Obama ne pourra promettre la Lune... et encore moins Mars
Ce pauvre Barack Obama : à peine élu, on lui demande de résoudre les problèmes de la terre entière. Son prédécesseur laisse derrière lui un bilan tellement catastrophique, dans tous les domaines, que la tâche du nouvel élu demeure ardue sinon quasi impossible. Tout le monde en est conscient. L’économie, en priorité, qui demande une action énergique et sur une grande échelle, la diplomatie, où s’est enferré W.Bush, aussi bien en Europe, avec la Georgie, ou les missiles déployés en Europe, mais aussi l’Amérique du Sud avec les barbouzeries des ambassades boliviennes et colombiennes, enfin l’Irak, l’Afghanistan et aujourd’hui le Pakistan, dont on ne voit pas l’issue du tunnel. Passe pour la terre encore, se dit-on, mais que va-t-il bien pouvoir faire pour la Lune ?
Car il reste encore un domaine où Obama devra très rapidement prendre une décision cruciale : celle du domaine de la conquête spatiale qui engage un pays pour plusieurs décennies. L’affaire se résumant à deux choix drastiques, entre la prolongation ou non de l’usage de cet engin vieillissant et dangereux qu’est la navette spatiale, et la poursuite de la construction ou non de la capsule Constellation, cette capsule Apollo-bis choisie à la place d’un véritable planeur spatial. Avec au milieu du débat un sujet fondamental, celui de l’objectif premier de la recherche spatiale : doit elle davantage privilégier la proche banlieue terrestre, et donc entretenir au mieux une station internationale, au quel cas il lui faut toujours une navette, ou doit-elle foncer dans le vide spatial à la conquête d’un satellite ou d’une autre planète, grâce à une sorte de cabine Apollo agrandie et modernisée ? Un engin bâtard, que cette cabine Constellation, fortement contesté par les scientifiques. Pour l’instant, ça démarre mal pour lui : le premier test de ses parachutes (il y en a 10 !) effectué le 28 août dernier a lamentablement foiré. Heureusement, son premier vol n’est pas prévu avant... 2014, cela laisse du temps pour mettre au point son atterrisage, à défaut de résoudre ces problèmes de décollage, comme nous allons le voir... L’engin n’est pas maudit, mais... ça n’en n’est pas loin.
L’enjeu est de taille : c’est soit mettre en priorité le rôle de la station orbitale, plutôt à vocation pacifique, et qu’il faudra bien finir un jour, les russes étant les seuls à proposer avec leurs Progress (et avec les Européens et leur module automatique ATV assez réussi) un engin pour la ravitailler en cas d’abandon de la navette, soit choisir de débarquer sur la Lune....une option plutôt "militaire" sur laquelle les Chinois ont jeté leur dévolu... Suivis quelques mois après par l’Inde, qui vient juste elle aussi de lancer un satellite lunaire. (ce samedi 8 novembre). Les américains s’y sont pris trop tard pour remplacer leur navette, et le "trou" entre la future retraitée et sa (plus petite) remplaçante risque de devenir un problème sérieux, en devenant totalement dépendants des russes ou des européens pour accéder àl ’ISS. Et ce pendant plusieurs années encore ! Au point que ces derniers temps les sénateurs US ont fait remarquer qu’une partie du Budget de la NASA servait à financer l’astronautique russe, ce qui est exact car les USA louent désormais les services des cargos automatiques russes, faute d’avoir suffisamment de navettes pour fournir l’ISS !
La NASA s’est elle-même enferrée dans ses problèmes de crédits et de choix technologiques, et son avenir est sombre. Fort sombre. Question budget, il faut en effet entre 2,5 et 4 milliards de dolllars rien que pour continuer à utiliser la navette jusqu’en 2010. Et la NASA ne les a pas, et quand bien même elle les aurait, se serait une rallonge ponctionnée sur les autres programmes en cours, obligatoirement. Les budgets, là comme ailleurs, ne sont pas élastiques, et ces derniers temps, à la NASA, la mode était plutôt aux économies. Sa remplaçante ne sera pas prête avant 2015, la navette s’arrêtant "de vieillesse" en 2010, cinq années manquent à l’appel pour ravitailler l’ISS. Faut-il donc continuer à miser sur la station internationale ou aller sur la Lune voir ce qu’on y a déjà vu ? Voilà donc Barack Obama confronté à un sérieux problème : remettra-t-il en cause les ambitions spatiales démesurées de son prédécesseur ? Se rendra-t-il compte que l’heure n’est déjà plus d’aller sur Mars ? Depuis Abott et Costello, le sujet est l’objet de sarcasmes, il est vrai, aux USA. Quel conseiller compétent osera lui faire un rapport engagé sur la question préconisant l’abandon des ambitions martiennes ? En possède-t-il un ? Ou devra-t-il compter sur Buzz l’Eclair pour s’occuper de tout ça ?...
