Je vais tenter de préciser mes arguments et dissiper la confusion.
Cas des machines à vapeur
Je te laisse bien volontiers Héron d’Alexandrie ("il n’a jamais servi à rien, c’était juste pour comprendre comment ça fonctionnait ... de la recherche fondamentale") si tu me laisses James Watt & consors, Oliver Evans, Jacob Perkins, Marc Seguin et Goldsworthy Gurney.
Certes Watt et Gurney ont commencé leurs travaux à l’Université (d’Edimbourgh pour l’un, du Surrey pour l’autre) mais à l’inverse Oliver Evans est un pur autodidacte. Mais là n’est pas la question. Ils ont tous rapidement fondé leurs entreprises et c’est au sein de leurs entreprises que la recherche a progressé car les moyens financiers dont ils ont rapidement (à l’exception d’Evans) disposés ont permis de mener des expérimentations qu’ils n’auraient pu réaliser autrement (Perkins en particulier).
Et Papin me diras tu, et sa fameuse correspondance avec Huygens et Leibniz ? Papin a commencé par avoir des tracasseries de la part de ses collègues de l’Université de Marbourg puis il a eu un mécène privé (le landgrave Charles de Hesse). Mais lorsqu’il a perdu l’appui financier du Landgrave, ses recherches sont devenues particulièrement difficiles et il a fini sa vie dans la misère.
Cas des machines électriques
Je connais un peu moins, alors une seule question : Jacobi avait-il connaissance des travaux de Georg Simon Ohm ?
Certes Ohm a publié ces travaux en 1827, mais lui même n’a été reconnu qu’en 1833 et ses travaux de manière internationale qu’en 1841.
Et puis quand même une autre question, la connaissance de la nature du courant électrique, et sa modèlisation, étaient-elle indispensables à la construction du 1er moteur électrique ?
Cas de l’automatisme
Bon là je plaide coupable d’imprécision. Quelques dates :
- détecteur de vitesse à masselottes => James Watt,
- régulation automatique du niveau d’eau dans les chaudières haute-pression => à confirmer, mais je dirai Julien Belleville vers 1860,
- 1er servomoteur => Joseph Léon Farcot vers 1868,
- modélisation (approche système, boucle fermée, domaine fréquentiel, etc.) par Hendrik W. Bode et Viktor Broïda de 1950 à 1960.
Pour conclure je ne cherche pas à prouver la "victoire de l’appliqué sur le fondamental". Cela m’apparaît même carrément impossible dans les domaines du nucléaire et de l’informatique. Mais ce que je cherche à mettre en évidence c’est l’importance d’avoir une vision claire de la finalité de la recherche.
J’ai du mal à accepter, dès lors que le coût de la recherche est assumée uniquement par la collectivité, comme unique finalité le besoin de comprendre du chercheur et c’est pour cela que je préfère de très loin la recherche d’Oliver Evans à celle d’Héron d’Alexandrie.
Mais bien sûr, ce n’est qu’un point de vue personnel.
Article intéressant et argumenté, ayant le mérite de permettre le débat.
Concernant le risque "d’hyperprésidentialisation" que vous évoquez, je note que c’est déjà le régime de nombreuses écoles d’ingénieurs ou de commerce et qui se sont développées ces dernières années avec succès. Les lourdeurs administratives et décisionnelles des Universités sont telles qu’elles mènent à l’immobilisme.
Le mode de fonctionnement actuel de l’Université l’a amenée à rester enfermée sur elle-même, engoncée dans ses certitudes et à se couper progressivement des réalités.
Dans ce cadre, l’arrivée d’acteurs privés au sein du conseil d’administration ne pourra être que bénéfique. Le risque de main-mise du privé sur l’Université n’existe pas puisque ces acteurs resteront minoritaires au sein du CA. La justification de leur présence sera les flux financiers qu’ils voudront bien affecter à l’Université. Les acteurs privés sont prêt à financer la recherche universitaire, mais ils exigent logiquement un droit de regard sur l’usage qui est fait de leurs dons.
Ils n’ont pas vocation à décider ce qui doit être recherché ou pas, mais ils ont la liberté de soutenir financièrement la recherche dont ils espèrent un retour sur investissement. Votre appel à une indépendance totale devrait logiquement vous amener à condamner les contrats CIFFRE.
Au delà de ces divergences, il est un point qui m’interpelle dans votre article, c’est lorsque vous soutenez que la recherche fondamentale est à la source de l’innovation et que vous appelez l’histoire des sciences en tant que témoin.
