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  • vigie 14 octobre 2006 15:23

    @ serpico

    Je pense qu’il faut être prudent avec l’histoire, vouloir comparer des époques différentes, des lieux, des faits apparemment similaires mais qui se sont déroulés dans un contexte des circonstances et des analogies, ne démontrent pas pour autant la pertinence du propos. Je me garderai moi de faire un amalgame de faits aux différents stades de l’histoire. (ceci n’engage que moi, bien sur )

    « Il faut rappeler avec force la nécessité d’une indépendance de l’historien, qui est une conquête de la démocratie, et la différence entre l’histoire et les mémoires, la mémoire officielle et les mémoires sociales. Cette indépendance est la condition d’existence d’une discipline qui doit prendre ses distances par rapport à la société, obéir à des règles de méthode critique qui sont le garant de son caractère scientifique. Ni le politique ni le juge ni les médias n’ont autorité pour trancher sur la connaissance du passé. »

    « L’historien n’a pas la tâche de juger le passé, mais de le rapporter, puis de l’expliquer et de l’interpréter. Il doit respecter les réalités attestées par des sources, mais il les interprète librement dans le respect des règles de son métier et dans le cadre des débats contradictoires d’ordre scientifique. L’histoire est aussi une science sociale, de sa société, dans sa société, et son domaine est le rapport entre présent et passé, dont les mémoires sont une donnée, même pour le passé le plus éloigné. Sa spécificité fait qu’elle doit s’interroger aussi sur sa fonction sociale et donc sur le fait que les questions qu’elle pose et ses réponses sont liées au monde. Les historiens professionnels ne sont pas seuls à être concernés par le passé, et ils n’en ont pas la propriété. Ils sont confrontés à l’existence de groupes dominés et ils ne peuvent ignorer que leur discipline a servi et sert très souvent de justification aux dominants. Marc Bloch, en 1940, assuré que les historiens avaient été de “ bons artisans ”, s’inquiétait de savoir s’ils avaient été aussi “ d’assez bons citoyens ”. La traite et l’esclavage des Noirs, le génocide des Arméniens, le génocide des juifs, ne sont pas assimilables au malheur des Européens d’Algérie et à celui des harkis. »

    La mémoire des faits historiques est devenu un champ de bataille symbolique à l’heure où les partis politiques s’illustrent plutôt par la pauvreté de leurs propositions et un consensus sur la pratique gouvernementale en ce qui concerne le domaine économique et social. Droite et gauche se retrouvent notamment par la hâte avec laquelle elles se soumettent aux injonctions de groupes identitaires ou communautaires qui veulent imposer leur vision manichéenne de l’histoire, au risque de se livrer à une concurrence malsaine entre « victimes » pour obtenir « réparation » de la part des autorités.

    Cette vision réductrice de l’histoire est aussi à l’origine de la politique de renomination des rues de Paris menée depuis 2001 par Bertrand Delanoë. A peine élu maire, Bertrand Delanoë a ainsi débaptisé la rue Richepance, du nom d’un général des campagnes révolutionnaires dont le nom est gravé sur l’Arc de Triomphe, pour lui donner le nom du chevalier de Saint-George, un musicien noir du XVIIIème siècle. Une décision qui donnait satisfaction aux associations noires réclamant que l’on cessât d’honorer Richepance, coupable à leurs yeux d’avoir réprimé la révolte des noirs de la Guadeloupe et rétabli là-bas l’esclavage sur ordre de Bonaparte. Une politique d’assainissement des voies de la capitale qui se poursuivit en débaptisant le square Willette (un peintre de Montmartre coupable d’antisémitisme), la rue Alexis-Carrel (un prix Nobel de médecine un peu trop compromis avec le régime de Vichy), la rue Paulin-Méry (un médecin taxé lui aussi d’antisémite)..

    Comment les historiens peuvent-ils résister à cette instrumentalisation ?

    En refusant de laisser le champ libre aux discours les moins fondés sur la réalité des événements historiques. En refusant toute utilisation publique instrumentalisée de la connaissance historique. Face aux dérives - parfois antagonistes - de ceux qui ne jurent que par le « devoir de mémoire »

    Marc Bloch, qui a beaucoup médité, en des circonstances tragiques, sur les contraintes et les risques du « métier d’historien » (c’est le titre de son livre publié de manière posthume en 1949), nous met en garde : « Nous n’avons pas osé être la voix qui crie. Nous avons préféré nous confiner dans la craintive quiétude de nos ateliers. Nous fûmes de bons ouvriers, mais avons-nous été de bons citoyens ? »

    L’histoire et complexe et quand elle s’entremêle avec les émotions, les ressentiments, et les expiations. Et je me garderais pour ma part de faire des rapprochements hasardeux.



