Le Nobel 2008 conforte la paternité française du virus du sida
Le sida et le cancer de l’utérus sont les deux sujets auréolés par l’édition 2008 du prix Nobel de médecine.
Avec Nicolas Sarkozy, la science française redémarre : déjà trois prix Nobel français en un an de mandat !
Évidemment, je plaisante (d’autant plus que l’attribution de prix Nobel n’est pas le premier critère de l’excellence de la recherche), mais avec l’attribution aux virologues français Françoise Barré-Sinoussi (61 ans) et Luc Montagnier (76 ans) du prix Nobel de médecine ce 6 octobre 2008 (partagé avec le virologue allemand Harald zur Hausen, 72 ans) et celle du prix Nobel de physique 2007 au physicien français Albert Fert (partagé avec le physicien allemand Peter Grünberg), c’est la France qui est (entre autres) à l’honneur depuis un an.
Prix Nobel français
Aujourd’hui, on décompte en tout douze chercheurs français (ou d’origine française) à avoir obtenu le prix Nobel de médecine, ce qui situe la France au quatrième rang derrière les États-Unis (évidemment), la Grande-Bretagne et l’Allemagne.
Depuis le début de la Ve République, le prix Nobel a été attribué à 21 Français (prix parfois partagé) : sept sous de Gaulle (dont Jean-Paul Sartre qui l’a refusé), un sous Pompidou, deux sous Giscard d’Estaing, quatre sous Mitterrand, quatre sous Chirac (dont l’écrivain sino-français Gao Xingjian) et (déjà) trois sous Sarkozy. Soit environ un tous les deux ans.
La science est évidemment sans frontière et internationale, et ne peut être réellement efficace que dans le cadre de collaborations internationales. Cependant, étant donnée la faiblesse des mécanismes pour construire une recherche réellement européenne, ce sont les décisions de chaque État qui donnent les moyens (ou pas) aux équipes scientifiques, soit par la mobilisation de fonds publics, soit par la possibilité de collecter des fonds privés.
Mais laissons de côté la plaisanterie initiale de mauvais goût et reprenons le sens important de l’attribution de cette année.
Travaux récompensés
Il récompense deux découvertes très différentes :
1. Les travaux sur le virus responsable du sida pour les deux chercheurs de l’Institut Pasteur. Je vais m’y attarder.
2. Les travaux sur les causes du cancer du col de l’utérus pour le virologue allemande, travaux qui ont abouti à la commercialisation d’un vaccin en 2006 contre les papillomavirus humains impliqués dans ce type de cancer (deuxième cancer le plus répandu chez les femmes).
Découverte du virus du sida
Concernant plus précisément la recherche sur le sida, le jury de l’Institut Karolinska (qui sélectionne le ou les lauréats) a, semble-t-il, définitivement clos la longue controverse entre les équipes française (de Luc Montagnier) et américaine (de Robert Gallo) en ne retenant que la première sur la paternité du virus du sida.
En 1983, en effet, les deux équipes avaient isolé un virus et découvert son rôle majeur dans le sida (à l’époque tellement mystérieux qu’il s’appelait "gay syndrome").
Le rétrovirus isolé par Robert Gallo était impliqué dans les mécanismes d’une leucémie (et sans rapport avec le sida), mais cette expertise avait permis de caractériser le virus découvert par l’équipe de Luc Montagnier et, surtout, de l’associer au sida (selon la nomenclature, il fut appelé HIV, VIH en français).
Après quelques épisodes judiciaires (concernant les brevets sur les tests sérologiques de dépistage du sida), les deux équipes décidèrent finalement de se partager les redevances. Mais l’absence de Robert Gallo parmi les lauréats du 6 octobre 2008 conforte bien sûr l’antériorité des travaux de l’Institut Pasteur (ce qui ne veut pas dire que l’équipe de Robert Gallo n’a pas apporté beaucoup à la connaissance du sida).
Les deux lauréats aujourd’hui
Françoise Barré-Sinoussi est toujours en activité et dirige un laboratoire de l’Institut Pasteur où elle approfondit ses travaux sur le sida.
En raison de son âge, Luc Montagnier a dû prendre sa retraite en France, mais a pu poursuivre ses recherches et ses activités professorales au Queens College de l’université de New York pendant quatre ans (de 1997 à 2001).
Cette obligation pour un chercheur français de prendre sa retraite à 65 ans (éventuellement, par dérogation, à 68 ans) constitue une aberration législative (qui date du 13 septembre 1984 pour mettre notamment à la retraite Pierre Desgraupes, patron d’Antenne 2).
