La démocratie bourgeoise ne peut assurer non plus la paix nationale dans les pays devenus indépendants et renfermant des minorités nationales. C’est là la conclusion pratique de l’expérience de l’Ukraine : « La démocratie petite-bourgeoise ne peut se maintenir au pouvoir en Ukraine, car la lutte intestine la fractionna en partis adverses »8. La classe des intellectuels et la bourgeoisie, dans une nation qui s’affranchit, professent un nationalisme bourgeois agressif, et cela les amène à trahir la cause de la libération nationale, à passer dans le camp des impérialistes, auxquels ils achètent leur domination bourgeoise au prix de la liberté nationale. Les exemples sont légion : la Lettonie, l’Ukraine, la Finlande, la Pologne, l’Estonie, la Tchécoslovaquie, la Géorgie, le gouvernement moussavat de l’Azerbeïdjan, la Grèce. « l’Etat israélite de Palestine », l’Etat pseudo-national de Perse qui, de peur de la révolution soviétiste. s’est jeté dans les bras des Anglais, etc., Le nationalisme agressif de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers au sein des nations opprimées fait de ces dernières les Etats-tampons des puissances impérialistes contre la révolution. Par suite, le conflit social, l’antagonisme de classe se manifeste tout d’abord dans le domaine des intérêts nationaux : les masses laborieuses réclament l’indépendance nationale qui les délivre du joug social des impérialistes ; les milieux exploiteurs ont besoin de leurs privilèges de classe dominante et, comme le joug étranger a été, jusqu’à l’heure actuelle, un puissant moyen de conservation des formes les plus réactionnaires de l’exploitation de classe — en Orient, des coutumes féodales et patriarcales, — l’éveil révolutionnaire des masses laborieuses transporte la révolution, du terrain national, sur le terrain des relations sociales. La question nationale se pose comme une question d’inégalité de classe. La raison en est parfaitement compréhensible : si le capital industriel et la classe des intellectuels sont, les premiers temps, des protagonistes de la libération nationale, les grands propriétaires fonciers et la bureaucratie indigène sont les partisans déclarés de l’assimilation européenne. La révolution nationale dirigée contre les envahisseurs étrangers et les grands propriétaires fonciers indigènes pousse alors la classe marchande dans le camp de valets de l’impérialisme. Et ainsi la conclusion générale est claire : tous les mouvements nationaux-bourgeois dirigés par les milieux possédants, par les milieux des exploiteurs, ont une tendance objective à s’adapter à l’impérialisme, à entrer dans le système impérialiste des « grandes puissances », à se transformer en « Etats tampons » et en colonies. Au début, la tendance inconsciente purement historique de tous les mouvements nationaux-révolutionnaires des masses laborieuses, dans les colonies et dans les pays à demi asservis est de s’appuyer sur une organisation étatique révolutionnaire, une organisation de classe du prolétariat des pays avancés, pour s’assurer ainsi la liberté du développement national dans le système en formation de l’économie socialiste mondiale.
L’avènement des organes de la gestion révolutionnaire autonome des endjoumen lors de la première révolution persane, l’expérience des républiques soviétistes nationales de l’Orient, le début du mouvement paysan révolutionnaire en Orient, la naissance des mouvements communistes en Perse, en Turquie, en Chine, et aux Indes : tout cela prouve que les masses laborieuses de l’Orient marchent vers la fédération internationale des républiques soviétistes nationales.
Le communisme en Orient : La forme de la révolution en Orient
La. révolution « bourgeoise démocratique », en Orient, prend inévitablement la forme d’une révolution dynastique : elle élargit les privilèges des exploiteurs, mais n’allège aucunement le fardeau de l’exploitation pour les opprimés. La féodalité indigène ne fait qu’endosser la défroque de « la démocratie européenne ».