  • vigie 14 octobre 2006 12:39

    @ serpico

    Beau mélange des genres, mélanger vichy, avec les colonies, si s’est votre opinion...

    La tolérance n’est pas une excuse,concept une vue de l’esprit point barre !!!

    Si avoir une vue différente du passé c’est être négationniste, c’est sur on est pas prêt d’avancer.

    désolé je ne peux partager ses amalgames



  • vigie 14 octobre 2006 12:05

    Bon on est en terrain miné on ne peut débattre sereinement, sans être, facho, ou extrémistes, ou aux antipodes de la réalités, cet espace de dialogue contradictoire ne pourrait t’il être plus apaisé, que chacun défend sa vérité passe encore, mais je trouve que l’on sort du débat d’origine on dérive insidieusement vers des propos diffamatoires, ca sent la connerie ambiante... ( je me compte dedans.) Les fondamentaux bordel, les fondamentaux, allez on se reprend...



  • vigie 13 octobre 2006 14:59

    @ marsu

    Désolé tu es battu, moi, j’ai 20 rebonds a mon actif en galéjades ...

    Sans rancunes



  • vigie 13 octobre 2006 14:46

    Voilà la définition de Catherine Coquery-Vidrovitch sur le rôle de l’historien :

    Elle dit des choses qui me semble pertinentes.

    (morceaux choisies )

    L’historien élabore et/ou transmet l’histoire, mais il n’est pas un ange, il n’est pas lui-même en dehors du débat, et il participe donc, à titre personnel autant qu’à titre collectif, à ce va-et-vient permanent entre présent et passé, passé et présent, ce qui est le propre du politique. Cela est particulièrement évident aujourd’hui dans le domaine de la colonisation.

    Enfin, autre remarque générale, l’historien est un spécialiste, comme le disait Nicolas Offenstadt ce matin, c’est un professionnel, habile dans un métier spécialisé. En tant que tel, il est indispensable à l’élaboration du savoir ; mais l’historien exerce une science sociale, donc non exacte : il faut y distinguer d’une part l’établissement, la construction du fait - qui ne souffre pas d’à peu près, qui est rigoureux et peut devenir indiscutable, et d’autre part l’interprétation de ces faits qui, elle, exige la pluralité et implique la complexité des facteurs explicatifs. Cette complexité même risque d’entraîner parfois certains raccourcis. Ceux-ci sont souvent mal compris par les journalistes qui ont, eux, de par leur métier, la tâche de transmettre à leur public, de façon intelligible, résumée et simplifiée, des choses compliquées. D’où le risque fréquent de caricaturer de ce qu’ont voulu signifier les historiens, ce qui peut alors se prêter à tous les amalgames.

    Grosso modo, l’histoire coloniale française a pris fin avec les indépendances en Afrique noire, (1960) et l’indépendance algérienne (1962)

    Par conséquent les décolonisations sont toutes récentes, d’autant plus qu’elles sont parfois considérées comme encore inachevées.

    A partir de ce constat, il est impossible d’en faire de l’histoire franco-française : on doit s’interroger, si on en fait l’histoire, sur tous les aspects, et sur tous les points de vue. On doit aussi, en historiens responsables, respecter le point de vue de l’Autre. Autrement dit, par exemple, autant il serait légitime de concevoir un musée de la colonisation, ou des colonisations, qui n’existe pas encore, et qui n’est même pas apparemment prévu, autant il est offensant pour le point de vue de l’autre de concevoir ce qu’on appelle ces temps-ci des mémoriaux. Je suis tout à fait pour un musée des migrations, ou plus exactement une Cité de l’histoire de l’immigration, ce peut être une initiative passionnante, qui devrait permettre de démontrer de facto à quel point le Français de souche n’existe pas : Gérard Noiriel nous rappelle qu’un tiers des Français environ sont liés à l’immigration si on remonte à leur arrière grand père... Mais un musée de la colonisation, ce n’est pas du tout la même chose qu’un mémorial (regardez le dictionnaire) qui a pour objet de célébrer la mémoire et les hauts faits d’un camp, sans s’occuper de l’autre. C’est ce qu’on faisait pour les conquérants à l’égard des colonisés, parce qu’ils étaient des sujets qui n’avaient pas, ou avaient peu leur mot à dire : allez voir par exemple le long bas-relief en l’honneur du Commandant Marchand qui se trouve en face de l’ancien musée des Arts africains et océaniens à la Porte Dorée : le vaillant explorateur, accompagné d’une série de non moins vaillants mais néanmoins dominés tirailleurs, y est représenté de Pointe-Noire à Fachoda ... où d’ailleurs les Britanniques brillent par leur absence.