L’histoire des techniques prouve le contraire :
- On a fait des machines à vapeur bien avant que Carnot ait énoncé les règles de la thermodynamique ;
- on a fait tourner des moteurs électriques bien avant que l’on ait compris la nature du courant électrique ;
- on a fait fonctionné des automates bien avant que les lois de l’automatique n’aient été énoncées ;
- et lorsque l’on regarde de près l’origine des inventions, on s’aperçoit que l’impulsion des acteurs privés a été systématiquement déterminante...exceptée en cas de guerre.
Les grands bienfaits de l’humanité que sont l’hygiénisme, le chaufage central et la découverte des antibiotiques ne sont pas les fruits de la recherche fondamentale.
Les grandes réflexions d’un Canguilhem ou d’un Darwin ne valent pas les découvertes d’un Flemming. Darwin n’a fait que donner une interprétation à des observations, la découverte de la pénicilline a sauvé des centaines de millions de personnes.
Il n’y a qu’en France que l’on a cette adoration des sciences "fondamentales", illustrant ainsi l’adage de Cauchy "Ce qui n’est pas compliqué, n’est pas sérieux.".
La véritable problématique de l’Université est qu’elle devient progressivement incapable de délivrer des formations permettant à ses étudiants de trouver des emplois. A partir de là, elle est appelée à évoluer et à se remettre en cause ou à à se rabougrir et à finir par disparaître. D’une certaine manière cela a déjà commencé. L’université d’Abelard était le 1er établissement d’enseignement supérieur en France. Les autres écoles de l’enseignement supérieur sont nées progressivement de l’incapacité de l’Université à répondre aux besoins de la société.
Merci pour ce "coup de gueule" exprimé fraichement et qui vous honore en ce qu’il montre une conscience professionnelle acérée.
Merci également à Mr Villach pour son témoignage.
Je vous rejoins sur plusieurs points :
- oui le latin et le grec peuvent être considérés comme des fondements de notre civilisation "latine" en opposition par exemple à la civilisation "anglo-saxone" ;
- oui le rôle structurant pour la pensée des lettres classiques est évident et important ;
- oui il est inacceptable que l’enseignement des lettres clasiques devienne un enjeu de sélection sociologique à visée élitiste ;
- oui l’EN est une administration qui, comme tant d’autres, a une inclination naturelle à préférer la résolution de ses petits problèmes d’organisation interne à la satisfaction des besoins de ses usagers : dans le ron-ron administratif d’une école, les perturbations viennent, dans l’ordre, des élèves, des parents et des enseignants ;
Mais j’ai aussi d’autres interrogations :
- les moyens dont dispose l’Etat pour l’Education sont limités (j’entends déjà "y’a qu’à en prendre ailleurs", où ? sur le budget des hopitaux ?, sur le soutien aux entreprises et donc à l’emploi ?) les moyens n’en resteront pas moins toujours limités ;
- dans mon établissement l’un des surveillants a un master 2 en histoire de l’art ; la différence entre son niveau d’instruction et de conscience et les fonctions que l’on attend de lui, le place dans un état d’insatisfaction permanent ; son prédecesseur était un sergent de l’armée à la retraite ! Former des gens auxquels la société ne pourra fournir d’emploi à hauteur de leurs compétences ne constitue-t-il pas un gaspillage de moyens ?
- en clair le but de l’instruction doit-il être l’ouverture d’esprit, l’élévation de la pensée et de la conscience ou la recherche des moyens permettant de satisfaire ses besoins ?
Je crois que Danton (que l’on ne peut soupçonner d’être conservateur) y a répondu : "Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple." => "APRES LE PAIN" !!!
Ce qui fait que je suis beaucoup plus réceptif, vous m’en excuserez, aux difficultés actuelles de l’enseignement professionnel ou à visée utilitariste qu’à celles des matières visant le développement de soi. Passer sa vie à faire des cordons de soudure ne nécessite ni connaissance du latin ni structuration de la pensée, mais la société a besoin de ce genre de métiers et cela permet aux soudeurs de gagner correctement leur vie. Mais la formation de soudeur a un coût elle-aussi.
Pour finir, je dirai que, à ressources constantes, la pression actuelle sur des matières telles que le grec, le latin, la musique et le dessin au collège (voire l’allemand) peuvent être interprétées comme l’une des conséquences de la massification de l’enseignement.
Doit-on le déplorer ? Probablement oui.
Y-a-t-il moyen d’allouer les moyens de manière plus pertinente ? Je ne sais pas.