L’Orient, c’est l’histoire vivante. On y retrouve encore par endroits des survivances du régime communautaire primitif (clan, patriarcat), les coutumes patriarcales et féodales s’y sont conservées dans toute leur force. La religion de l’Orient est une religion à la fois sociale et politique. Elle consacre le régime civil et familial existant. Elle est le soutien direct de l’inégalité sociale. Elle joue à peu près le même rôle que le catholicisme au moyen âge. « Du point de vue musulman orthodoxe, l’État musulman théocratique est la communauté des croyants dont le représentant sur la terre est le « sultan » (souverain, dirigeant) ; celui-ci n’est rien de plus que le délégué de Dieu ici-bas, délégué ayant pour mission de s’occuper — conformément aux exigences de la « charia » (loi religieuse) — des affaires civiles et religieuses de la communauté qui lui a été confiée par Dieu ; pour cela, il reçoit, de même que les « amiliami » (collecteurs du « zakat », impôt rituel) et les autres serviteurs de la communauté, la modeste gratification de quarante kopecks par jour. Le « zakat » qui devrait être employé à aider les pauvres, les orphelins, les invalides, à mener la guerre contre les infidèles, qui devrait être affecté, en somme, aux besoins de la société et de l’Etat, est devenu, entre les mains des derniers souverains musulmans, un revenu personnel dont ils disposent à leur gré, sans contrôle aucun et d’une façon absolument illégale ; les troupes et même la milice populaire, créées pour guerroyer contre les infidèles, répandre par la force des armes l’Islam et protéger la communauté des ennemis extérieurs, se sont transformées peu à peu entre les mains des souverains, en gardes du corps opprimant le peuple et servant exclusivement les intérêts personnels ou dynastiques de ces souverains. La communauté musulmane s’est transformée en rayat, en troupeau d’esclaves dociles, muets »12.
La mainmise, durant une longue série de siècles, sur la plus-value totale du travail devait être un obstacle à l’extension de la production sociale et empêcher tout progrès technique et économique. L’éterpe13 primitive (ketmen), la charrue primitive (omatch) sont, actuellement encore, presque les seuls instruments agricoles du cultivateur en Asie Centrale. Là, le Capital s’est naturellement arrêté dans son développement ; il n’est pas allé plus loin que l’usure et le trafic des articles de bazar.
La loi religieuse (charia) définit ainsi le droit de propriété. « Tout ce que l’homme possède, que ce soit la chose elle-même ou ses fruits, c’est là la propriété (mulk) ». Cette définition est le décalque fidèle des formes primitives de la production : la religion reconnaît au propriétaire le droit de vendre les choses qui lui appartiennent, ainsi que leurs « fruits » ; elle lui reconnaît le droit d aliéner l’excédent du produit de ses biens naturels.
Toute une série de peuples de l’Orient ne sont pas encore complètement arrivés, dans leur évolution, à la vie agricole (Kirghizes, Turcomans, Arabes, peuplades de l’Inde septentrionale, Kurdes, etc...). Néanmoins, parmi ces peuples les survivances du régime communautaire primitif sont, depuis longtemps, devenues une source d’exploitation de la majorité pauvre par les riches chefs de clans. Comme exemple, nous citerons les Kirghizes des steppes. « Possesseurs d’une économie étendue, le Kirghize riche a déjà complètement renoncé au labeur physique ; il n’est plus que le dirigeant, l’administrateur ; ceux qui font son travail, ce sont les journaliers. Le nombre de ces derniers varie en moyenne de sept à neuf par économie, mais il y a des économies, où l’on exploite le travail de vingt ouvriers, et même davantage. Un phénomène curieux à observer dans l’économie du richard Kirghize, c’est l’union des traits caractéristiques du capitalisme contemporain avec ceux de la société nomade primitive... Le clan, malgré sa décomposition évidente, demeure encore, dans la conscience du Kirghize le propriétaire légitime d’un territoire donné plus ou moins étendu. Le riche Kirghize, tout en se soumettant à cette indélimitation du droit de jouissance sur la terre, en retire des avantages considérables : il fait paître sans obstacle ses nombreux troupeaux sur tout le territoire de ses consanguins. Aussi n’a-t-il point, jusqu’à présent, de stimulant qui le pousse à délimiter sa terre de celle de la masse du peuple kirghize »14).
En Palestine mandataire, durant la Seconde Guerre mondiale, le Parti communiste palestinien se divise entre Juifs et Arabes, ces derniers formant la Ligue de libération nationale en Palestine. Les deux factions se réunissent à nouveau après la déclaration d’indépendance israélienne, et l’ancien PCP se rebaptise du nom de Maki622. L’URSS est, en 1948, le premier pays à reconnaître Israël, Staline jugeant à l’époque que le nouvel État juif pourrait devenir une tête de pont soviétique au Proche-Orient. Mais ces espoirs sont rapidement déçus du fait de l’alliance entre Israël et les États-Unis ; le camp communiste se convertit dès lors à l’antisionisme623. La détérioration des relations entre Israël et l’URSS contribue à affaiblir le Maki, qui attire dès lors davantage de Palestiniens que de Juifs. Le parti communiste s’oppose résolument à la politique intérieure et extérieure du gouvernement israélien, réclame le retour des réfugiés, s’emploie à défendre les droits de la population arabe et soutient la reconnaissance d’un État palestinien622.