    Le fait est qu’en France, la mémoire de la colonisation est très complexe. Pour un certain nombre d’historiens, comme Marc Ferro, ou Pierre Nora, qui ont à des époques différentes enseigné l’histoire au lycée d’Oran à l’époque coloniale (Pierre Nora en a rapporté en son temps un beau livre, intitulé Les Français d’Algérie , ou moi-même, qui ai décidée donc à 25 ans, à la suite de mon passage dans cette même ville, de renoncer à une thèse sur le Moyen Âge pour privilégier un travail sur l‘histoire de l’Afrique, il est évident que nous avons eu, d’une certaine façon, la chance de pouvoir travailler avec des souvenirs de visu, c’est à dire une part de vécu. Ce vécu vaut ce qu’il vaut, il doit être confronté et naturellement corrigé et amendé par les recherches historiques proprement dites, mais c’est une forme de document comme un autre, à soumettre comme les autres à une analyse critique forte. Je reprends l’exemple donné précédemment de l’histoire de Vichy : j’ai vécu une enfance clandestine, et, croyez-moi, cela s’imprime très fort et pour la vie : compte tenu de ces souvenirs de fer, j’ai parfois été en désaccord avec la façon dont les meilleurs historiens, nés après cette période, en ont écrit l’histoire : qui a raison, qui a tort, entre deux historiens s’entend, entre le vécu et le regard froid ? C’est ma foi bien difficile à départager...

    Car le cas n’est pas le même pour les jeunes qui n’ont pas vécu cette histoire - je reviens ici à la colonisation -, mais qui l‘ont entendu raconter, ou du moins en ont compris ou entendu des bribes transmises par leurs parents ou leurs grands parents, et aujourd’hui par des hommes politiques de tout bord. Là, le vécu a disparu, Michèle Riot-Sarcey en a déjà dit un mot ce matin ; on a une mémoire doublement, ou triplement reconstruite : d’abord par la transmission des récits, et ensuite par la façon dont ces récits sont entendus. C’est une mémoire à la fois manipulée et manipulable. Cela reste aussi bien sûr, aussi, une source exploitable par les historiens, avec toutes les prudences d’usage sur la façon d’exercer l’esprit critique sur les documents, quels qu’ils soient, qui sont à notre disposition.

    Ce sont ces manipulations actuelles de mémoires traumatisées que nous voyons aujourd’hui s’agiter dans tous les sens, qu’il s’agisse de celle des anciens colonisés comme de celle des anciens colonisateurs : Les Français blancs, qui s’estiment (à tort à mon avis) les moins concernés donc à leurs propres yeux les plus objectifs, les Français noirs, les Français d’ascendance harki, ou dont les parents ont été porteurs de valise pro-FLN, ou au contraire pro-OAS. Tout le monde et chacun s’est construit un peu là-dessus. Rajoutez à cela la mémoire coloniale française officielle : le fameux Petit Lavisse, manuel d’histoire élémentaire plus que centenaire, construction volontaire de la nation française, objectif qui se comprenait tout à fait à l’aube de la troisième république, et à nouveau tout à fait au lendemain de la 2e guerre mondiale où le régime de Vichy avait véritablement établi en France une situation réelle de guerre civile.

    Nous sommes donc en France encore pétris d’histoire, ou plutôt de mémoire coloniale. Là-dessus, néanmoins, les idées de décolonisation, d’aide aux pays sous développés, à l’époque le courant tiers-mondiste, aujourd’hui la démocratie et les droits de l’Homme ont bien entendu fait leur chemin depuis longtemps, elles ont travaillé dans toutes les têtes ; les mémoires ont été exploitées, trafiquées, manipulées, et le résultat arrive maintenant, et c’est un phénomène nouveau : celui du heurt de ces mémoires, heurt d’autant plus violent que pour des raisons complexes qui sont à étudier, il y a eu, dans les 20 ans qui précèdent, une sorte d’oubli de la question. Elle devenait trop gênante, on a fait l’impasse. Cette impasse est maintenant devenue impossible, les faits nous remontent à la figure violemment, et dans un terrible charivari.

