(et non pas les privilèges des chercheurs)
Dans un article intitulé « Recherches : les œillères du réformisme », publié dans Le Monde du 19 février 2008 quatre chercheurs au CNRS, MM Daniel Benamouzig, Philippe Bezes, Pierre Lascoumes et Patrick Le Lidec se plaignent amèrement que l’éminent économiste, conseiller à l’Elysée, « Bernard Belloc mentionne des "données officielles" selon lesquelles "30 % des chercheurs des SHS [sciences de l’homme et de la société] ne publient jamais rien dans leur vie même pas dans La Dépêche du Midi" (Les Echos, 28 janvier 2008) . ». Et encore ne parle-t-il pas de ceux qui ne publient que des articles sans intérêt, des redites (pour ne pas dire des plagiats), des articles de vulgarisation etc. juste pour faire apparaître une liste de publications dans leurs CV ou dans leurs rapports. Et n’oublions pas ceux qui signent les articles de leurs étudiants ou de chercheurs indépendants ou moins gradés qu’eux.
Nos quatre auteurs esquivent (comme d’ailleurs beaucoup d’autres qui veulent voler au secours du CNRS) le vrai problème qui est celui des méthodes de recrutement du CNRS : Dix minutes d’audition ! Imaginons que l’on entre dans les grandes écoles (que notre quatuor critique) ou que l’on obtienne l’agrégation au bout de dix minutes d’audition ! La France serait dans un état de sous-développement avancé. Dix minutes d’audition ! Et on ose appeler cela un concours ! Il est plus difficile de devenir aide-soignant dans un hôpital que d’entrer au CNRS. Car pour devenir aide-soignant il faut passer un vrai concours, avec des épreuves écrites, le nom des candidats étant caché sous un rabat. Dix minutes d’audition, c’est la porte ouverte à toutes les manœuvres : clientélisme, népotisme, piston et arrangements du style ; « je soutiens ton poulain, tu soutiens le mien ». Ce n’est certes pas toujours le cas, mais la possibilité en est donnée. Or le concours d’entrée au CNRS devrait être encore plus difficile que les plus difficiles des concours comme celui de l’école Polytechnique ou celui de l’école Normale supérieure. Les plus difficiles des concours, en effet, ne demandent aux candidats que la maîtrise des connaissances actuelles, tandis qu’au chercheur on demande de faire des découvertes, c’est-à-dire d’aller au-delà des connaissances actuelles. En tout cas on est étonné de lire sous la plume de nos quatre signataires que les chercheurs sont « recrutés depuis plus de quinze ans sur des critères très sélectifs ».
Que 30 % des chercheurs en SHS ne produisent rien ne serait pas une catastrophe s’il n’y avait un autre problème : on devient chercheur à vie. Résultat on ne peut plus se débarrasser de ces pseudo-chercheurs qui, eux-mêmes protégés par la titularisation, ne sont pas incités à « produire ». Et même les chercheurs féconds ne sont productifs que pendant un temps limité.
Et notre quatuor d’ajouter qu’en matière de SHS « la France peut se prévaloir d’un héritage prestigieux ». Un héritage, certes ! Mais qu’en reste-t-il ? Quand j’étais étudiant il y avait Lacan, Foucauld, Ricœur, Derrida, Barthes, Althusser, Aron, Bourdieu, Dumézil, Deleuze, Greimas, Vernant, Martinet et j’en passe. Qui y a-t-il aujourd’hui à part à part des survivants de cette époque comme Lévi-Strauss de (100 ans depuis novembre dernier !) ou Michel Serres. Pas grand monde. Le renouvellement n’a pas été assuré. C’est bien là la preuve qu’il y a un problème de qualité de recrutement.
Si ces messieurs veulent sauver le CNRS, ils doivent accepter de le réformer pour lui redonner sa crédibilité. Il faudrait :
1. supprimer la titularisation, supprimer les chercheurs à vie ; les chercheurs seraient recrutés sur projets pour des périodes de 2 à 5 ans, renouvelables au vu des résultats obtenus,
2. établir un vrai concours avec des garanties d’objectivité et d’anonymat.
Patrick Kaplanian