Une arme peut-elle être inoffensive ?
Une nouvelle génération d’armes arrive sur le marché : se revendiquant non létales, elles devraient révolutionner nos sociétés... Est-ce bien sûr ?
Comme le commun des mortels, le fait de supprimer la vie d’un humain m’affecte profondément, et si certains, pourtant, n’hésitent pas à le faire (qu’ils fassent partie de ceux qui maintiennent l’ordre ou de ceux qui le troublent), la préservation de la vie humaine est sans doute une valeur universelle que certains pays semblent parfois oublier (par exemple, la Chine et l’Iran).
Cette introduction est bien lourde et toutefois nécessaire à ce qui va suivre.
Une société américaine qui construit des armes pour les forces de l’ordre (7,9) va en effet commercialiser une balle non létale (1).
Techniquement, l’objet est assez simple à comprendre.
S’adaptant dans les pistolets ou carabines actuels de calibre 12 mm, le projectile, envoyé à une vitesse moyenne (environ cent mètres par seconde), ce qui ne devrait pas faire très mal (vitesse des billes en plastique), envoie à la cible humaine une décharge électrique de cinquante mille volts avec une très faible intensité (deux milliampères).
La décharge ainsi créée déconnecte alors les motoneurones du cerveau, paralysant les muscles de la "proie" pendant vingt secondes, le temps d’arrêter les suspects.
La cible reste consciente, peut parler, mais ne peut plus bouger. L’effet est très désagréable, même douloureux, mais sans conséquence.
En effet, aucune séquelle n’est constatée par la suite, selon cette entreprise, qui évalue à douze millions le nombre de projectiles tirés par an dans le monde.
Ces balles pourraient ainsi équiper les armes du GIGN, du RAID, de l’armée française... et renforcer la prévention des "bavures" policières lors de l’arrestation de suspects.
« L’art de la guerre c’est de neutraliser l’ennemi, pas de le tuer », précepte du stratège chinois Sun-Tzu, deviendra alors la devise des forces de l’ordre.
Faut-il m’en réjouir ?
Dans un premier temps, oui.
Contrairement à ce que je peux craindre, une arme dotée d’un tel projectile est aussi dissuasive qu’une arme létale. En effet, l’utilisation d’une précédente arme utilisant le même type d’effet (décharge électrique non mortelle) a montré que les suspects se rendaient aussi facilement qu’avec une arme classique.
Donc, la possibilité d’éviter la mort (volontaire ou involontaire) lors d’opérations de police ou d’armée me paraît résolument un progrès humain considérable.
Dans un second temps de réflexion, ma joie peut être nettement plus réservée. Pourquoi ?
Si l’effet sur les suspects ne change pas (peur face à l’arme, etc.), l’effet sur ceux qui manient ces armes pourrait bien être négatif.
Effectivement, sachant qu’il n’y aurait aucune séquelle, le manipulateur de l’arme pourrait l’utiliser plus souvent que prévu, dédramatisant l’acte de tirer et plus généralement, la violence.
Amnesty international a, par exemple, protesté contre la banalisation au Canada de ce type d’arme non létale (5) utilisées sur des écoliers agités et sur des malades mentaux (3).
Le maire d’une commune francilienne a ainsi équipé sa police de ce type d’arme, la considérant comme « une arme idéale dans la mesure où les agents ne sont plus inhibés par la crainte de tuer quelqu’un » (4).
Par ailleurs, cette arme ne serait pas si inoffensive que cela : elle serait potentiellement dangereuse dans certains cas exceptionnels, comme le port, par le prévenu, d’un pacemaker ou, plus généralement, des cas de problèmes cardiaques (6).
En 2004, CBS avait recensé quarante cas mortels depuis 2001 dû à cette arme, et un quotidien d’Arizona soixante-treize morts (4). Le journal Libération en avait décompté deux cents douze le 26 mars 2007 (2).
Mais aucune enquête n’a pu mettre en évidence la causalité entre l’utilisation de ces armes et la cause de ces morts (souvent dues à des overdoses), et certains médecins ont affirmé le caractère inoffensif de ces armes et l’absence « d’interférence entre [l’arme] et la pile cardiaque » (Le Magazine de la santé au quotidien du 21 novembre 2006, sur France 5).
Cela dit, en cas d’utilisation abusive de ce type d’arme, il serait bien difficile de prouver quoi que ce soit face à un tribunal.
Élément supplémentaire de réserve, l’absence de réglementation sur ces armes permet à de nombreux particuliers de s’en procurer, notamment des truands.
Bref, si cette arme devenait seulement un outil de brutalité préventive, loin d’être une avancée pour le respect de la vie humaine, ne risquerait-elle pas de faire évoluer les pays démocratiques vers une société de plus en plus policière et de plus en plus "cadrée" ?
Je n’ai pas d’avis définitif sur la question, sinon que le principe de cette arme est tentant et qu’il serait indispensable de bien l’encadrer (et de bien encadrer ceux qui s’en serviraient).
Mais ce qui m’a essentiellement exaspéré, c’est que la lecture de la dépêche de LCI (1) publiée le 20 août 2007, dont le titre était prometteur (« D’ici 5-10 ans, on ne tuera plus les gens ») ne m’a donné aucun élément dissonant pour me forger ma propre opinion.
Méfiez-vous des dépêches et de ce qu’on vous raconte... mais ça, je le savais déjà !
(1) Interview du patron de l’entreprise qui fabrique ces projectiles.
(2) Pistolet à impulsion électrique.
(3) Usage abusif de l’arme électrique au Canada.
(4) Les méfaits des armes électroniques.
(5) Quand j’évoque ce type d’arme, je parle des armes délivrant des décharges haute tension sur les cibles, que ce soit sous forme d’un pistolet à impulsion électrique ou d’une arme classique utilisant les projectiles dit non mortels, dernière innovation en date.
(6) 70 morts supposées en Amérique (en anglais).
(7) Site de la société qui fabrique ces armes (en français), bien documenté.
(8) Enquête d’un journaliste indépendant.
(9) Sur la société qui fabrique ses armes (en anglais).
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