    Alors j’insiste là dessus : cette dichotomie, ce que certains appellent aujourd’hui d’un mot évocateur la fracture coloniale ,c’est effectivement un phénomène tout à fait nouveau.

    Ou plutôt, je m’explique, le fait que l’histoire de la période devienne une arme aux mains mêmes des historiens, c’est cela qui est nouveau. Le fait que des historiens se prêtent à mesurer les bienfaits ou les méfaits de la colonisation et se disputent là-dessus, ou cherchent à démontrer que telle ou telle autre traite était pire qu’une autre, c’est absolument renversant : les historiens ne sont pas des moralistes, la colonisation n’a pas été un bien ou un mal, elle a été, et le boulot de l’historien, c’est de comprendre pourquoi, comment, quels en ont été les résultats sur les sociétés, aussi bien colonisées que colonisatrice. Mais pas de poser les faits sur une balance pour les peser ! ceci n’a pas de sens.

    Parce que nous ne sommes pas juste dans un face à face entre histoire et mémoire -sur lequel on a tant écrit que je ne reviens pas là dessus- nous sommes en face de l’instrumentalisation à la fois de l’histoire et de la mémoire par le politique ; les historiens sont pris dans le jeu, en qualité de citoyens, comme les autres, précisément parce que, comme il s’agit d’histoire immédiate, leur affect est engagé comme celui des autres. J’insiste là dessus : ce que d’aucuns appellent des « visions idéologiques obstinées et concurrentes » de la colonisation, de la traite ou des guerres coloniales ne sont pas une résurgence : c’est, au contraire, l’émergence d’un phénomène actuel, immédiatement contemporain, parce qu’il est né d’un amalgame de mémoires concurrentes travaillées par des affrontements politiques qui se présentent ouvertement comme idéologiques. En principe, la mémoire relève de l’affectif et installe le souvenir dans le sacré tandis que l’histoire s’attache à l’analyse et à l’explication des évolutions et aux rapports des choses : c’est pourquoi Pierre Nora qualifie l’histoire de belle machine [je cite] « purement intellectuelle, laïcisante, qui appelle analyse et discours critique », et en conclut que c’est aux historiens - [je cite à nouveau] de « dire à tous- et pour tous - ce que le passé autorise et ce qu’il ne permet pas ». Or la société n’est pas que de raison et les historiens non plus. Le politique est toujours là, c’est à dire aussi la totalité du social, prompt à brouiller les cartes et à confondre les genres. Il n’est jamais exactement là où il s’annonce. Marc Bloch a démontré qu’il « imprègne, à toutes les époques, les rapports entre individus, qui sont à la fois des rapports de sens, d’intérêts et de pouvoir », pour les historiens comme pour les autres.

    C’est tout à fait vrai ces temps-ci : d’abord c’est le politique (la loi), qui a provoqué les historiens, qui ont donc apporté - contrairement à ce que certains d’entre eux pensent avec candeur sinon un certain manque de modestie - d’abord une réponse immergée dans le politique. Les mémoires coloniales sont à vif et prêtes à toutes les romances. Alors nous, historiens, interrogeons-les avec respect mais prudence, et restons vigilants. Car la construction (ou la consolidation) de la communauté politique est toujours présente ; l’analyse rigoureuse et critique des documents du passé (qui est le processus idéal de construction scientifique du fait) ne peut être isolé de la mémoire qui est en revanche un processus de construction subjective du fait ; L’historien est sans doute un peu plus protégé que les autres, par son obligation de l’analyse critique, par rapport au rôle que les forces sociales dominantes du moment veulent lui faire jouer. Mais il ne pense et il ne travaille pas hors du champ politique.

    Autrement dit l’historien ne détient pas LE savoir, mais un savoir soumis à bien d’autres variables. C’est pourquoi une vertu majeure de l’historien, apparemment un peu oubliée ces temps-ci, est le doute scientifique, qui fait du plus grand chercheur le plus modeste des chercheurs.