Il lui faudra faire vite, car même en 2015, dans l’état actuel des choses, la NASA n’est pas sûre de pouvoir lancer son module Constellation : sa fusée porteuse Ares est victime d’un grave problème de vibrations qui semble quasi insoluble à ce jour : dans l’état actuel des choses, les astonautes n’arriveraient même pas à lire leurs écrans de contrôles de leur cockpit, secoués à l’intérieur comme des pruniers. Les forces induites calculées seraient de 5 à 6 G !!! Aujourd’hui, la NASA se bat pour équiper son lanceur Ares d’absorbeurs de chocs, consistant en la répartition d’autres masses à bord... impliquant une baisse de rendement de la fusée qui ne pourrait pas délivrer en orbite ce qui était espéré. Pour l’instant, le problème demeure insoluble, et semble être lié aux choix qui ont été faits pour construire la fusée. Lors de l’explosion de Challenger, le 28 janvier 1986, l’un des boosters similaires à celui du premier étage d’Ares version 1 avait finit par cogner sur le réservoir central, à la suite d’une rupture d’un de ces anneaux de maintien de ces quatre différentes sections, mais les vibrations ont bien été aussi en partie responsables de la catastrophe. Au décollage, ces vibrations et le bruit qu’elles induisent ou renforcent sont bien visibles et audibles jusque dans le cockpit, même avec un casque de cosmonaute censé fortement atténuer le seuil sonore !
En fait, c’est clair, à la NASA, pour le projet Constellation, on a fait du neuf avec du vieux et des bouts empruntés au programme Apollo et d’autres pris à la Navette actuelle ! Son premier étage se résume en effet dans sa version 5 à deux boosters à poudre, comme ceux de la navette, accolés à un réservoir de Lox (de l’oxygène liquide) et d’Hydrogène comme celui de la navette actuelle, mais se terminant par ses propres tuyères, et c’est leur interaction avec les boosters à poudre qui produit ces fameuses vibrations incontrôlables. On a voulu faire simple et à l’économie, on se retrouve avec le problème de la gigantesque N1 soviétique, qui n’a jamais marché droit, en raison d’un choix catastrophique de tuyères, trop nombreuses (30 au total !), trop petites et surtout ingérables en même temps. Les russes ne savaient pas faire les immenses tuyères d’éjection de la Saturn 5, faute d’avoir réussi à développer des turbo-pompes monstrueuses. Et encore moins fabriquer un ordinateur de bord fiable pour les piloter. Toutes explosées, les N1 successives (il y en aura 4 exemplaires de construits sur 12 de programmés au départ) finiront en pièces détachées recyclées en kiosques à musique ou en garages à Ladas !
A la limite, la NASA aurait rebâti sa Saturn telle quelle qu’elle disposerait 50 ans après ou presque d’un lanceur performant : or cela, justement, les russes le font, en s’évertuant à lancer méthodiquement la même fusée ou presque depuis 1957... Dans le domaine de l’espace, les sommes engagées et les moyens sont tels que le plus souvent c’est la tortue qui finit pas gagner devant le lièvre. Le lièvre Appolo a permis d’aller sur la Lune, mais c’est tout : les deux derniers modèles de Saturne V, pourtant construits, n’ont jamais servi, car les américains ont arrêté d’aller sur la Lune... faute de crédits suffisants, le public s’étant complètement désintéressé de la conquête lunaire au bout de deux ans seulement. Ironie du sort, les énormes moteurs de la Saturne sont quand même présents sur l’Ares. Mais pas où on les attend, et à un seul exemplaire par fusée ! Sur l’Ares V qui servira à Constellation, le moteur unique qui est au second étage est bien en effet celui issu du premier étage de l’ancienne Saturne V, et son modèle revu et corrigé J2S est bien une simple continuation des études sur le J-2, le moteur qui avait été développé il y a... cinquante ans pour Saturn et qui n’avait lui jamais volé. Les américains qui s’étaient pendant des années tant moqués de la rusticité du lanceur russe remettent en selle un moteur datant de l’époque de ses tous premiers vols : comprenne qui pourra.
Le fait de bricoler à la hâte à partir d’éléments existants provient aussi en fait de la fermeture de crédits de l’administration Bush, qui a enterré un nombre incroyable de projets astronautiques pour privilégier son fameux projet martien, dont par exemple celui du RLV, pour Reusable Launch Vehicle. Dont faisait partie le magnifique X-33, prototype du futur Venture Star, un mort né, ou de la chaloupe de sauvetage X-38, reprise directe d’un vieux lifting body bien connu, le X-24A. Une fois le X-38 rejeté, les américains ne disposent plus que des Soyouz russes (enfin passés au tout numérique !) en cas de pépin sur l’ISS : on l’a bien vu dernièrement, le 16 juin, ou une panne électrique géante sur la station avait préparé ses occupants à rentrer sur terre de cette façon, via le module Soyouz de secours.. car Atlantis était à plein de cosmonautes.
