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Merveilleux Botticelli

Vivants et mystérieux sous-bois, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? Peint par Botticelli, ce chef-d’oeuvre de la Renaissance est exposé au musée des Offices de Florence sous le titre : « Le printemps ». « La reine des sous-bois » me semblerait un titre plus exact. Le tableau se lit de la droite vers la gauche.

 

 Mon interprétation.

S’infiltrant au travers des branches et des troncs dénudés, le vent froid de l’hiver a retenu son souffle. Dans un dernier élan amoureux qui lui plisse les rides du front, son étreinte se desserre et ses bras languissants frôlent pour la dernière fois l’être aimée qui le quitte. Février s’achève : mois froid des gelées tardives et des engourdissants frimas.

Amoureusement surprise de ce souffle qui s’arrête, l’être aimée, que les Anciens appelaient jadis Chloris ou Flore, tourne un regard plein de tendresse et de reconnaissance vers son amant qui se retire tout en la libérant. La chevelure encore défaite après son long sommeil, elle porte dans son ventre les promesses de sa gestation hivernale. Le jaune des premiers rayons du soleil l’habille délicatement en se mêlant à un bleu hivernal qui s’estompe. Ses yeux s’ouvrent et sa bouche s’entrouvre, laissant échapper la première plante rampante de l’année. Nous sommes au mois de mars, la nature se réveille.

Que les sous-bois sont beaux à l’éclosion des fleurs d’avril ! Dans l’assurance de sa jeune beauté, elle avance doucement, pieds nus, sur un tapis de verdure. Sorties de leur bulbe comme d’un cocon, les jeunes plantes fleuries l’habillent. Des couronnes de fleurs ornent son cou virginal et sa chevelure blonde. La jeune écorce dorée décore ses avant-bras. Imitant le geste auguste du semeur, elle sème à la volée les fleurs du sous-bois.

Auréolée comme une sainte vierge par un fond de ciel bleu, dans l’ombre d’une cépée de frênes, la petite et modeste reine des sous-bois apparaît au sommet du mois de mai. Les rayons tamisés du soleil se sont répandus sur sa tête et ses épaules. Les fortes couleurs de sa robe sont des couleurs nuptiales et royales, merveilleux massifs de fleurs où le bleu fait vibrer le pourpre, et que décorent d’harmonieux galons de clochettes d’or. De la main droite, elle fait le signe de majesté, et de la gauche, retient le pan de sa tunique pour souligner le fruit qu’elle porte dans son sein.

Portant dans leurs chevelures bouclées et dans leurs tresses délicates les reflets dorés du soleil, les trois Grâces de juin, juillet et août se sont mises dans une ronde pour célébrer par leurs gestes liées la grandeur, l’équilibre, et l’harmonie de l’été. Sur leur visage d’épouses comblées, se reflète la sérénité d’un grand amour accompli. Elles ont aimé. Elles ont donné leur fruit. Autour de leurs corps harmonieux, tourbillonne une brise légère et fraîche qu’on ne trouve que dans les sous-bois au plus fort de l’été. Merveilleux bouquet qu’on découvre au détour d’un chemin forestier.

Messager entre le ciel et la terre, chargé par Dieu de donner vie à la nature, le beau Mercure a rempli sa mission. Dans son corps nu de jeune dieu vêtu de rouge, se devine, de même que dans le baliveau vigoureux, la force mystérieuse de la sève divine. Le regard tourné vers le ciel, il lève son caducée comme pour éteindre un réverbère, et dans ce geste de rideau qui se ferme, il annonce l’arrivée des premiers brouillards givrants. Nous sommes en septembre, mois de Mercure. Le sabre d’élagage annonce la mort prochaine de l’année.

Toi qui cherches dans le monde l’indéfinissable présence, ce n’est ni dans les landes désertes ni dans les prés à perte de vue qu’il te faut promener, mais dans la demi ombre des futaies, sous l’épais feuillage des plantations d’orangers. Tu y découvriras la fraîcheur, la luxuriance de la nature, son harmonie divine, sa modestie, son calme et son mystère. Tu y effleureras le voile léger des nymphes, puis levant ton regard vers les frondaisons verdoyantes, tu y verras, dans une trouée de feuillage, l’amour solaire aux yeux bandés, brandissant sa flèche de feu. Il frappe à l’aveuglette la corolle des fleurs au plus fort de l’été.

Mon explication.

Tableau peint pour la villa de Pierre Francesco Médicis par Botticelli. Composition probable de Laurent le Magnifique. Cadeau possible de Laurent à son cousin, amateur de jardins.

