Comité invisible : l’insurrection qui revient ?
Il y a quelques jours sortait en librairie le nouveau livre signé par le Comité Invisible. « Gouverner par le Chaos », aux éditions Max Milo, fait donc suite au désormais célèbre « L’insurrection qui vient » (Ed° La Fabrique) sorti en 2008 et considéré par les libraires comme un véritable succès d’édition. On prend les mêmes et on recommence ? Pas si sûr.
Le livre, pourtant gentiment insurrectionnel, semble être à l’époque vécu comme une menace par les élites. Il prône la déconstruction des structures existantes, un repli sur les communautés et une organisation à taille humaine pour un monde meilleur. Afin d’y parvenir, un seul moyen selon eux : la désobéissance ou, comme le prônait Foucault, la technique de la table rase. Il faut tout repenser. Le Comité Invisible, entité indéfinie et anonyme, propose une voie possible. S’il n’y avait cet appel, coincé entre deux chapitres, à en venir à la destruction des biens communs en cas d’urgence civique, le livre serait sans doute passé inaperçu. Mais voilà, pris dans la tourmente médiatique et judiciaire, « L’insurrection… » et ses idées se multiplient comme des petits pains. On rêve un instant au bouleversement des esprits. Mais le temps passe, la crise économique ratiboise les envies de bouger et instaure le marasme. Les esprits échauffés se tiédissent, avant de se refroidir totalement. En somme, le moment est venu de remettre un coup de pied dans la fourmilière.
Aujourd’hui donc, avec la sortie du second livre du Comité, il est temps de faire un point sur l’avancée du combat de l’organisation. Très actif sur le net (leurs textes sont en téléchargement libre un peu partout sur la toile), le Comité se fait rare dans les médias traditionnels. D’abord pour une bonne et simple raison : l’anonymat derrière lequel le collectif d’auteurs voile son identité, et dont on peut légitimement s’interroger sur l’utilité. Il y a trois ans, et avec tout le ramdam judiciaire, on pouvait le comprendre. Mais aujourd’hui ? S’agit-il d’un véritable impératif ou d’une simple question de pose, ou pire, de marketing ?
Car en effet, et même si à ce sujet les opinions divergent (j’entends déjà les commentaires), la France est loin d’être une dictature policière. Malgré la montée en flèche des chiffres de gardes à vue - les policiers sont sans nul doute beaucoup plus chatouilleux depuis l’accession de Sarkozy à la présidence - nous vivons encore dans un pays où la liberté d’expression est un des fers de lance de la République. Une notion fourre-tout, certes, mais au combien utile lorsqu’il s’agit d’écrire un livre ou une chronique (Stéphane Guillon pourrait en témoigner). Chacun peut, en théorie sans crainte de voir débarquer chez lui une meute enragée de gardiens de l’ordre, signer un ouvrage en son nom propre, quoi qu’il contienne. Evidemment, cela n’empêchera pas les procès… On pourra toujours attaquer pour diffamation, pour négationnisme, pour appel au meurtre : ces délits sont régis par la loi. Mais dans le cas du présent ouvrage, qui n’est ni pousse-au-crime, ni vaguement brûlant, la question se pose.
Car une véritable signature aurait eu un double effet : dissuader les tentatives d’enquêtes judiciaires anti-terroristes d’abord, et créer une publicité sans précédent à l’ouvrage. L’anonymat, quelle que soit l’opinion de chacun à son sujet, demeure suspect dans l’esprit des foules. Bien sûr, en période de crise intense, il va sans dire que l’anonymat est de rigueur : en 1941, mieux valait agir pour les résistants sous le couvert de l’anonymat. Mais dans la France de 2010, la menace semble légèrement surévaluée, donnant un pouvoir supplémentaire, un pouvoir d’influence, un ascendant psychologique à l’ennemi tant redouté par le Comité. Vichy est pourtant loin derrière nous. D’autant que le contenu de l’ouvrage n’est pas aussi brûlant que voudrait bien nous faire croire une couverture grotesque à la typographie cartoonesque. On a du mal à retrouver la verve incendiaire qui avait fait trembler le ministère de l’Intérieur il y a deux ans.