    Le fait même que les historiens les plus sérieux et les plus sincères, à partir des mêmes « faits historiques », peuvent tirer de façon argumentée des conclusions nuancées, contrastées, et même parfois contradictoires suggère à quel point l’histoire est insérée dans le politique. Pour donner un exemple lapidaire, cette lapalissade est démontrée par les interprétations radicalement différentes données de la Révolution française par des historiens aussi renommés que Michel Vovelle et François Furet. Chacune fut insérée dans son temps, et ni l’une ni l’autre n’apparaissent désormais tout à fait convaincantes .Il serait d’ailleurs temps qu’un historien d’aujourd’hui s’y attaquât. Cela commence d’être fait, Michel Dreyfus ce matin a évoqué le travail entrepris par l’italien Domenico Losurdo

    Plus récemment, ce qu’on a qualifié d’ « affaire Pétré-Grenouilleau » (sur son histoire des traites négrières), souligne une fois de plus à quel point l’histoire est une science contingente .

    C’est ce qui me gêne dans les textes de beaucoup d’historiens aujourd’hui, à commencer par les signataires du texte dit des 19 : l’absence apparente, dans le débat actuel, du doute, révélé par leur indifférence au politique, alors que toutes les positions affirmées ces temps-ci (et pas seulement par les acteurs) sont d’abord et avant tout politiques. C’est évident pour les « pieds-noirs » ou les députés qui défendent leur point de vue, mais cela l’est tout autant pour les historiens : c’est pourquoi je suis interpellée par les attaques contre l’ « anticolonialisme » jugé en somme dépassé, ou par les reproches d’ « idéologie ». Pourquoi ne sommes-nous pas d’accord avec l’idéologie de l’autre ? Parce que nous relevons d’une autre idéologie, voisine ou opposée, car qu’est-ce que l’idéologie, hors la compréhension dévalorisante en vogue en France aujourd’hui ? C’est, voyez le Petit Robert, « un système d’idées, une philosophie du monde et de la vie » : nous avons, heureusement, tous des idées parce que, comme le dirait Descartes, nous pensons -en particulier nous avons tous des idées politiques, c’est-à-dire, au sens large, une conception du monde tel qu’il est, et tel qu’il nous semblerait souhaitable qu’il soit ou devienne, et comment nous pourrions faire pour y contribuer, aussi peu que ce soit : alors pourquoi faire comme si ce politique n’existait pas ou, au mieux, comme s’il ne comptait pas, comme si les réactions au monde des historiens étaient les seules à ne pas en être affectées ?

    Les problématiques même de la réflexion historique et l’écriture de l’histoire qui en découle sont tributaires des opinions et des luttes sociales ou politiques auxquelles prennent part les historiens, peu ou prou, en tant que citoyens. La réflexion historique n’est pas au-dessus de tout soupçon. En revanche, peut-être davantage que les autres spécialistes en sciences sociales, l’historien est menacé d’une certaine schizophrénie : il est sensé analyser l’ensemble du passé sans passion ni sentiment, mais en même temps il est inséré dans un présent impliquant idées, convictions, voire croyances participant à sa compréhension du monde. Certes, ce qui fait la qualité de l’historien est « l’exercice critique » ; certes aussi, le fait établi par la recherche rigoureuse est, lui, intangible, mais c’est en fonction de nos affects du moment que nous l’interprétons dans notre exposé du processus historique. J’affirme donc hautement que les historiens sont ni plus ni moins passionnés que les autres gens, et que, comme tout un chacun, chaque historien relève d’un contexte idéologique : mieux vaut le reconnaître honnêtement que de faire comme si cela n’existait pas. Au moins, de cette façon, sommes-nous mieux armés pour en éviter les excès ! L’historien moderniste Pierre Goubert écrit, dans l’introduction de son Histoire de France, qu’il s’arrêtait à la Première Guerre mondiale parce que, ensuite, étant lui-même partie prenante de l’histoire du XXè siècle (il est né en 1915), il ne pouvait être sûr d’échapper à la passion . Et nous prétendrions traiter sans passion de la colonisation qui tient aujourd’hui de l’histoire quasi immédiate, sans même parler des Français des Caraïbes pour lesquels ce passé est si proche ? Je m’arrêterai là, pensant ainsi avoir suffisamment semé le doute en vous, et confirmé, de ce fait, l’importance du travail collectif du Comité de vigilance sur l’usage public de l’Histoire coordonné par Gérard Noiriel !

    Catherine Coquery-Vidrovitch

    Professeure émérite, Université Paris-7 Denis Diderot

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