L’observation de la nature, et en particulier de ces sous-bois si mystérieux, a probablement amené Laurent le Magnifique à découvrir intuitivement des sensations et des formes naturelles harmonieuses. Au sortir de l’hiver, l’églantier sauvage cherche à se relever du sol comme une adolescente qui sort d’un rêve. Les plantes vigoureuses qui poussent au mois d’avril sont à l’image d’une magnifique jeune fille, pleine de santé. La petite reine de mai a l’attitude d’une humble violette et les trois Grâces, celle d’un chèvrefeuille des bois. Quant aux jambes de Mercure, elles font penser au jeune tronc d’un baliveau.

Ainsi donc, l’observation de formes harmonieuses dans la nature nous permet de retrouver ces mêmes formes harmonieuses dans la femme et dans l’homme. Franchissant un pas supplémentaire, nous nous rendons compte - toujours intuitivement - que ces formes nous amènent à la notion de beauté physique, puis à la notion de beauté des âmes, puis aux vertus. Par comparaison, l’imperfection de la société humaine apparaît d’autant plus criante.

 

 Dans son portrait magnifiquement peint par Vasari, également au musée des Offices, Laurent le Magnifique a laissé à la postérité l’image d’un prince qui s’interroge. Les symboles qui sont placés derrière lui évoquent l’illusion platonicienne de la vie terrestre. Homme de pouvoir et lettré, le maître de Florence ne pouvait ignorer les dialogues de Platon sur l’art de gouverner. Il a lu également dans la vie des hommes illustres. Il a puisé dans le vase de toutes les vertus. Entouré de masques aveugles et de têtes de vieillards moribonds, il s’interroge sur le sens de la vie.

D’après Platon, la réalité des êtres et des choses ne serait qu’une copie de formes ou d’idées qui existeraient dans un mystérieux au-delà inaccessible à nos sens. Cependant, par un effort d’intelligence intuitive, l’homme peut s’élever à des niveaux de compréhension supérieurs, ce qui lui permet d’arriver à la notion du bien, d’où découle l’idée de la justice, principe de base du bon gouvernement.

En plaçant au centre de sa réflexion la modestie des fleurs des bois que le soleil fait éclore, Laurent le Magnifique a voulu exprimer l’essentiel de son humanisme. La façon dont Vasari l’a peint quelques années après sa mort, dans une tenue raffinée certes mais sans ostentation, va dans ce sens. Son regard plein d’intelligence, habitué à l’exercice du pouvoir, a appris à voir le mal et le mauvais qu’il y a dans l’homme. Les symboles dont il s’est entouré sont une critique féroce de la pensée de son temps. Sur le monument de l’histoire humaine, la tête du philosophe est en état de décomposition avancée. Le serviteur bavard du temple, dont la tête a pris la place du sang de Dieu dans le ciboire, s’est enfoncé le goupillon dans la gorge. Quant à la muse de cette tragi-comédie humaine, son instrument de musique lui est entrée dans son orbite creuse. De son nez, la morve coule.

Dans ce contexte de décadence, qu’on ne s’étonne pas si Laurent le Magnifique a voulu remonter aux sources symboliques de la pensée antique.

Zéphire, après avoir poursuivi Flore, l’avait épousée. Il lui avait donné le pouvoir de transformer en fleurs tout ce qu’elle touchait (d’après un texte d’Ovide cité par Aby Warburg).

Violette, poursuivi par Phœbus, avait demandé à Zeus de la soustraire aux ardeurs de ce soleil trop ardent. Zeus la cacha à l’ombre... peut-être d’une cépée de frêne.

Les trois déesses de la grâce sont filles de Jupiter. Après avoir assuré le renouveau de la nature, elles célèbrent la joie du monde.

Enfin, cette réflexion sur le renouveau périodique de la nature nous amène à la notion du temps qui passe. L’an vit puis meurt puis revit puis meurt à nouveau suivant un cycle sans cesse renaissant. Il y a, d’une part, le mouvement infini du monde, et d’autre part, le caractère fini de l’individu. Voilà pourquoi la tête de chien ricane dans l’accoudoir du fauteuil.

Il y a, d’une part, l’aspect imparfait, misérable, périssable, décadent de l’humanité présente. Il y a, d’autre part, la beauté éternelle des formes.

 

copie à

Musée des offices

Ministre de la Culture (pour une meilleure éducation artistique de notre jeunesse)


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18 réactions à cet article    


  • Olga Olga 8 juin 2009 14:57

    Je me demande bien pourquoi quasiment toutes les femmes sur les tableaux de Botticelli ont des chevelures blondes ou rousses. Les brunes comptaient pour des prunes à l’époque ? smiley 


    • Emile Mourey Emile Mourey 8 juin 2009 16:05

      A moins que cela soit la couleur qui ait blanchi (je plaisante).


