Pour changer de sujet, intéressons-nous à une réforme, certes bénigne, mais qui n’en offense pas moins le sens et le goût. Il y a déjà quelques années, au nom de l’avancée de la cause des femmes, ont été inventés des noms féminins là où il n’y avait que des masculins. Ainsi dans le temple précieux de la langue où seul le temps fait office de créateur, ont été introduits d’une main brusque, des docteures, auteures, écrivaines, proviseures et autres procureures. Je saigne en écrivant ces créations à la Mac Do. Inventez si vous voulez mais faut-il, pour qualifier des femmes qui sont la beauté même, leur accoler des noms affreux ? Quand je lis sur un post que l’on m’adresse : @ l’auteure, « Mon cœur crie dans chacun de mes membres ! » ( Eschyle/ Les Perses.)
Bon, ce n’est qu’un brimborion dans nos vies chahutées, une escarbille dans l’œil quand le train file vers le pont de Cassandra, mais permettez-moi d’éventer mon bouillonnement !
Les meilleures intentions sont parfois calamiteuses.
Au nom de l’égalité des sexes, des féministes ont féminisé certains vocables insolemment masculins. Vaugelas, nous voilà !
C’est ainsi qu’auteur est devenu « auteure ».
Pauvre femmes.
Déjà qu’il leur était très difficile de devenir auteur, les voilà désormais condamnées à ne plus jamais l’être.
Imaginons une fille qui ait plus de talent que Mme de La Fayette et Colette réunies, elle ne sera pas « auteur », nom noble s’il en est, mais « auteure ». Pleurons.
Les doctes qui ont féminisé ce nom semblent ignorer que, depuis le moyen-âge, le e muet final ne se prononce plus en Français.
Ainsi une auteure est tout au plus une auteur. Une hauteur, venant tout de suite à l’esprit pour faire regretter cette bassesse.
En fait ce mot « auteure » ne peut s’entendre que dans un contexte particulier.
On est sur le Vieux Port. Une dame vient d’acheter une rascasse et une autre demande à la poissonnière :
-Ma, Mireilleu, qu’esse qu’elle fait cetteu dameu qui vient de te prendreu la rascasseu ?
-Cette dameu, Germaineu ? Mais c’est une auteureu !
Tout autre emploi est redhibitoirement ridicule et les journalistes qui se tordent la langue pour montrer qu’ils obéissent aux diktats du féminisme : « Oui, vous êtes auteure… », ne sont que les pauvres victimes d’une aberration bien-pensante.
Vous allez me dire, peu importe. Un auteur n’est ni un homme, ni une femme.
Un auteur est un mort.
Seuls le temps et les louanges le consacrent.
Une réalité me frappe. Nos grands auteurs, eux-mêmes, n’ont jamais su qu’ils l’étaient. Ainsi Rimbaud n’a jamais entendu son nom comme nous l’entendons : « Rimbaud » dans un bouquet de vers, d’insolence, d’audace, de beauté, d’absinthe, de folie, de passion, d’admiration, de têtes hantées par la splendeur inaltérables de ses mots !
Quand il entendait son nom, c’était dans des phrases du type :
-He ! M’sieur Rimbaud ! Oubliez pas d’sortir vot poubelle ! Qué crado cui-là !
-IL s’appelle comment madame Merlu ? Rateau ? Rideau ?
Même Hugo, pourtant déifié de son vivant, n’a jamais été notre Hugo, le Hugo du Lagarde et Michard, de la Comédie Française, le délicieux monsieur vintage aux yeux si doux qui appuie son menton sur sa main.
Seul le temps donne au talent sa patine et aux têtes leurs lauriers.
Auteur est une carte de visite qui ne vaut qu’au paradis.
Comment donc appeler une femme qui écrit. ?
On peut s’en tenir aux genres qu’elle pratique.
Ainsi, pour le théâtre, inutile de se fatiguer, le mot existe avec un « e », ouf : une dramaturge.
Je propose que pour les hommes on enlève le « e ». Un dramaturg me paraît plus viril. Hugh !
