Paris : une citadelle oubliée
Dès que le soleil repointe son nez, que l’air se fait plus chaud, prémices d’un été annoncé, les Parisiens s’élancent au coeur même de la capitale comme à l’assaut d’une citadelle oubliée.
Absorbés par le quotidien, nous finissons par ne plus voir cette ville, "notre" ville ; certes, nous la connaissons mais, parfois, nous ignorons par exemple que le passage et la rue les plus étroits sont respectivement le passage de la Duée, et la rue du Chat qui pêche, que la rue la plus courte est la rue des Degrés, que la plus longue est la rue de Vaugirard, que l’avenue la plus large est l’avenue Foch et que la longueur du boulevard des Maréchaux est de 33,7 km. Que les rues étaient au nombre de 853 au temps de Louis XIV, et que l’on en dénombre aujourd’hui plus de 5400.
Saviez-vous que jusque sous le règne de Louis XVI, le tracé des rues de Paris était calqué sur d’anciens sentiers ou d’anciens chemins. C’est à cette époque que l’on décida d’ouvrir des rues en les perçant au travers des terrains privés. C’est sous Philippe Auguste que fut décidé le premier pavage. Les rues d’autrefois étaient sombres et boueuses avec un caniveau unique placé en son milieu. A la place des trottoirs, il y avait des bornes latérales servant de protection aux piétons. Il faudra attendre 1805 pour voir les bornes remplacées par les trottoirs et le caniveau central supprimé. Le nom des rues n’était pas affiché. Les premières plaques seront posées en 1728 et la numérotation des maisons verra le jour en 1806. Les rues de Paris étaient alors érigées d’enseignes : on habitait ainsi la Grosse Bouteille (impasse de la Grosse Bouteille dans le 18e). De nombreuses rues ont gardé ces noms évocateurs comme la rue de Venise, la rue du Coq Héron, la rue des Oiseaux, la rue Plat d’Etain, la rue de la Perle, et tant d’autres encore. Sous Philippe le Bel, la nuit venue, Paris n’avait que trois sources de lumière : le Grand Châtelet, la tour de Nesle et le cimetière des Innocents. C’est en 1662 que l’abbé Careffe fit adopter un éclairage mobile. Des porteurs, munis de flambeaux de cire ou de lanternes à huile, accompagnaient les passants. En 1791, Lebon invente le gaz d’éclairage et c’est en 1829 qu’aura lieu le premier éclairage d’une voie publique.
A la place de la rue des Innocents (1er), et du square du même nom, s’élevaient le cimetière et l’église des Saints Innocents au Xe siècle : plus de 2 millions de Parisiens y furent enterrés. En 1786, on transfera les ossements à la Tombe Issoire, baptisée alors Catacombes. On raconte que lors du terrible siège de Paris par Henri de Navarre, en 1590, les Parisiens fabriquèrent une farine à pain avec les débris humains. La fontaine, elle, date de 1550 et se trouvait rue St-Denis, mais lors de la suppression du cimetière, elle sera transportée à sa place actuelle, où se trouve aujourd’hui le Forum des Halles.
Face au n° 11, rue de la Ferronnerie, il y a une plaque encastrée dans la chaussée : elle porte trois fleurs de lys. C’est à cet endroit que le 14 mai 1610, le carrosse d’Henri IV fut immobilisé et que Ravaillac blessa mortellement le roi.
Au n° 17 de la rue Hérold se trouve l’emplacement de l’hôtel où Charlotte Corday descendit le 11 juillet 1793 : elle venait à Paris pour y assassiner Marat.
La rue de l’Echelle tire son nom de l’échelle dressée en ce lieu avant la Révolution. La justice de l’évêque y envoyait les maris infidèles, les parjures et les profanateurs pour y être exposés au public.
Le passage des Panoramas (2e) tire son nom des vues peintes de l’Américain Fulton, qui procuraient aux spectateurs du début du XIXe l’illusion de visiter Londres ou Athènes.
La rue Vide Gousset tire son nom des vols qui s’y commettaient.
La rue du Croissant date de 1612 et doit son nom à une enseigne. C’est à l’angle de cette rue avec celle de la rue Montmartre, au café du Croissant, que fut assassiné Jean Jaurès, le 31 juillet 1914.
Le nom de la rue Beauregard vient de la vue qu’avaient jadis les habitants tant sur la capitale que sur la campagne.
Dans le 3e, la rue des Vertus doit paradoxalement son nom aux filles de joies qui la fréquentaient en 1546.
Si vous vous engagez dans la rue de Montmorency, arrêtez-vous au numéro 51 : c’était la maison de Nicolas Flamel. D’après ses étudiants, Flamel aurait possédé la pierre philosophale et c’est dans cette maison qu’il transformait le plomb en or.
La place de la République, ancienne place du Château d’eau, s’est formée de 1856 à 1865 sur l’emplacement d’un bastion de l’enceinte supprimée sous Louis XIV. En 1883, la place fut dotée d’un monument de la République par Moricet. Ces travaux entraînèrent la destruction de la partie la plus animée du boulevard du Temple alors nommé boulevard du Crime du fait de la représentation dans ses théâtres de mélodrames, à l’image du théâtre des Funambules qui accueillait le mime Deburau sous la Restauration (immortalisé dans le splendide film de Carné "Les Enfants du paradis ").