    • Olga Olga 8 juin 2009 16:36

      Peut-être un rapport avec sa propre couleur de cheveux... 
      En tout cas les hommes ont des cheveux bruns, mais pas les femmes, semble-t-il... 


    • Emile Mourey Emile Mourey 8 juin 2009 16:14

      Vous avez tout à fait raison. C’est une image qui a parcouru toute la peinture classique en passant par les trois grasses de Rubens jusqu’à celles de Daumier.


    • Emile Mourey Emile Mourey 8 juin 2009 22:16

      Je pense que vous avez lu trop rapidement mon article. Le portrait de Laurent le Magnifique avec ses symboles de l’arrière-plan montre bien le mépris qu’avait la famille des Médicis pour ses adversaires politiques, religieux, culturels ou philosophes. Je n’ai donc pas occulté la violence de cette époque que, d’ailleurs, tout le monde connait. Quant au tableau de Botticelli, c’est justement sa présentation bucolique, avec en projet politique, un retour à certaines valeurs « naturelles » du paganisme ancien, qui en fait une arme redoutable contre ses adversaires.

      En ce qui concerne ma phrase « son amant qui se retire tout en la libérant », je trouve qu’elle est, en effet, très expressive et pas plus choquante que le vers de Racine : « Et le désir s’accroit quand l’effet sse recule ».


    • Emile Mourey Emile Mourey 8 juin 2009 22:24

      Rectificatif : Corneille


    • Emile Mourey Emile Mourey 8 juin 2009 22:26

      Je vois que vous connaissez vos textes



    • Antenor Antenor 8 juin 2009 18:26

      C’est marrant, les deux trouées dans le feuillage des arbres autour de la « Belle de Mai » ressemblent aux grandes oreilles en forme de feuilles de gui qu’on retrouve sur les statues celtes.

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Keltenf%C3%BCrst_Glauberg_Gesicht.jpg


      • Olga Olga 8 juin 2009 19:10

        @Emile Mourey
        J’en profite pour vous demander si ce documentaire (sur la bataille d’Alésia) diffusé ce soir, vaut le coup d’oeil... 


        • Emile Mourey Emile Mourey 8 juin 2009 20:35

          Certainement


        • kimono 8 juin 2009 22:52

          aaaarghh !! c’est boooooooooooooo
          hou la la !!!



          • Emile Mourey Emile Mourey 9 juin 2009 10:07

            @ Le Furtif

            Ne manquez pas mon prochain article sur Botticelli qui fait suite à celui-ci et sur lequel, je pense, nous serons d’accord. Peindre à cette époque une femme nue dans « La naissance de Vénus » est une véritable provocation et marque, manifestement, une volonté politique de rupture et de libération.

            Quant à ce présent article, je l’ai écrit il y a peut-être bien plus de dix ans. Voici quelques extraits que j’avais rédigés alors sur le contexte historique : Le christianisme du Moyen-âge, à l’origine libérateur, est devenu contraignant du fait des nécessités de l’exercice du pouvoir.

            Face à un pouvoir papal évidemment imparfait, le prince de Florence se place dans un courant rénovateur dont le programme politique est facile à deviner : retour aux sources, aux vraies valeurs, réforme, progrès, nouvelle société etc… etc… En 1478, le pape soutient la conjuration des Pazzi contre Laurent. Son frère, Julien, est assassiné. La guerre éclate, mais par son habileté diplomatique, le seigneur de Florence ramène la paix ; son pouvoir s’en trouve renforcé. Nous sommes en 1480... Bien sûr que les Médicis ont réussi à s’emparer à certains moments du trône papal. Tout cela est une histoire compliquée, trouble, mais aussi pleine de passions.

            • Emile Mourey Emile Mourey 9 juin 2009 11:27

              @ Le Furtif @ Olga @ Antenor copie @ Matthieu Poux

              Oui, j’ai regardé hier soir le très intéressant et assez beau documentaire sur Alésia.

              Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Face à une convergence d’autant de preuves, comment certains peuvent-ils encore douter ? Comment un journaliste comme Claude Imbert du Point peut-il encore écrire ce 28 mai que le site d’Alésia n’est pas celui que l’on croyait ? Comment un intervenant peut-il encore parler de quasi-certitude alors que le mot « certitude absolue » s’impose ?