Je propose même que l’on supprime le « e » de Molière et Racine, Molier et Racin étant, ainsi dénudés, tels, après tout, qu’on les prononce. De grandes réformes s’imposent, nous le savons. N’hésitons pas à tailler dans l’Art.
Ecrit-elle des romans ? Romancière évite toute contestation. Si féminin « romancière » !
Je dirai même que romancière me paraît plus beau, plus excitant que romancier, plus sec.
Ainsi je dirai que Robbe-Grillet est un romancier et Balzac une romancière. Plus bavard, plus attaché aux détails d’une maison, couleur des rideaux, nature de l’argenterie, détail des vêtements et autres courtepointes. Rien ne lui échappe.
Mais la vraie romancière est une femme.
Je l’imagine qui descend de l’Orient-Express. Dans une gare enfumée comme autrefois Anna Karénine. Elle porte une mallette de cuir dans laquelle les feuilles qu’elle vient de composer nuitamment reposent. Elle se dirige vers la ville puissante qui dort dans la nuit aux yeux de lune ! Elle traverse le parking de la gare de Lyon et là, soudain, se tord. Comme une mère qui va enfanter ! Ses personnages la pressent ! Elle se précipite dans un café, s’attable, sort sa mallette, et telle Simone de Beauvoir, cette auteure bien connue, se livre à l’accouchement de ses monstres ! Femme !
Pour les femmes poètes, la question est réglée. Ce sont des poétesses.
Poétesse, on a compris.
Marcelline Desbordes-Valmore.
Je crois qu’il n’y a pas de façon plus cruelle de signaler aux femmes que cet art leur est étranger en les baptisant poétesse.
Poétesse rime avec fesse ce qui est une manière de les renvoyer à leurs fondamentaux.
Certes, ne nous chagrinons pas de cette incompétence : les femmes ne sont pas poète car elles sont la poésie.
Elles ne sont pas là pour l’écrire, elles sont là pour l’inspirer.
On ne peut pas être au four et au moulin. Au lit et à la cuisine suffit à leur vocation.
Laissons donc aux vocables leur liberté et si un masculin désire honorer un féminin de sa désinence virile, celle qui s’en offusque, à mon avis, est une idiote.
Chaque mot a son charme propre. Parfois le masculin l’emporte parfois le féminin atteint au sublime. Ainsi le féminin de doge : dogaresse. On s’y voit. Des dogues et des caresses.
-Monseigneur ! Une missive pour vous !
-Que me dis-tu Pipo ? Une missive ? Dans une enveloppe rose avec des étoiles d’or ? Mais d’où vient-elle ?
-Comment ! Monseigneur ne le sait pas ? Ce sont les couleurs de la dogaresse ! Vous lui plaisiez ! Elle vous le fait savoir.
-La dogaresse !!!
Ah ! L’instant où cet homme glisse dans les venelles obscures de Venise, pénètre dans la Ca’ d’Amore , échappe aux morsures des dogues et soudain s’abîme dans le taffetas de sa robe, illuminé de ses yeux verts et de cette main diaphane qui le caresse…Ah ! Dogaresse !!!
En fait, pour nommer une femme qui écrit, je crois que le mot que je préfère est « écrivaillonne. »
J’imagine la scène suivante. Un père est auteur et il a une fille, petite, qui gribouille. Il ne sait pas ce qu’elle fait. Mais un jour, par curiosité, il lit. Et là, il sourit dans le ravissement de sa découverte. Elle entre, le regarde, n’ose poser aucune question. Alors il lui passe la main sur la tête, lui chiffonne les cheveux et lui dit : « Ma petite écrivaillonne ! »
Litote.
Ce n’est pas un mot qui rabaisse. C’est un mot qui transmet dans un jeu d’amour, de complicité, d’héritage, de joie de savoir que tout se poursuit.
Ecrivaillonne qui rime avec sauvageonne.
Celle qui est près de la Nature.
Et je signe ce post d’un nom féminin, ouf !, je ne me ferai pas gronder :
La postière.