Auparavant, les HL 20 de 1992 et le HL 42 auraient pu réprésenter des solutions viables si elles avaient été jusqu’au stade de prototype. Ces derniers avaient pas mal emprunté aux prototypes russes BOR, à vrai dire. Les quatre projets SLV ou OSP (tel l’Orbital Space Plane) des années 2000 ont également été supprimés par l’administration Bush, Constellation reprenant en grande partie une des propositions, nous dirons la moins imaginative. De ces projets, seul subsiste le cargo X-37B, qui est automatique et qui devrait être lancé en 2009 juché sur une Atlas V. L’engin, sous la forme d’une version au 1/85 eme, a été lancé du White Knight de Burt Rutan, mais a été cédé depuis à la DARPA, en 2004 : il ne fait plus partie de l’inventaire civil mais va donc bientôt faire la joie des seuls militaires ! Il n’empêche : au final, la navette actuelle est bel et bien en fin de vie (elle date de 1977 !), sa fin est programmée depuis longtemps pour 2010. Or sa remplaçante n’est prévue que pour 5 ans après... si on arrive à la lancer comme prévu à cette date ! Ce qui n’est pas sûr du tout ! Le programme de lancements pour l’ISS risque même de ne pas être tenu auparavant !
Pour ce qui est de la remplaçante de la navette, en effet ce n’est guère plus enthousiasmant. L’engin construit par Lockheed, sera beaucoup plus petit, certes, mais il est surtout handicapé par son lanceur, le même que pour Constellation. Certains poussent même carrément à l’abandon de la fusée Ares comme vecteur de son lancement, en faveur de l’Atlas V401, dérivée de l’Atlas V, la championne des mises en orbite de satellites de la CIA. En réalité, c’est un entrepreneur privé, Bridgelow Aerospace, qui souhaite faire des hôtels en orbite (eh oui !) qui en a eu l’idée pour lancer ses modules de ravitaillement et ses clients-cosmonautes. Dès l’accord passé, tous les observateurs ont commencé à dire que l’Atlas était parfaite pour les deux rôles et n’avait jamais posé problème.. au contraire de... l’Ares dans laquelle la NASA s’empêtre à n’en plus finir. Ne reste plus qu’à construire une tour munie d’un ascenseur pour amener à plus de 80 m du sol les futurs clients... l’avantage de l’Atlas, c’est qu’elle existe déjà et fonctionne très bien... alors que l’Ares est toujours en 2008 au stade de sa construction ! Pendant ce temps les Russes ont fait eux aussi une proposition de navette de taille assez similaire, l’élégant Kliper, qui ne demande qu’un coup de pouce de l’Europe, à moins que les Chinois ne sautent sur le projet, leur véhicule spatial actuel étant un clone de Soyouz russe. L’engin devrait être prêt dès 2012. Soit trois ans avec son équivalent US.
Obama devrait donc au plus vite abandonner les rêves Bushiens de conquête de la Lune et de Mars, et revenir à des choses plus censées pour la planète, en priorité le maintien et l’extension de la station internationale, ainsi que de son ravitaillement et de son entretien. Le hic, c’est que la Chine va venir troubler tout cela : dans peu de temps les chinois devraient réaliser une orbite circumlunaire, et dans moins de dix ans y alunir. Leur projet est clair. L’avenir dira quelle option exacte il aura pris, et si les américains les auront suivis. Certains ont une opinion différente de la mienne sur le sujet, explicable par cette concurrence chinoise : "here is the opinion : the ISS should be turned over to anybody that is interested, the Space Shuttle should be retired, and the moon base should be the priority. There would be no manned NASA launches until 2015 at the earliest. Time to move on." Mais le résultat s’il est différent revient au même dilemme pour le nouveau président des Etats-Unis : que privilégier ? La Lune, puis Mars, ou la station orbitale ? L’ISS, depuis son premier module Zarya qui date du 20 novembre 1998 n’a eu que fort peu de hauts et beaucoup de bas. Elle fête ses 10 ans, en étant peut-être sur le point de disparaître au profit de projets plus que discutables. Triste constat.
Ce qui est notable, déjà, c’est que la récession qui arrive sonne semble-t-il le glas d’une expédition vers Mars, bien trop coûteuse et comportant bien trop d’aléas techniques non encore résolus (à voir les déboires de recyclage d’urine on se dit que l’expédition sur Mars avec des bouteilles d’eau de supermarché, c’est pas joué).. La première décision censée d’Obama serait d’annoncer l’arrêt de l’espoir de mettre le pied un jour sur la planète rouge, où il n’y a rien à voir qu’on ne sache déjà via les sondes automatiques envoyées depuis des années. Pour lui, le choix s’avèrera très difficile. Kennedy avait choisi l’option lunaire, pour redynamiser une nation toute entière, dans un contexte économique il est vrai bien meilleur. On verra bien si Barack Obama, à propos de la conquête de Mars, arrivera à dire à ses concitoyens : "no, we can’t".
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