 1 A x 3600 s + 220 V x 1,5 A x 7200 s = 3 168 000 Joules = 757 894 calories.
Protocole du test du 6 octobre 2011
Les tests précédents effectués sur le réacteur E-cat (toujours en présence d'Andrea Rossi) visaient à montrer que la quantité de chaleur produite par l'appareil était plusieurs fois supérieure à l'énergie électrique reçue par celui-ci.
La nouveauté de ce test est qu'il permet d'avoir une estimation minimale de la quantité de chaleur produite par le réacteur sans que l'on ait à se soucier de la sécheresse de la vapeur produite (principale cause de doutes chez les personnes sceptiques ayant analysé les tests précédents).
Le réacteur consomme une puissance électrique P= U x I pendant une durée T et produit de la vapeur à partir d'eau pompée au robinet via une pompe péristaltique. La vapeur produite est ensuite dirigée dans un échangeur de chaleur où celle-ci se condense au contact d'un circuit secondaire d'eau froide. La température T1 de l'eau du circuit secondaire est mesurée avant l'échangeur de chaleur ainsi que la température T2 de l'eau après l'échangeur de chaleur.
La quantité de chaleur Q reçue par l'eau froide du circuit secondaire se calcule avec la première formule donnée dans le paragraphe précédent Q=m(T2-T1)
m étant la masse d'eau s'écoulant par seconde dans le circuit secondaire.
Il est évident que le résultat obtenu pour Q sera inférieur à la quantité de chaleur réellement produite par le réacteur car :
1/ le réacteur n'est pas bien isolé et chauffe donc l'air autour de lui
2/ le tuyau contenant la vapeur (avant l'échangeur) dissipe lui aussi de la chaleur qui n'est pas comptabilisée.
Pour savoir si le réacteur produit plus d'énergie qu'il n'en consomme il suffit de comparer l'énergie électrique E consommée et la quantité de chaleur produite.
Résultats du test
Les mesures effectuées par Mats Lewan, journaliste scientifique travaillant pour le magazine NyTeknik.se sont disponibles ci-dessous :
D'autre part trois analyses très détaillées et indépendantes de ces mesures ont été effectuées par MM. Bob Higgins, Horace Heffner et David Robertson. À noter que ces trois personnes n'étaient pas sur les lieux de l'expérience et se sont référées aux mesures incluses dans le document Excel ci-dessus. Ces analyses sont téléchargeables ici.
Une quatrième analyse très critique mais moins argumentée que les analyses précédentes est l'oeuvre de Steven Krivit. Elle est accessible par ce lien.
Au vu de ces documents on peut distinguer 2 phases :
1ère phase : le réacteur est alimenté en électricité en permanence. Durant cette période le réacteur consomme une énergie de 32.MJ (mégajoules ou millions de joules). Il produit pendant cette même période une énergie thermique de 23,7MJ.
2ème phase : le réacteur s'auto-entretient et ne consomme qu'une quantité très faible d'énergie électrique (en fait l'énergie consomméee correspond aux instruments de mesures annexes). Durant cette période le réacteur produit une quantité de chaleur de 67,6 MJ tandis qu'il consomme une énergie électrique de 1,4 MJ
Bien que ces mesures indiquent que le dispositif inventé par Andrea Rossi semble dégager trois fois plus de chaleur, qu'il ne consomme d'énergie, les analyses pointent du doigt plusieurs sources potentielles d'erreur. Celles-ci sont énumérées dans le paragraphe suivant.
Sources d'erreurs possibles :
1/ La trop grande proximité du thermomètre et de l'échangeur de chaleur pour la mesure de la température en sortie du circuit secondaire.
2/ Le débit de l'eau trop élevé dans le circuit secondaire ce qui diminue la valeur de la différence entre la température d'entrée et la température de sortie de l'eau. Ceci entraîne automatiquement une augmentation de l'erreur relative de cette mesure.
3/ Un mauvais étalonnage des thermomètres utilisés.
Le lecteur (ou la lectrice) du présent article pourra juger par lui (elle)-même de la pertinence de ces remarques au vu de la qualification des personnels présents sur place (voir plus bas)
Outre ces remarques il est évident que les scientifiques présents sur place se sont assurés que les possibilités de triche suivantes soient écartées :
1/ Source d'énergie cachée dans le réacteur. Cette hypothèse ne peut être soutenue puisque le réacteur a été ouvert devant les témoins qui n'ont pu y déceler aucune source d'énergie cachée. La durée de fonctionnement en mode auto-entretenu et l'énergie dégagée pendant cette phase excluent l'emploi de tout combustible chimique conventionnel pendant toute la phase de test.
