Il était une fois « Il était une fois dans l’Ouest »
Revoir Il était une fois dans l’Ouest (1968) en salle de cinéma*, sur grand écran, procure un immense plaisir. Plaisir du scope, d’un cinéma de rêve, et du rêve d’un cinéma qui se nourrit de la mythologie du western – les grands aînés – pour créer sa propre mythologie. Leone a imité John Ford et Raoul Walsh, et ça a donné Sergio Leone (1929-1989).
En 1968, Leone fait un western-opéra à la « trivialité majestueuse », dixit Luc Moullet, pendant que Kubrick, de son côté, signe un space opera renversant, 2001, L’Odyssée de l’espace. Deux grands films-trips cultes. 1968, certes une année politique importante (son fameux Mai), mais une grande année de cinéma aussi, ne l’oublions pas. A la fin des 60’s, Leone sort de sa trilogie des Dollars, immense succès international. Le voilà richissime. Mais les westerns, il a donné, il a déjà la tête dans The Hoods, une histoire de gangsters qui donnera naissance plus tard à son chef-d’œuvre crépusculaire, et hélas dernier film, le proustien Il était une fois en Amérique (1984). Pour l’heure, Leone est une star mondiale. Les Américains lui font un pont d’or : 3 millions de $ de
Exit la facétie picaresque des Dollars, Leone commence une nouvelle trilogie, bien plus sombre et mortuaire, celle des Il était une fois - corpus d’œuvres qui, tout en gardant le style imparable de Leone (dont des gros plans de visages alternant avec des panoramas), se tourne vers le temps, les bulles de souvenirs, la mort. A la revoyure, et ce d’autant plus à notre ère du tout à l’image alimenté par le formatage télévisuel tous azimuts du 7e art, Il était une fois dans l’Ouest apparaît incroyablement lent. C’est un chant funèbre. Les dix premières minutes du film consiste à nous montrer trois tueurs en attente dans une gare, et on passe une minute avec un cowboy crade enfermant une mouche dans le canon de son flingue. Génial ! Qui peut faire mieux que ça aujourd’hui ? Dans cette façon de jouer avec le spectateur du film, jusqu’à en faire un complice du personnage et de la narration, même un Tarantino peut aller se rhabiller ! Devant Il était une fois dans L’Ouest, « C’est quoi ce truc ?! », se serait écrié, à sa sortie, le cinéaste américain John Carpenter. Mais d’autres – surtout les financiers qui pensent sottement deviner les attentes du public – ne suivent pas ; la réception américaine est globalement mauvaise. Time titre « L’Ennui dans les broussailles », et le film est bientôt amputé de 20 mn par des producteurs US à mille lieues du rêve d’un artiste européen. Résultat : le film, recoupé, remporte peu de succès aux Etats-Unis et en Angleterre mais, sorti en version intégrale ailleurs, il fait un carton au Japon, en Europe et tout particulièrement en France où il est encore, avec ses 15 millions d’entrées, l’un des plus grands succès au box-office – ce dont Leone, précisons-le, n’était pas peu fier car il considérait
Cette scène, au-delà de son esthétique manifeste, est importante aussi d’un point de vue politique. Aux côtés de colons travailleurs qui veulent contribuer à l’essor et à la légende de l’Ouest, règnent des magnats corrompus et des hommes d’affaires véreux, dont Frank. A travers celui-ci et Morton (alias Mister Tchou-Tchou, le financier infirme), Leone critique également une certaine Amérique, croulant sous le Dieu Argent, victime d’un triomphalisme qui peut la faire courir à sa perte. Lorsque Morton, harnaché dans son wagon de luxe, demande au tueur Frank – « Ca vous fait quoi d’être derrière mon bureau ? », celui-ci répond : « C’est comme tenir une arme entre les mains mais en beaucoup plus puissant ». Il était une fois dans l’Ouest est un film habité par la perte de l’innocence, par le capital humain terrassé par la loi du profit. C’est un film avec un parfum de mort. Toutes les répliques cultes tournent autour de la grande Faucheuse - « Les hommes ont peur plus facilement quand ils vont mourir. » (Frank), « Vos amis ont un important taux de mortalité. » (Harmonica) - et la trame principale du film est une affaire de mort : Harmonica, cherchant à se venger du meurtre de son défunt frère, pourchasse le diabolique Frank. Quand ce dernier, avec insistance, lui demande « Qui êtes-vous ? », Bronson ne cesse d’égrener des noms de morts : Dave Jenkins, Calder Benson, Jim Cooper, Chuck Youngblood. La mort est leur métier. L’Ouest n’est plus qu’un pays des morts, s’apparentant à un champ de ruines doublé d’une foire aux souvenirs.