              Il n’empêche que le documentaire manque curieusement de précisions sur des points importants et qu’en focalisant l’attention du téléspectateur sur les résultats des fouilles du camp romain de la montagne de Bussy, on passe rapidement sur la nature et l’articulation des lignes de retranchement romaines. Egalement sur le déroulement des combats et leur application sur le terrain.

              Et puis, il y a des erreurs criantes. Parler de rois en Gaule est une ineptie. Le rix n’est qu’un chef de guerre. Le pouvoir est aux mains d’un sénat à l’échelon de la cité, d’un conseil à l’échelon de la ville.

              Affirmer que Vercingétorix a été livré va à l’encontre des textes qui prouvent manifestement que le chef gaulois s’est livré et que ce fut un grand spectacle voulu par César.

              Autre erreur : entretenir le mythe gallo-romain, alors que le texte de César prouve l’existence de la ville gauloise sur le plateau au moment de son arrivée.

              Autre erreur : l’emplacement et la nature du murus gallicus. Et je ne reviens pas sur les mauvaises interprétations concernant les lignes de retranchement et le déroulement des combats. Mais reconnaître mes explications sur ces deux sujets, ce serait admettre en même temps mes critiques sur les erreurs de localisation de Bibracte et de Gergovie, et cela, les pontifes qui se sont exprimés (Christian Goudineau et Michel Reddé) ils ne veulent pas en entendre parler.


              • Emile Mourey Emile Mourey 9 juin 2009 12:42

                @ Le Furtif @ Olga @ Antenor @ Matthieu Poux

                J’ai fait paraitre mon commentaire sur le site de la 5 au sujet d’Alésia. Je vous signale également que mon article suivant sur Botticelli est paru. Je l’ai écrit hier tout en répondant à vos commentaires. Et pourtant, je m’étais promis d’arrêter d’écrire de nouveaux articles car j’ai beaucoup d’autres choses à faire. Et puis à quoi ça sert ? Est-ce parce que les internautes ne s’intéressent plus à ces questions ? Est-ce parce que c’est trop compliqué ? Est-ce moi qui ne suis pas assez clair ?

                Et pourtant, cela fait mal au coeur de constater les bafouillages de mes contemporains, et sur l’archéologie, et sur leur incapacité à expliquer correctement, et poétiquement, les merveilles que les Anciens nous ont laissées.


                • Antenor Antenor 10 juin 2009 19:33

                  @ Emile

                  Je viens de lire vos commentaires sur le site de France 5. Quelle est cette histoire de croquis mis au rebut ? Pour convaincre sur un article, je pense qu’il faut être très carré et donner de la matière et le mode d’emploi au lecteur. Un recoupement de vos explications de la bataille avec ces croquis permettrait à chacun de juger sur pièces. A mon avis, ce qui effraie le plus les lecteurs, ce n’est pas de vous suivre mais d’abandonner les explications traditionnelles. Il vous faut donc leur tenir la main en expliquant en quoi les explications classiques ne sont pas valables. Pour que le Crest puisse être pris sérieusement en considération, il faut non seulement le mettre en valeur comme vous et Gasty l’avaient très bien fait mais également « dégommer » Merdogne.


                • Emile Mourey Emile Mourey 11 juin 2009 10:05

                  @ Antenor

                  Je viens de consulter le livre de Michel Reddé. En fait, contrairement à ce que j’ai dit, Michel Reddé ne fait pas fi du croquis de fouilles de l’équipe allemande mais il l’interprète en dépit du bon sens alors que c’est la parfaite illustration du texte de César (à condition de le traduire comme je l’ai fait). Michel Reddé voit des aiguillons/stimuli là où il faut voir les fleurs de lis/lilia et il plante des branchettes ridicules en avant qu’il nomme cippi car il n’a pas compris que ces cippi/colonnes de la mort étaient des troncs couchés dans le large fossé extérieur. Erreur supplémentaire, il interprète la sédimentation observée dans ce fossé comme l’indice qu’il avait été en eau alors que c’est la trace des troncs précités. Il n’a pas compris que le fossé mis en eau était le premier fossé au pied du rempart. En ce qui concerne les fleurs de lis/ lilia/trous de loup, il les situe en dehors du glacis en se fiant aux fouilles de Napoléon III, ce qui est évidemment faux. La conséquence, c’est une reconstitution du retranchement qui fera mourir de rire n’importe quel bon professionnel de la guerre.

                  Quant à Merdogne, cela fait longtemps que le plateau est la cible des concurrents des Côtes de Clermont et ça n’a rien changé, d’autant plus que maintenant, ce n’est pas le sujet qui les intéresse (cf. Matthieu Poux qui ne voit plus que Corent).

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