Si vous vous trouvez rue du Petit Musc (4e), sachez que son nom vient d’une déformation de "pute y musse" soit "la pute qui y flâne", ce qui laisse à penser que cette rue, qui existait déjà en 1358, était alors un "val d’amour" à proximité du port Saint-Paul.
Lorsque vous empruntez l’impasse Guéménée, vous empruntez le "cul de sac du Ha ! ha !" en raison du marché aux chevaux qui était installé sur l’emplacement du palais des Tournelles.
Si vous vous arrêtez un instant au square St-Jacques, vous êtes dans ce qui fût le premier square de la capitale. Inspiré de ceux que l’on pouvait voir à Londres, le mot square vient néanmoins du vieux français "esquarre"
La rue du Figuier existe depuis le 13e siècle et se nomme ainsi à cause d’un figuier qui se trouvait au milieu du petit carrefour situé devant l’Hôtel de Sens. C’est la reine Margot qui le fit enlever car il gênait les manœuvres de son carrosse.
La rue Saint-Martin (4e) est, avec la rue Saint Jacques, la rue la plus ancienne de Paris : c’était la piste qui allait de Lutèce aux régions du nord. Elle tient son nom depuis le 11e siècle.
Le pont Neuf (6e), contrairement à son nom, est le plus vieux de Paris. Terminé en 1607, ce premier pont de pierre sans maisons ouvrit un nouveau mode de relation entre la cité et son fleuve.
La rue du Regard (ex-Petit Chemin herbu) porte son nom actuel depuis 1667 dû à un regard adossé à une fontaine qui se trouve aujourd’hui sur la fontaine de Médicis au jardin du Luxembourg.
Le nom de la rue des Quatre Vents date du 17e siècle et lui vient d’une enseigne qui représentait des têtes d’amour soufflant vers les quatre points cardinaux.
Les origines de la rue du Bac (7e) remonte à mai 1564 : pour transporter les blocs de pierre venant des carrières de Vaugirard et destinées à la construction des Tuileries, il fut nécessaire de mettre un bac permettant la traversée de la Seine.
L’avenue Montaigne (8e), tire son nom du célèbre écrivain humaniste et cependant elle fut appelée l’allée des Veuves de triste réputation, surnom qui lui venait de ce que l’on pouvait rencontrer des personnes solitaires en quête d’aventures galantes. Cette avenue, mondialement connue aujourd’hui pour son luxe, était alors une allée fréquentée par des voleurs et des sans domicile fixe tels que les décrit Eugène Sue dans " Les Mystères de Paris ".
La rue Bleue (9e) date de 1714 mais son nom d’alors était la rue d’Enfer par opposition à la rue du Paradis qui la prolongeait. C’est à la demande de ses habitants, en 1789, qu’elle fut rebaptisée de son nom actuel.
Et enfin la rue Dupleix (15e) qui était, au XVe siècle, un chemin de terre de la plaine maraîchère de Grenelle conduisant au château de Grenelle. Sous la Révolution, ce château abritait une fabrique de poudre ; à la suite d’un accident, il explosera en 1794.
Carosses et chevaux traversant notre bonne ville, quartiers huppés transformés en coupe-gorges, bacs remontant la seine, des ponts avec des maisons, des hommes, flambeaux en main, chargés d’accompagner les Parisiens. Les premiers réverbères, et les premiers omnibus du 19e, et la brique, le zinc, le verre, le fer et enfin le béton remplaçant la pierre de taille, le calcaire grossier et le gypse ou le plâtre qui formaient l’essentiel de l’architecture d’alors. Le café Procope qui attirait les beaux esprits et offrait une nouvelle boisson venue d’Orient, le kahwa (café) stimulante pour l’esprit. Voltaire, Rousseau, Marat, Danton, Bonaparte, Desmoulins, Robespierre, Talleyrand et puis Musset, George Sand, Gambetta, Verlaine et Mallarmé. Tous l’ont fréquenté à un moment ou à un autre. Le café de Flore transformé en salon littéraire grâce à Sartre et Beauvoir et les caves de St-Germain résonnant de la trompette de Boris Vian et de " Liberté ! Liberté ! " chantée par Juliette Gréco.
Paris qui n’en finit pas de faire rêver les êtres du monde entier, mais qui ne fait plus rêver les Parisiens eux-mêmes. Il y a ceux qui donneraient tout pour y venir et ceux qui ne rêvent que de quitter cette citadelle anémiée. Les auteurs maudits vinrent y trouver refuge se contemplant dans le miroir aux alouettes que leur tendait la capitale. Beaucoup y sont morts : excès de rêves ? Ou bien désenchantement fatal ? Paris qui peu à peu a grignoté notre part d’insolence qui nous rendait si talentueux.
Il flotte comme une légère mélancolie sur Paris lorsque nous revient en mémoire le texte de Francis Lemarque : "... Paris qui s’est mis en colère, A fait trembler la terre, Par la voix de Gavroche, Paris qui n’a pas oublié, Se souvient de tous ceux, Qui lui ont tout donné, Paris même s’il a pris du ventre, A gardé sa jeunesse, Il en a à revendre, Paris se retrouve partout, Et les gens de partout, Se retrouvent à Paris."
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