La nouvelle alliance autour de l’information : du physique et biologique au politique

Près d’un demi-siècle après les égarements de Monod sur le hasard et la nécessité, puis la tentative herméneutique avortée proposée par Prigogine autour des systèmes dissipatifs, nous pouvons maintenant lire en filigrane les linéaments d’une alliance nouvelle susceptible de raccorder les sciences naturelles et celles dites humaines.
La conjecture informationnelle associée au nouveau paradigme du 21ème siècle se décline dans toutes les sciences avec une spécificité propre à chaque champ disciplinaire pour la bonne raison que chaque catégorie d’objet est composé de formes, de relations et modalités interactionnelles avec un milieu informé tout autant qu’informant. De la particule à l’univers, les formes dansent, s’entrelacent ; elles sont les médiatrices dans les interactions et les relations. Elles sont visibles et perçues lorsqu’elles sont matérialisées (exprimées dans le champ d’expression). Mais le « stock universel » des formes reste invisible, constituant le fondement des réalités objectives autant que la mémoire des choses expérimentées par les êtres de l’univers, ces choses étant vécues consciemment par l’humain. La théorie contemporaine de l’inconscient nous a enseigné que le sujet est le siège de processus informationnels dont il n’a pas conscience, alors qu’il dispose d’un stockage d’information considérable qui heureusement ne parvient pas à la conscience. Il existe aussi un autre type d’inconscient dévoilé par Leibniz, l’inconscient perceptif, qui décrit l’ensemble des perceptions physiques et objectives que la conscience écarte pour ne pas être submergée par un flux d’informations, ne retenant que ce qui est pertinent pour la « gestion » subjective du temps présent.
Le monde animal n’est pas en reste dans ce jeu des informations perçues et gérées pour qu’elles soient pertinentes en fonction des situations de l’animal ou de l’espèce dans son milieu. Le règne animal échange bien plus d’informations qu’on ne le pense. Seule une vision étriquée et anthropocentrique a conduit à forger une compréhension faussée du monde animal réduit par certain à un ensemble de rouages mécaniques ; vision dont la modernité à hérité avec Descartes puis les philosophes matérialistes du 18ème et ensuite les conceptions scientifiques contemporaines. En voulant utiliser la nature, l’homme a pris une distance avec une certaine « empathie » accordée au genre animal, comme celle pratiquée par les peuplades primitives ou même les individus proches de la nature comme le furent les éleveurs. Le milieu naturel est parsemé de signaux et d’informations produites et captées par les systèmes vivants, végétaux inclus, avec les fleurs comme indices d’une intention communicante.
(On ne le dit que rarement mais la pensée qu’on désigne comme moderniste, pour ne pas dire mécaniste et techniciste, utilise une représentation de la nature et de la société dans laquelle les informations sont triées, sélectionnées, mises en ordre dans une intention précise, celle de produire. Sans ce tournant philosophique opéré au 17ème siècle, le productivisme industriel adossé au capitalisme n’aurait pu advenir. Le système industriel repose sur une mise en forme des informations afin de réaliser une structure centralisée permettant de régler et d’articuler l’homme et la machine.)
Le mode d’existence technique, mais aussi naturel, utilise trois principes universels, celui de la création d’information diffusant ensuite dans le milieu spatio-temporel, celui de la sélection/acquisition de ces mêmes informations et enfin un dispositif centré de gestion des informations. La vie, comme cela sera établi au 21ème siècle, se conçoit avec comme trait majeur le contrôle des informations et pour ce faire, les espèces ont développé des systèmes perceptifs et représentatifs d’une incroyable efficacité. Ces dispositifs permettent un indéniable avantage adaptatif. L’homme est la seule espèce qui a dépassé le stade de la finalité adaptative et comme disait ce bon Rousseau, de l’instinct. L’homme agit par volonté. Et ce qui remplace la finalité évolutive ou adaptative, c’est le pouvoir et son complément, la soumission. Qui repose sur deux piliers. D’une part la force et la crainte ; d’autre part le contrôle du milieu par l’information. Par milieu, j’entends ici l’anthropocosme. Les élites qui savent créer les informations mainstream et s’appliquent à les diffuser considèrent l’humanité comme un milieu, un moyen, une matière à structurer. Non pas des hommes destinés à l’instruction et la connaissance mais des individus formés au mode d’emploi permettant de travailler et d’utiliser les productions industrielles. Analysez la plupart des documents de la commission européenne que vous y trouverez cette intention de « fabriquer » un citoyen européen comme il y eut l’homme nouveau au temps de Staline.
L’information fonctionne ainsi au sein de multiples systèmes de gestions, servant différentes finalités, avec des niveaux (plans) de compréhension et de conscience. Comme on le verra, la biologie sera affectée par le nouveau paradigme informationnel dont le principe fondamental ne sera plus l’auto-organisation mais un autre phénomène plus « intime », logé au cœur des réseaux moléculaires et cellulaires, qu’on doit nommer auto-computation, ou plutôt auto-cognition. Reste le champ très étendu des sciences physiques qui elles aussi, seront de la partie dans ce paradigme. Quelques tendances ont été dessinées depuis deux décennies avec les trous noirs quantiques et l’holographie. En cette seconde décennie du 21ème siècle, la mécanique quantique est également impliquée dans les investigations sur l’information, avec la question de la cohérence, des calculateurs quantiques ainsi que diverses spéculations contemporaines sur l’infinité des états purs en MQ. Quant à la gravitation, elle perd son statut de force « mécanique » pour devenir une force « entropique ».
La nouvelle alliance de l’information concernera les différents secteurs de la nature, l’homme et la société. En physique, les notions d’information structurante, de champ cohérent et de monde déformé, informé, métaformel, vont permettre de mieux connaître l’univers et la « matière ». Les sciences du vivant seront aussi bouleversées par le paradigme mettant au centre les dispositifs d’encodage et décodage, sur fond d’organisations moléculaires sémantiques capables de faire émerger du sémiotique et de la téléologie. Applications possibles à la compréhension du développement animal, de son existence dans le milieu, de l’évolution des espèces et le cas échéant, en thérapie avec la possibilité d’une médecine globale jouant sur la gestion efficiente des informations et des déformations biologiques par les systèmes de contrôle cognitifs naturels. Enfin, il va de soi que les sciences de la société et la politique peuvent prendre un nouveau tournant avec l’analyse des informations et de leur parcours, diffusion, médias, captations, compréhension, impact psychique, affectif et cognitif, dispositifs de pouvoirs et surtout de contre-pouvoir citoyen. Les penseurs du nouveau paradigme livreront des études permettant peut-être de dépasser les écrits les plus percutants du 20ème siècle, ceux de Foucault, Habermas, Brzezinski, Ellul, Strauss, Charles Taylor, Toffler…
Dernier point et non des moindres, la place et le fonctionnement de la science qui actuellement, capte des informations avec ses appareils puis les structure pour servir diverses finalités comme gérer la société, utiliser la nature, modifier le vivant, créer des matériaux, déposer des brevets, pratiquer la compétition en publiant dans les revues. La nouvelle alliance place la science au service de la connaissance. Et la connaissance des choses, c’est l’accès pour chacun, s’il le veut, à la liberté et à un surcroît d’affranchissement sur le système de contrôle politique, idéologique, psychique et social.
15 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON