Doit-on brûler Anne Roumanoff ?
La satire et plus particulièrement la satire politique, connaissent un essor important depuis quelques années, notamment grâce à Internet. On en compte plus les pages personnelles et autres blogs qui se moquent, plus ou moins gentiment et avec plus ou moins de talent, de nos hommes et femmes politiques.
Mais la satire est un art difficile à pratiquer sereinement car, si le public apprécie qu’on se moque des ses dirigeants et de leurs dauphins, les cibles des humoristes - apprentis ou professionnels - ne sont pas aussi unanimes.

La dernière en date à se présenter comme une victime a été Ségolène Royal. Invitée de Michel Drucker dans son émission Vivement dimanche du 27 janvier 2008, elle s’est plainte du traitement qu’on lui réservait, notamment en citant sa comparaison avec Bécassine.
Avant elle, Nicolas Sarkozy, qui n’était pas encore président, avait tenté d’influencer à plusieurs reprises le journal Le Monde, pour que les caricatures que Plantu faisait de lui soient un peu moins incisives (cf. Le Monde du 28/04/07 - Chronique de la médiatrice).
Et, parfois, le satiriste va un peu trop loin au goût des gens qui le regarde ; en effet, le propre de la satire est de grossir les traits de caractère, d’amplifier les défauts. Quand la satire finit par nuire en apparence au satirisé, ses partisans peuvent s’en émouvoir.
Véronique Maurus, la médiatrice du Monde, explique d’ailleurs ce phénomène dans la chronique citée ci-dessus, en ce qui concernait les candidats Royal et Sarkozy.
« ... Avec plein de fayots autour ! »
L’intervention d’Anne Roumanoff lors du Vivement dimanche prochain du 6 janvier relève de cette réaction. Pendant son intervention, où elle
interprète le rôle d’un pilier de comptoir qui sait tout sur tout, elle parle essentiellement de Nicolas Sarkozy et de son couple avec Carla Bruni.
Elle dit par exemple : « Ils avaient jamais vu ça à Disneyland, Blanche
Neige qui épouse le nain » ou « Avant on avait la gauche caviar,
maintenant on a la droite cassoulet, une petite saucisse avec plein de
fayots autour. »
Il s’agit d’un bel exemple de satire, mêlant ironie et sarcasme à la traditionnelle caricature.
Sur les blogs et les forums, partisans et opposants réagissent et s’affrontent :
- Les partisans d’Anne Roumanoff s’empressent de la « génialiser », de noter son talent de chansonnier (un mot que Jean Amadou, grand satiriste devant l’éternel, n’aime pas) et de relever que le président Sarkozy, à être trop présent dans les médias, ne faisait qu’en payer la facture.
- Les opposants de l’humoriste affirment que « trop c’est trop », telle cette réaction sur un blog : « Les gens qui parlent ainsi devraient avoir une amende à payer ! Ça ne devrait pas exister ! Qu’on lui foute la paix à Nicolas Sarkozy. Il a bien le droit à sa vie comme tout le monde !... » Certains vont même jusqu’à insulter l’humoriste, sans autre forme de procès.
Déloyauté et parti pris
On peut légitimement s’étonner qu’Anne Roumanoff et son complice en écriture Bernard Mabille ne prennent pour cible qu’une seule personne et/ou qu’un seul camp politique. Dans les précédentes apparitions d’Anne Roumanoff, il en était pratiquement de même !


Il faut cependant tempérer ce constat de « parti pris » en notant que l’essentiel de l’actualité politique des huit derniers mois a été monopolisé par le pouvoir exécutif en général et le président de la République en particulier. Les personnalités et partis d’opposition ont été largement absents pendant cette même période.
Ceci faisait et fait donc du président une cible de choix pour l’humoriste qui base son travail sur l’actualité récente.
Quand on accusait The Daily Show, l’émission à laquelle il participait, d’avoir un parti pris libéral, Stephen Colbert*, comédien satiriste états-unien, déclarait : « Nous sommes libéraux, mais Jon (Jon Stewart, le présentateur du show, NDT) est très respectueux des invités républicains. Si les libéraux étaient au pouvoir, il serait plus facile de les attaquer mais les républicains contrôlent les branches exécutives, législatives et judiciaires, donc se moquer des démocrates c’est comme donner des coups de pied à un enfant, ça n’en vaut pas la peine. »

* Stephen Colbert présente maintenant sa propre émission satirique, The Colbert Report
Respect de la fonction
En leur temps déjà, les satiristes de C’est pas sérieux sur la 1re chaîne de l’ORTF ou de L’Oreille en coin sur France Inter (Jean Amadou, Jean Bertho, Anne-Marie Carrière, Pierre-Jean Vaillard, etc.) se moquaient des politiques et de l’actualité sur les ondes du service public, même si les images choisies étaient moins sujettes à polémiques.
Le contrôle total de l’Etat sur l’audiovisuel de l’époque (l’ORTF) et le respect « naturel » dû au pouvoir peuvent expliquer cette « légèreté » de ton.
C’est justement là où le bât blesse dans le cas Roumanoff. Le contrôle de l’Etat sur les médias n’existe plus que partiellement et le respect dû à la fonction présidentielle s’est délité du simple fait de l’engagement politique permanent du président Sarkozy et de son omniprésence apparente dans les médias. Le président est passé d’un statut d’arbitre (et on respecte toujours l’arbitre, n’est ce pas ?) à celui de joueur. Le respect qui existait encore pendant les mandats de François Mitterrand ou de Jacques Chirac n’a jamais empêché les satiristes de satiriser, mais ils ne dépassaient jamais certaines limites, le respect de la vie privée étant une d’entre elles.
Que le président présente lui-même sa liaison avec Carla Bruni comme quelque chose de « sérieux » pendant une conférence de presse officielle est le signal que beaucoup attendaient pour aller plus loin.
Le 2 février 2006, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, déclarait au cours d’une émission sur LCI qu’il préférait : « un excès de caricature à un excès de censure ». Un an plus tard, dans une lettre de soutien à l’hebdomadaire Charlie Hebdo, dans l’affaire des caricatures de Mahomet, il écrivait : « Je préfère l’excès de caricature à l’absence de caricature. »
Ces deux déclarations devraient inspirer ceux qui, en toute bonne foi, tentent de défendre l’homme public que Nicolas Sarkozy est devenu.
La fonction présidentielle, même si elle est désacralisée, s’en remettra. Quant à ceux qui s’inquiètent de l’image de la France à l’étranger, ils doivent se souvenir que cette image n’est pas liée au traitement de l’information par des humoristes mais bien aux actes des personnes concernées, et à la façon dont les médias dits « sérieux » les rapportent.
Le Canard enchaîné s’est allégrement moqué de « Mongénéral » pendant ses 11 ans de mandat et n’a jamais empêché le général de Gaulle d’être respecté en France et à l’étranger.
Et ce ne sont sûrement pas les sketches d’Anne Roumanoff, artiste talentueuse, qui nuiront à Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal ou n’importe quelle autre personnalité politique plus que eux-mêmes savent (si bien) le faire.
Inutile, donc, de la brûler en place publique !
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