Le génie de Leone, c’est de parvenir à créer, via des films qui sont des écheveaux de strates spatio-temporelles, des images-souvenirs qui restent en mémoire, tant au niveau visuel qu’intellectuel. Je viens d’en citer une (le massacre de la famille McBain) mais Il était une fois dans l’Ouest regorge de séquences cultes (la scène introductive dans la gare constituée de planches de bois, le travelling à 90° sur Cardinale pendant la scène du viol, le duel final entre Harmonica et Frank dans l’arène poussiéreuse) et puis, il y a ce moment magnifique : Jill (la superbe Claudia Cardinale, plus belle que jamais ici) arrive dans la gare de Flagstone. Personne ne l’attend. La caméra de l’ami Sergio la suit à travers le cadre d’une fenêtre, puis elle monte, épousant à la fois l’architecture de la maison filmée et la musique en crescendo d’Ennio Morricone : pendant qu’on entend la voix suprêmement émouvante – séquence chair de poule assurée ! - de soprano d’Edda Del’Orso, la caméra de Leone s’élève pour nous montrer la ville en construction avec la naissance du chemin de fer. Il était une fois dans l’Ouest, donc.
Il était une fois dans l’Ouest part de Monument Valley (lieu de tournage par excellence des films fordiens) pour passer par Almería (Espagne) et Cinecittà (Italie) avant de revenir à la case départ, Monument Valley : Aux Etats-Unis, à partir de la poignée de films de Leone, on n’a plus jamais fait les westerns de la même façon. On a longtemps reproché à Leone de faire un cinéma bâtard, parce qu’il était Italien et qu’il était entièrement tourné, à l’exception de son 1er film (Le Colosse de Rhodes), vers l’Amérique. Et alors ? Moi, justement, c’est ce que j’aime chez Leone : l’aspect bâtard, métissé, mélangé, de ses westerns-spaghettis. En plus, je trouve qu’ils répondent parfaitement à la définition du cinéma comme « art impur » donnée par André Bazin. En ce qui concerne ce mélange des sources d’inspiration qui donne naissance à « une image de Sergio Leone », reconnaissable entre toutes, peut-être que la scène la plus caractéristique de C’era una volta il West, dans cette idée d’un grand brassage des modèles qui engendre néanmoins un Tout extrêmement cohérent (à savoir la planète Leone), est celle où l’on voit, en flash-back, Frank/Fonda pendre le frère de Charles Bronson : scène tournée, en fait, à Cinecittà, devant des toiles peintes. Le cadre est celui du western, tant en ce qui concerne le thème (la vengeance) que le décorum (les rochers érodés d’Arizona), et pourtant on ressent bien plus que ça : l’Espagne,
Au final, Il était une fois dans l’Ouest n’a pas pris une ride. Quarante ans après sa réalisation, et plus de vingt ans après la mort du Maestro, le cinéma formaliste et lyrique de Leone se porte comme un charme. Sa « fabrique de rêves » est une source d’inspiration inépuisable pour les cinéastes contemporains du monde entier. Xavier Beauvois déclarait encore tout récemment, à propos de son dernier film (Des hommes et des dieux, Grand Prix Cannes 2010, in Inrocks n°756), « J’ai tourné certaines scènes en mettant des BO de Sergio Leone. La scène de la descente des militaires, je l’ai tournée sur la musique de Il était une fois dans l’Ouest. Je pensais au western en faisant le film. » Je crois que, quand on pense au cinéma, que ce soit en simple amateur ou en professionnel de la profession, on pense souvent à Il était une fois dans l’Ouest car Sergio Leone, en plus d’être un narrateur virtuose, était aussi un grand inventeur de formes. Il était une fois dans l’Ouest ou Il était une fois le cinéma. Bref, du très grand art. Du 6, euh pardon, 5 sur 5 pour moi !
* En salle (réédition, copie neuve, VO) depuis le 21 juillet 2010. A Paris, au cinéma le Grand Action, 5 rue des Ecoles, Quartier latin, 5e. Salle panoramique Henri Langlois.
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