Marie au paradis des alpinistes chamoniards
Depuis l’été 2010, une superbe fresque murale en trompe-l’œil – le mur des guides – orne le pignon d’un immeuble de la rue du Docteur Paccard à Chamonix. On y découvre 20 personnages qui ont contribué à faire de la ville savoyarde la capitale mondiale de l’alpinisme. Parmi eux, les deux premières femmes qui ont atteint le sommet du géant d’Europe...
Certains des personnages qui figurent sur la fresque sont célèbres dans les milieux de l’alpinisme, mais très peu connus dans le grand public. D’autres en revanche ont acquis une renommée qui dépasse largement le milieu très fermé des « conquérants de l’inutile ».
Tout en bas de la fresque, on reconnaît notamment, au centre du « Bureau des guides », Joseph Ravanel dit « Le Rouge », le guide qui a servi de modèle au héros du célèbre roman Premier de cordée. À droite figure Michel Croz, le guide vainqueur du Cervin en compagnie d’Edward Whymper lors de la tragique « première » de cette conquête qui, en 1865, a coûté la vie au Chamoniard et à trois de ses compagnons dans la descente.
Un peu plus haut, suspendu au balcon du 1er étage, l’écrivain et cinéaste Gaston Rébuffat, marseillais de naissance mais chamoniard d’adoption. Juste au-dessus de lui, en veste de ville, Roger Frison-Roche, l’auteur de Premier de cordée. Un peu plus à gauche, en pull bleu, Louis Lachenal, acteur en 1950 de la très controversée conquête de l’Annapurna, en compagnie de Maurice Herzog. Sac au dos à son côté sur la fresque, Lionel Terray, l’auteur du livre-culte Les conquérants de l’inutile, faisait également partie de cette expédition.
À l’étage supérieur, les pionniers du Mont Blanc. À gauche : le médecin Gabriel Paccard et le cristallier Jacques Balmat, vainqueurs du mythique sommet le 8 août 1786. À droite le physicien Horace-Bénédict de Saussure, membre de la 3e expédition, et l’astronome Joseph Vallot, créateur d’un observatoire sur une arête du géant et lui-même auteur de 34 ascensions du Mont Blanc.
Enfin, tout en haut, une figure féminine, celle d’une humble servante d’auberge, installée là comme une spectatrice au paradis – la place des gens modestes – de ce grand théâtre de la montagne où se sont illustrés tant de guides chevronnés et de « monchus* » de renom. Une place symbolique pour cette femme qui porte un si joli nom : Marie Paradis. Pourtant rien ne prédisposait la native de Saint-Gervais à se trouver un jour en compagnie d’aussi éminents conquérants des cimes. Et force est de reconnaître que sans Jacques Balmat jamais elle n’aurait laissé son nom dans l’histoire de l’alpinisme...
Les avis divergent, entre ceux qui affirment que c’est Marie elle-même qui a tenu à accompagner la cordée conduite par l’ancien cristallier, et ceux qui soutiennent que c’est le guide qui a sollicité la présence de la servante, en lui faisant miroiter une belle notoriété et de futures « étrennes » en rapport avec le statut de pionnière que lui vaudrait son ascension.
De Marie à Henriette
Toujours est-il que Marie Paradis s’est jointe à une cordée de six hommes, dont deux clients britanniques. Deux jours et deux bivouacs plus tard, le 14 juillet 1808**, elle était la première femme à atteindre le sommet du Mont Blanc. Mais à quel prix ! La fin de l’ascension fut en effet un véritable calvaire pour la jeune femme. Et ce n’est qu’après avoir été, de son propre aveu, « poussée », « tirée », et même « portée » par ses compagnons de cordée que Marie Paradis put enfin fouler les neiges immaculées du toit de l’Europe.
30 ans plus tard, le 3 septembre 1838, Henriette d’Angeville, tombée amoureuse des courses en montagne dès son enfance, atteignait à son tour le sommet du Mont Blanc. Et cela avec la bénédiction du curé qui, à titre exceptionnel, l’avait autorisée à manquer la messe du dimanche ! Alors âgée de 44 ans, Henriette devenait la deuxième femme à conquérir le mythique sommet alpin. Elle fut naturellement félicitée par Marie Paradis qui, avec lucidité et panache, salua en elle « la première véritable femme alpiniste » à avoir vaincu le géant des Alpes. C’est au titre de cet exploit qu’Henriette figure sur la fresque, l’œil rivé sur les sommets chamoniards depuis le balcon de gauche du 2e étage, où elle apparaît vêtue de l’habit qu’elle avait fait tout spécialement confectionner pour l’ascension. Un hommage mérité pour cette femme énergique et déterminée.
Incontestablement réussi, ce spectaculaire trompe-l’œil est dû à l’atelier isérois A.FRESCO, réputé pour ses œuvres de ce type. La fresque a été réalisée par trois artistes muralistes en faisant appel à la technique du marouflage ; elle a été inaugurée le 18 septembre 2010 et fait, depuis cette date, la fierté des Chamoniards. La fresque est visible sur Youtube dans une vidéo qui comporte une petite erreur : les identifications de Louis Lachenal et Lionel Terray y sont inversées. Deux mots encore sur ce trompe-l’œil : outre les personnages, on peut y voir un gypaète barbu, superbe rapace montagnard présent dans l’Himalaya et, dans une moindre mesure, dans les Alpes ; quant au blason de la vénérable Cie des Guides de Chamonix – elle a été fondée en 1821 –, les habitués de la vallée savoyarde y reconnaitront aisément la vue emblématique de La Verte et des Drus tels qu’on peut les admirer depuis la chapelle des Praz.
Il ne reste plus, pour se remettre pleinement dans l’ambiance des courses en montagne et accompagner ces conquérants des cimes, qu’à se replonger dans la lecture de Premier de cordée.
* « Monchu » signifie « Monsieur » en savoyard. C’est par ce terme de respect que les guides désignaient autrefois les riches clients qui faisaient appel à leurs services pour escalader les cimes de la vallée.
** À noter : le 14 juillet n’est la date de la Fête nationale française que depuis 1880. Quant au Duché de Savoie, il n’a été rattaché à la France qu’en 1860 (Traité de Turin). Le 14 juillet n’avait donc aucune signification particulière pour les Chamoniards de 1808.
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