C’est l’éditeur qui fait le livre
Hé ben on est mal barrés les gars.
Savez-vous qui a dit ?
« L'éditeur a un rôle éminent dans le processus de création (…) quand on écrit, chez soi, on a besoin d'avoir le regard d'un éditeur, pour venir sanctionner, dans le bon sens du terme. C'est-à-dire, donner le jugement d'un professionnel, sur le texte que l'on est en train de rédiger. Et sans cela, même si on se publie soi-même, et que l'on peut toucher un public au travers des réseaux, on n'a pas cette reconnaissance de se sentir écrivain. L'écrivain ne naît qu'au travers du regard de l'éditeur. Et moi je l'ai ressenti en tant qu'auteur : j'aurais pu écrire le même livre que celui que j'ai rédigé… si je n'avais pas eu Jean-Marc Roberts [NdR : patron de la maison Stock, filiale du groupe Hachette], le résultat n'aurait pas été le même. »
Elle s’appelle Aurélie Filippetti.
Alors autant je suis d’accord pour dire que c’est bien le boulanger qui fait le pain (même s’il lui arrive aussi de vendre des aspirateurs sans sac et des laves linges à hublot), mais quand même, dire que c’est Gallimard qui fait la littérature ou Pascal Nègre la musique, faut peut-être pas exagérer (même si je suis sûr que Pascal Nègre doit bien se débrouiller au pipeau).
Elle enfonce même le clou : « Mais surtout, on a besoin de cette médiation, pour se reconnaître, soi-même, comme auteur, et pour savoir que son texte est vraiment un livre. »
Carrément.
Exit les artistes incompris qui rament tout seul dans leur coin et laissent des œuvres magnifiques et inconnues dans leur tiroir.
Exit les John Kennedy Toole. Il n’est devenu écrivain qu’une fois mort. C’est ballot (surtout pour avoir son article sur Wikipedia me direz-vous. Surtout pour payer les factures vous répondrais-je).
Argh. Seuls les éditeurs savent ce qu’est un livre.
J’imagine bien, en plus, le sous-entendu : seuls certains éditeurs.
Ben oui, on va quand même pas mettre Gallimard et, je sais pas moi, le Diable Vauvert au même niveau sur l’échelle du bon goût. Les torchons, les serviettes, les choux, les carottes, tout ça.
Bon soyons honnêtes, quand j’ai lu ça, j’ai failli tomber de ma chaise. Quid de l’auto-édition ? Quid du développement de la diffusion numérique ? Quid de la rentrée littéraire, chaque année plus consternante, et qui est pourtant bien remplie de livres publiés par ces fameux éditeurs si fabuleux pourtant ? Quid des prix littéraires bidon qui ne sont que copinage et compagnie entre gens bien élevés mais qui ont déjà un pied dans la tombe de la création ?
Tout cela n’est rien. Car seules quelques personnes en France savent ce qu’est un livre. De même que (j’imagine) seuls quelques cuisiniers étoilés savent ce qu’est un vrai flan au pruneau, ou quelques commentateurs de France 2 reconnaissent un bon revers lifté.
Madame la Ministre considère donc que les milliers d’écrivains en herbe qui ont un vrai talent mais ne trouvent pas d’éditeurs (il doit bien y en avoir quelques-uns en fouillant longtemps) ne font pas de littérature.
Compte tenu du fait que c’est le marché (et sa capacité d’absorption, i.e. pour faire simple le nombre de livres que les gens sont prêts à acheter) qui détermine la quantité de livres que les éditeurs publient, on peut donc déterminer le nombre de vrais écrivains en France. Dans le monde d’Aurélie, c’est magique, c’est le marché qui créé l’art !
Il nous reste à trancher quelques épineux débats : Joseph Macé-Scaron et Patrick Poivre d’Arvor sont-ils écrivains ?
Le nègre est-il un écrivain (pas Pascal, l’autre) ?
Le monde germanopratin de l’édition littéraire classique est en train de mourir de son enfermement sur soi, de son manque d’ouverture, de ses réseaux, de sa suffisance et du fait qu’il croit détenir la seule vérité.
Ce monde vient de trouver son fossoyeur en chef.
Merci Madame la Ministre.
Je laisse la parole à Kafka pour finir (encore un faux écrivain) :
« Voici, mon bien cher Max, ma dernière prière : Tout ce qui peut se trouver dans ce que je laisse après moi (c'est-à-dire, dans ma bibliothèque, dans mon armoire, dans mon secrétaire, à la maison et au bureau ou en quelque endroit que ce soit), tout ce que je laisse en fait de carnets, de manuscrits, de lettres, personnelles ou non, etc. doit être brûlé sans restriction et sans être lu, et aussi tous les écrits ou notes que tu possèdes de moi ; d'autres en ont, tu les leur réclameras. S'il y a des lettres qu'on ne veuille pas te rendre, il faudra qu'on s'engage du moins à les brûler. À toi de tout cœur. »
— Franz Kafka
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Retrouvez mes articles sur le monde de l’édition : http://www.jean-fabien.fr
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