Intérieur de l'e-cat. Crédit photo Mats Lewan. NyTeknik.se
2/ Source d'énergie extérieure rayonnant vers le réacteur (faisceau de micro-ondes par exemples). Cette hypothèse a pu être exclue en se servant de spectromètres et d'autres détecteurs de micro-ondes qui auraient immédiatement traduit un tel type de rayonnement.
Etaient présents à ce test (liste non exhaustive puisque n'incluant pas les techniciens ayant également assisté au test) :
Prof. Petterson Roland (Univ. d'Uppsala - Suède)
Prof. Campari Enrico (Univ. Bologne - Italie)
Prof. Bonetti Ennio (Univ. Bologne - Italie)
Prof. Levi Giuseppe (Univ. Bologne - Italie)
Prof. Clauzon Pierre (CNAM-CEA France)
Dr Bianchini David (Univ. Bologne - Italie)
Ing. Swanson Paul D. (Space and Naval Warfare Systems- US Navy- Etats -Unis)
Prof. Focardi Sergio (Univ. Bologne - Italie)
Prof. Stremmenos Christos (Univ. Athènes - Grèce)
Prof. Jobson Edward (Univ. Goteborg - Suède)
Ing. Vandevalle Koen (Belgique)
Dr Enrico Billi (Physicien chercheur, Chine)
Une vidéo de ce test (en anglais) est visible ici.
Sécurité du dispositif
Concernant ce point crucial les informations sont lacunaires et proviennent essentiellement du concepteur du réacteur.
L'analyse spectrométrique du réacteur indique que des rayons gamma sont émis de façon significative. Leur flux ne semble pas excéder plus de 50% du fonds de rayonnement naturel.
Pas de neutrons émis.
Pas de déchets radioactifs (transmutation d'une partie du nickel en istopes stables du cuivre).
Deux études universitaires portant sur le réacteur seront conduites par les universités de Bologne (Italie) et d'Uppsala (Suède) afin, entre autres, de vérifier la validité de ces observations.
Eléments indiquant l'existence de réaction nucléaire
Pour que le processus supposément à l'oeuvre dans le réacteur soit d'origine nucléaire et non chimique il faudrait que :
1/ La réaction puisse se poursuivre longtemps sans qu'il soit nécessaire de rajouter des réactifs
2/ Des rayonnements gamma soient produits
3/ Des transmutations devraient être observées.
Dans la vidéo de Manuel Zani L.E.N.Revolution, on remarquera les interventions
- du Pr Giuseppe Lévi qui a assisté à un test d'une durée de 18 heures sur un réacteur d'une contenance de 50 cm3
- du Pr Francesco Celani qui a pu observer des pulses de rayons gamma lors des tests effectués sur un E-Cat
Par contre l'analyse de la poudre de nickel ayant supposément servi de combustible à un E-Cat pendant six mois n'a pas révélé de composition isotopique anormale selon deux chercheurs suèdois (Pr Hanno Essen et Sven Kullander de l'université d'Uppsala)
Modèles explicatifs avancés
La recherche dans le secteur de la fusion froide n'est pas (ou très peu) subventionnée. Les expériences concernant ce phénomène ont été nombreuses mais la principale critique adressée aux chercheurs a été la non reproductibilité (essentielle !) de leurs expériences. Cela n'a pas empêché plusieurs physiciens et ingénieurs de développer des modèles explicatifs quant à ces mystérieux "excédents de chaleur" observés.
Voici un inventaire des principaux modèles existants :
- Théorie de Widom-Larsen [1]
- Théorie de Wladimir Guglinski [2]
- Théorie de Christos Stremmonos [3]
- Théorie du Dr Yeong E.Kim [4]
Conclusion
Le réacteur d'Andrea Rossi est (peut être) le premier dispositif à exploiter industriellement la très controversée fusion froide. Nous le saurons très bientôt. Si tout cela est vrai, alors les historiens du futur parlerons peut être de 2011 comme étant le début d'un nouvel âge, l'Âge du Nickel....
Références :
[1] Ultra Low Momentum Neutron Catalyzed Nuclear Reactions on Metallic Hydride Surfaces Eur. Phys. J. C (2006)
[2] http://www.journal-of-nuclear-physics.com/?p=516
[3] http://www.journal-of-nuclear-physics.com/?p=497
[4] Theory of Bose-Einstein Condensation Mechanism for Deuteron-Induced Nuclear Reactions in Micro/Nano-Scale Metal Grains and Particles”, Naturwissenschaften 96, 803 (2009)
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