Certes, il est nécessaire de recruter de jeunes chercheurs, mais, souvent, un chercheur en fin de carrière a été le précurseur de nouvelles activités de recherche, de nouveaux laboratoires dont la réputation et les travaux tiennent souvent à sa seule personnalité (ce qui peut être regrettable, mais c’est la réalité).
L’empêcher de poursuivre ses travaux alors qu’il en a encore toutes les capacités physiologiques et mentales est d’autant plus navrant qu’il est alors tenté de continuer ailleurs, au grand dam de ses collègues.
Le sida, un grand désastre humanitaire
Ce prix Nobel va donc remettre les projecteurs sur un des grands fléaux de cette époque, le sida, qui touche près de 40 millions de personnes dans le monde soit environ une personne sur cent cinquante.
Plus de 2 millions de décès par an sont dus à cette maladie (dont 400 000 enfants) et 2,5 millions de nouveaux cas d’infections au virus HIV ont été observés en 2007. L’Afrique subsaharienne est principalement touchée (pour deux tiers des personnes contaminées dans le monde). Les statistiques sur le sujet sont effarantes.
En France, environ 130 000 personnes sont infectées, dont 30 000 avec la maladie déclarée. Plus de 6 000 contaminations par an y ont été recensées. Un quart des personnes nouvellement contaminées l’ont été par des rapports hétérosexuels et la quasi-totalité des femmes contaminées aussi par des rapports hétérosexuels.
Où en est la recherche contre le sida ?
Les derniers travaux de l’Institut Pasteur sont encourageants même si rien n’est encore vérifié puisque les tests cliniques ont à peine commencé.
1. Le rôle de certaines cellules a été mieux compris sur des personnes infectées par le virus HIV et qui ne développent pas la maladie sans traitement malgré plus d’une dizaine d’années de séropositivité (parfois depuis vingt-cinq ans).
2. La manière du virus HIV pour contourner les mécanismes de défense des cellules infectées. Ces travaux pourraient améliorer l’efficacité des traitements contre le sida.
3. Un candidat-vaccin a obtenu des résultats encourageants chez l’animal. Il s’agit d’introduire trois gènes du virus HIV dans le génome du virus atténué de la rougeole. L’objectif est de réaliser un vaccin peu coûteux et largement distribué, ce qui est le cas du vaccin contre la rougeole. Il serait alors à visée pédiatrique dans la mesure où les adultes sont déjà vaccinés contre la rougeole.
4. Un autre candidat-vaccin est en étude pour les patients déjà infectés par le virus du sida. Il aurait pour but de restaurer les défenses immunitaires. Il a déjà montré des effets encourageants chez la souris et chez le macaque.
Attention aux faux espoirs
Si tous ces efforts promettent quelques succès dans la prévention ou le traitement des personnes infectées par le virus du sida, il faut répéter que rien n’est encore démontré sur leur efficacité (les tests cliniques, donc sur l’homme, ont encore à peine commencé). Beaucoup d’obstacles peuvent encore se dresser avant la commercialisation.
J’avais évoqué l’année dernière le cas d’une découverte intéressante qui pouvait révolutionner le traitement des maladies virales, mais il faut toujours rester prudent sur ces sujets hautement sensibles (des malades sont là, souffrent, espèrent et désespèrent).
Dans tous les cas, le meilleur moyen de se soigner contre le sida, c’est d’abord de ne pas en être contaminé. Et c’est possible.
Alors, surtout, protégez-vous, continuez à vous protéger, vous et, par ricochet, ceux que vous aimez.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 octobre 2008)
Pour aller plus loin :
Les récentes découvertes de l’Institut Pasteur concernant le sida.
Un nouvel espoir contre le sida ? (31 octobre 2007).
Réflexions sur l’attribution des prix Nobel (17 octobre 2007).
La découverte du virus responsable du sida.
Le fameux premier article publié par l’équipe de Luc Montagnier sur le virus du sida :
Barré-Sinoussi F, Chermann JC, Rey F, Nugeyre MT, Chamaret S, Gruest J, Dauguet C, Axler-Blin C, Vézinet-Brun F, Rouzioux C, Rozenbaum W, Montagnier L., « Isolation of a T-lymphotropic retrovirus from a patient at risk for acquired immune deficiency syndrome (AIDS). », dans Science, n° 220, 20 mai 1983, 4599, p. 868-71.
Documents joints à cet article
20 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON