Vers une théorie quantique objective ?
La mécanique quantique a fait de nombreuses apparitions sur ce blog au fil des ans, mais le plus souvent dans son acceptation classique, dite de Copenhague, qui dit que tant qu’une particule n’est pas observée elle n’existe que sous la forme d’une « fonction d’onde » décrivant tous ses états possibles à l’instant t.
Cette interprétation, qui n’était d’ailleurs pas acceptée par Einstein, date de 1927 et fut proposée par Niels Bohr pour un ensemble de raisons décrites par exemple ici (1). Cette approche reste encore aujourd’hui la principale façon d’interpréter la réalité quantique, mais elle souffre depuis toujours d’un mal mortel : l’univers s’est développé bien avant l’apparition d’un observateur, donc les fonctions d’ondes des premières particules se sont bien condensées en de « vraies » particules toutes seules, qui du fait de la gravité ont ensuite commencé à former gaz, poussières, etc… Si l’interprétation de Copenhague était fondamentalement vraie, rien ne pourrait jamais se passer et l’univers ne serait que virtuel, un champs de fonctions d’ondes. Ce qu’il n’est pas, à moins qu’il ne soit qu’une simulation mais c’est un autre sujet (2).
Ce problème n’a échappé à personne et deux grandes alternatives à l’interprétation de Copenhague existent depuis longtemps : d’une part l’idée que la fonction d’onde n’est pas une description complète de la réalité et qu’il existe d’autres variables qui agissent mais que nous ne connaissons pas. Cette route mène à des incompatibilités avec d’autres lois fondamentales, notamment la limite de la vitesse de la lumière. D’autre part l’idée dite des multivers, où chaque particule existe en fait « en vrai » dans autant d’univers différents qu’elle a d’états possibles. Cette approche n’est pas satisfaisante car a priori improuvable et philosophiquement encore plus compliquée que Copenhague.
Une troisième voie fut initiée dans les années 70 avec l’idée que le fonction d’onde pourrait se condenser naturellement sans observateur, moyennant une modification à l’équation dite de Schrödinger, celle qui définit cette fameuse fonction d’onde et qui « marche », mathématiquement parlant, de manière impeccable depuis sa création dans les années 20. Cette voie pose, ou posait jusqu’à peu, plusieurs problèmes et notamment celui de ne pas fonctionner en mode relativiste – pour des objets à très haute vitesse – handicap rédhibitoire pour toute théorie moderne.
Cette situation a recommencé à évoluer voici cinq ans, quand des théoriciens tels Daniel Bedingham de l’université d’Oxford et Roderich Tumulka de l’université Rutgers au New Jersey, se mirent à développer une version relativiste de la théorie dite « théorie quantique objective ». Avec un certain succès, au point où aujourd’hui elle est en passe de devenir une réelle alternative à l’interprétation de Copenhague. Outre le fait d’évacuer le fameux problème de l’origine de l’univers tel présenté en début d’article (quel observateur permit à la première particule de se condenser ?), cette approche simplifie un certains nombre d’autres problèmes liés à la condensation de la fonction d’onde sans observateur mais son plus grand impact pourrait être de proposer une origine à l’énergie noire.
Cette énergie, connue depuis la fin du 20ème siècle et régulièrement à l’affiche de ce blog (3), est ce qui fait que l’univers est en expansion (et même en expansion très rapide) malgré la gravité. Sa nature est parfaitement inconnue et reste un soucis majeur de la communauté des physiciens et cosmologistes. Dans le modèle quantique classique, l’énergie du vide n’est pas du tout dans les ordres de grandeurs requis. Daniel Sudarsky, de l’université de Mexico, en partenariat avec les chercheurs Thibaut Josset et Alejandro Perez de l’université de Marseille, proposent que la théorie quantique objective donne un résultat beaucoup plus proche des grandeurs requises : chaque condensation d’une fonction d’onde génère une information, un petit montant d’énergie dont la somme pourrait être cette fameuse énergie noire. La démonstration reste encore incomplète à ce jour mais pourrait s’avérer très intéressante.
Sudarsky, qui travaille sur la théorie quantique objective depuis le début des années 2000, a également copublié avec Elias Okon un papier montrant en quoi cette approche pourrait expliquer pourquoi l’univers a débuté sa vie avec une très faible entropie (l’entropie augmentant au fur et à mesure que l’énergie se disperse). Question importante car l’entropie est ce qui donne la flèche du temps.
Reste à élaborer des expériences à même de tester ce concept. D’abord où est la limite ? Il est évident que les objets macroscopiques n’ont pas de fonction d’onde, mais une expérience autrichienne en 2013 a réussi à « maintenir en vie » une fonction d’onde correspondant à une masse de 20 million d’électrons. Selon la théorie objective, il doit exister une masse limite au-delà de laquelle la condensation se fait automatiquement. Ceci est testable en principe, et sans doute bientôt en pratique.
Il est donc possible que d’ici quelques temps nous disposions d’une théorie quantique objective, libérée de Copenhague mais tout aussi fonctionnelle, et en même temps d’une source crédible pour l’énergie noire. Nul doute, il y aurait du Nobel à la clé !
Notes :
(2) https://rhubarbe.net/2015/05/25/etre-ou-ne-pas-etre-une-simulation/
(3) https://rhubarbe.net/2012/06/05/lenergie-noire-une-forme-de-magnetisme-ancien/
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