« Le jeu de la mort » expérience scientifique ou jeu bidon ?
« Le jeu de la mort » est un documentaire proposé par France 2, dans lequel de vrais scientifiques et de faux producteurs de télévision recrutent des vrais candidats pour un jeu dont le principe est simple : envoyer une décharge électrique de plus en plus forte à un homme à chaque mauvaise réponse.
Cet homme est en réalité un acteur, et le but (avoué a posteriori aux candidats) est d’étudier le processus de soumission à l’autorité de la télévision.
Ce Remake de la célèbre expérience de Milgram, qui lui avait placé ses cobayes sous l’autorité de la science, avant de leur demander d’envoyer, suivant le même principe, des décharges électriques à un quidam, est-il une véritable expérience scientifique ou un expérience télé bidon ?
Le débat sur le fond concernant la soumission de l’homme à l’autorité, ici l’autorité de la télévision, aussi intéressant soit-il, doit-il occulter le débat sur la forme ?
Tentative de réponse :
Tout d’abord, remarquons que le titre de ce "documentaire" intitulé par France 2 d’une façon assez racoleuse « Le jeu de la mort » sans le moindre sous titre faisant allusion à une quelconque expérience scientifique, nous place d’office sur le terrain de l’émission de télé réalité pure et dure.
La dictature de l’audimat y est encore sans doute pour quelque chose.
Peut d’observateurs dans la presse ont néanmoins cru bon de se lancer dans un tel débat. Sont-ils eux aussi « des agents exécutifs » soumis au pouvoir de la télé ?
Pas seulement,
le débat de fond, concernant la soumission de l’homme à l’autorité, ici l’autorité de la télévision, déclenche immédiatement les passions, et les passions c’est bien connu, nous empêchent d’y voir clair.
Or, à y regarder de plus près, s’il y a bien un réel abus de pouvoir de la télévision sur les esprits, ce documentaire qui prétend le dénoncer, repose lui même sur un abus de pouvoir, une tromperie, vis-à-vis des candidats comme des téléspectateurs.
Evidemment, la magie de la télévision opère encore une fois. Elle simplifie et nous fait prendre ce qu’on nous laisse voir pour la réalité. Autrement dit : nous sommes séduits, nous adhérons. On nous dit "expérience scientifique, on nous montre des chercheurs barbus en blouses blanches, et le tour est joué. On a le souffle coupé : 80 pourcent de nos compatriotes acceptent d’envoyer la décharge maximale de 480 volts !
Vit-on au milieu des barbares ? A quand une nouvelle Shoah ?
Comment procède-t-on ? Quel est le tour de passe passe ?
Et bien : au téléspectateur on fait croire qu’il pourrait très bien être à la place de ces "cobayes" qui envoient les décharges électriques : "ce sont des gens comme vous et moi" répètent habilement les maîtres d’oeuvres de ce docu-réalité.
C’est là que le bât blesse : il n’en est rien. C’est même un gros mensonge.
Seriez-vous allé tester la solidité de votre couple sur l’île de la tentation ? Non, sûrement pas.
Seriez-vous allé faire le guignol sur un jeu télé sans savoir à l’avance de quoi il s’agit ? Sûrement pas non plus.
Autrement dit vous auriez refusé d’office de vous soumettre à l’autorité de la télévision.
Au premier coup de téléphone du recruteur vous auriez dit "Non" comme de nombreuses personnes qui ont un jour été contactées pour participer à l’ile de la tentation et qui ne se sont de ce fait jamais laissé tentées par l’île paradisiaque.
Les candidats du jeu de la mort, ne sont donc pas "vous et moi", contrairement à ce que veulent nous faire croire les producteurs de ce documentaire, ils sont une minorité de gens soigneusement choisis parmi un groupe de personnes qui reconnaissent "l’autorité légitime de la télévision" selon la formule consacrée par les psychologues sociaux, panel qui est donc susceptible d’exécuter les injonctions émanant de cette autorité et représentée par l’animatrice télé.
La première de ces injonctions étant, rendez-vous à telle date pour l’enregistrement d’un jeu dont ils ne savent rien.
Il est donc complètement abusif de tirer de ces résultats des conclusions d’ordre général comme le fait pourtant le documentaire sur la fin. (On le fait certainement pour les besoins de l’audimat, avec la complicité de la presse télé qui fait monter la sauce comme d’habitude)
D’autre part, il aurait fallu comptabiliser dans ces résultats tous ceux qui ont refusé de participer à l’expérience télévisuelle. (Ce qui est sans doute la majorité d’entre nous contrairement à ce que France 2 nous fait croire, pour dramatiser et vendre son documentaire)
Mais cela n’est pas tout chers amis, à l’abus de confiance télévisuel, se rajoute une imposture scientifique.
" Le protocole" scientifique en question est extrêmement discutable au même titre que celui de Milgram, qui a été remis en question par de nombreux chercheurs éminents. Ici, la principale critique que l’on pourrait émettre étant que le PUBLIC connaît et participe à la supercherie.(Public qui malgré son rôle décisif ne sera donc jamais appelé à donner son point de vue)
Remarquons à ce titre là que de nombreux candidats ont accepté de continuer à torturer le quidam sous la pression de ce public complice de la production.
La phénomène psychologique est simple, l’adhésion du groupe confortant l’individu dans la légitimité de son action. Or que dire si le public est truqué ? Si le public n’agit pas comme il aurait agi dans la réalité ?
Et bien l’expérience ne vaut plus rien. Dès lors que l’un des facteurs n’est pas valide, en l’occurrence pas réel, le comportement des sujets qui en est la résultante, ne peut pas l’être davantage.
Cette expérience pseudo scientifique est donc une supercherie remarquablement bien ficelée qui nous montre encore une fois le pouvoir qu’a la télévision, de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, et de nous manipuler en prétextant toujours de bonnes intentions.
N’importe quels manipulateurs un peu doués et a fortiori des psychologues sociaux organisés, sont en mesure de manipuler des individus isolés et donc vulnérables. Cela marche d’autant mieux que c’est la télévision, voilà les seules conclusions valables qu’on peut tirer de ce documentaire. Le reste relève de l’abus de confiance avec complicité de certains psychologues ravis de se faire un coup de pub à la télé, complicité de la presse également ravie de discuter sur des sujets aussi polémiques où l’on voit déjà poindre la menace d’un prochain Holocauste. Rien de nouveau, donc sous le soleil, seulement une arnaque télévisuelle de plus, made in « sévice public » , avec toujours la même victime : le téléspectateur, moi, nous, vous.
Emmanuel Ruhle
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