« Gouverner par le Chaos » se veut comme un simple prolongement de la pensée développée dans le précédent opuscule. On s’enfonce dans la paranoïa, quelquefois justifiée, du citoyen contrôlé, du citoyen réduit à sa simple capacité de machine non pensante et productrice de biens ou de services monnayables. Si « L’insurrection qui vient », parcourait sept cercles de réflexion théoriques, philosophiques et novateurs - référence au mythique Enfer de Dante - « Gouverner par le chaos » ressemble davantage à une liste exhaustive et plutôt linéaire des différentes façons de manipuler les masses : un étalage psycho-sociologique développé mille fois par d’autres auteurs, comme Gustave Le Bon et Christian Salmon (cités dans le texte) et sans doute sous des angles plus intéressants. Bien entendu, les rares personnes à n’avoir pas encore entendu parler de psychologie des foules et de storytelling y trouveront leur compte, tant le livre se veut être une introduction en la matière.
Mais c’est bien là que le bât blesse : pour une suite, on attendait davantage qu’une simple introduction aux techniques modernes de manipulation. On espérait un développement du frisson que nous avait procuré le dernier chapitre de « L’insurrection… », dans lequel le Comité laissait libre cours à son imagination politique. Ah, la remise à zéro des compteurs… Même naïve, la vision était rafraichissante, voire novatrice. Que l’on soit pour ou contre la méthode, il y avait alors matière à réflexion. Mais l’anonymat n’est pas une solution à long terme. Tôt ou tard, les masques doivent tomber. Les combattants doivent se dévoiler, non pas pour plier sous les coups de la justice des hommes, mais pour entrer dans l’immortalité et focaliser les attentions.
Car nous vivons une époque de médias. Et cette époque a besoin de héros auxquels s’identifier. Ce n’est pas une nouveauté. C’est même l’une des bases du storytelling, technique d’adhésion des masses décrite dans « Gouverner par le Chaos ». Le Comité Invisible fait pourtant clairement comprendre qu’il faut utiliser les méthodes de l’ennemi pour les retourner ensuite contre lui. Mais la pusillanimité véhiculée par l’anonymat (puisqu’on ne peut définitivement pas parler de danger à publier ce livre) dessert gravement le propos. Comme s’il existait chez les auteurs du livre une volonté de ne pas s’impliquer totalement. De se garder une porte de sortie, un échappatoire. Ce n’est pas comme cela qu’on organise un sursaut. Les lecteurs ont besoin de héros. De héros visibles, connus de tous, médiatisés et facilement joignables. Les super-héros masqués ne changent le monde que dans les bandes dessinées.
Si l’on rajoute à cela l’absence de propositions, de souffle épique et d’idéalisme (un luxe portant facilement abordable à celui qui signe anonymement), on se retrouve avec un produit final aux antipodes du précédent opus. Une simple liste, édifiante certes, mais une liste tout de même. Dorénavant publié chez Max Milo (une maison engagée socialement à gauche mais distribuée/diffusée par l’un des plus grands groupes d’édition international, à savoir Editis ), on se demande pourquoi le Comité Invisible n’a pas souhaité poursuivre sa collaboration avec Eric Hazan et ses éditions de la Fabrique qui, pour le coup, donnent dans l’alternatif. Citées en exemple par André Schiffrin (« L’édition sans éditeur »), les éditions de la Fabrique se sont bâties au fil des mois une réputation brillante d’engagement intelligent et responsable, marquée à gauche et à peu près dégagée des contraintes de rentabilité imposées par les grands groupes d’édition. Autant dire qu’il n’y avait pas de meilleur candidat. Mais peut-être que le Comité Invisible s’est tout simplement ramolli ? Au point de franchir le fossé qui sépare la volonté d’étendre son message, de le porter aux nues et de le diffuser au maximum de lecteurs, du marketing publicitaire ?
Il n’y a plus guère que le public du 13 heures de TF1 que ce livre fera trembler. En attendant, on peut toujours relire « L’insurrection qui vient ». En attendant quoi ? Qu’elle revienne pour de bon !
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