Quelques nouvelles du front des langues
Notre reporter est allé récolter, au péril de son français, quelques nouvelles fraîches sur le front de la « guerre des langues », conflit linguistique franco-anglais bien parti pour durer plus longtemps que la « Guerre de cent ans » de sinistre mémoire.
Certes, nos élites anglicisées, soutenues par les grands médias, abhorrent cette expression et nient l'existence même d'un impérialisme linguistique, d'une lutte économique ou d'une domination culturelle.
Pourtant, ces conformistes frileux et souvent snobinards, à l'occasion du récent décès de P. Casanova, critique littéraire et chercheuse, ont été, dans leur hommage, obligés de rappeler que son ouvrage à succès portait sur la domination culturelle au travers de la traduction :
« La traduction est d’abord un signe de domination certain : l’anglais aujourd’hui est, et de loin, la première langue traduite et elle traduit très peu. Nous sommes écrasés par les textes venus de la sphère anglophone. Et nous ne trouvons rien à y redire puisqu’ils sont accompagnés de leur aura... » (L'Obs)
Ajoutons qu'il en va de même au cinéma et pour les séries télés : les USA ne doublent jamais les films étrangers, pas plus qu'ils ne les sous-titrent pour leur grand public, ils préfèrent les refaire puis nous les revendre ! Comme si le monde extérieur à leurs yeux n'existait pas, sinon pour y faire son marché !
Voici donc les dernières nouvelles du front :
- Dans une librairie, pourtant traditionnelle et bien achalandée, un rayon portait le nom de « Ados et young adults » ! Les Young Leaders saturent déjà le paysage politique, voilà maintenant qu'on ne peut plus être peinards dans la modeste librairie de quartier...
- « Kids » ne suffisant plus à faire genre, une revue parle maintenant de « petits boys ». Ce qui est absurde à cause de l'ambiguïté du mot qui désigne un domestique en Afrique francophone.
Des revues de cuisine font maintenant leur sauce linguistique avec le « batch cooking » (repris par la télé), à savoir cuisiner pour plusieurs jours (principe qui ne date somme toute que du néolithique, comme le poisson fumé ou séché, les salaisons en général, dont plus tard le garum des Romains). Mais c'est teeeellement plus moderne in english...
- Même la météo s'y met : lorsque le temps est à l'orage linguistique, elle parle parfois de « medicane », contraction (douloureuse) de « hurricane » et « mediterranean ». En clair une tempête méditerranéenne, ou méditempête si vraiment les gars sont pressés d'aller boire leur café. (Wikipedia)
- Nos élites introduisent à l'occasion de nouveaux anglicismes : dans le récent rapport sur les langues à l'école, il est question de « cluster meetings », simples séminaires de formation continue.
- Last but not least, France 4 diffuse la nouvelle saison de la série de SF Docteur Who en VO sous-titrée, au grand dam des aficionados, des amateurs et des passionnés. Euh... je veux dire des fans. Merci au, comment dire, Public Service, payé par nous autres taxpayers ?
- On peut y ajouter les traditionnels slogans et manifestations d'entreprises ou de villes payant des sommes folles à des publicitaires en mal d'inspiration, pour lesquels il n'y a d'originalité qu'en anglais : le Ouigo de la SNCF, « OPENÎMES » de la métropole de Nîmes, par exemple, mais là on est dans la routine, relevée avec abnégation et constance par les associations de défense de la francophonie qui décernent régulièrement le Prix de la carpette anglaise et ont bien du mal à départager les candidats, tant ceux-ci se bousculent au portillon.
Défense de la langue française,
Il existe pourtant une langue internationale équitable, simple et facile, latine aux deux-tiers et internationale par sa grammaire, qui conviendrait à merveille comme langue-pont tout en gardant telle ou telle pour les besoins professionnels (l'anglais, vous avez deviné, ou la langue du pays d'accueil) ; elle permettrait de résister à l'anglicisation galopante : c'est l'espéranto. Cette langue construite est victime de préjugés voire de railleries dans les cercles médiatiques et intellos de notre francophonie. Complexe de grande langue sur le déclin ? Quoi qu'il en soit, ce qu'en disait un linguiste il y a soixante ans reste d'une regrettable actualité :
« La nécessité logique d’une langue internationale dans les temps modernes présente un étrange contraste avec l’indifférence et même l’opposition avec laquelle la majorité des hommes regarde son éventualité. Les tentatives effectuées jusqu’à maintenant pour résoudre le problème, parmi lesquelles l’espéranto a vraisemblablement atteint le plus haut degré de succès pratique, n’ont touché qu’une petite partie des peuples.
La résistance contre une langue internationale a peu de logique et de psychologie pour soi. L’artificialité supposée d’une langue comme l’espéranto, ou une des langues similaires qui ont été présentées, a été absurdement exagérée, car c’est une sobre vérité qu’il n’y a pratiquement rien de ces langues qui n’ait été pris dans le stock commun de mots et de formes qui ont graduellement évolué en Europe. »
(Edward SAPIR, linguiste américain, Encyclopaedia of Social Sciences, 1950, vol. IX, p. 168)
J'en avais donné les grands principes linguistiques ici-même. Les raisons de cet ostracisme français sont multiples et ont déjà été détaillées. Quoi qu'il en soit, nous préférons perdre contre l'anglais qu'essayer une autre voie. Nous allons même jusqu'à imposer l'anglais de 7 à 77 ans, comme disait la revue Tintin (de fait, pas encore de droit mais ça ne saurait tarder), ou enseigner EN anglais à l'école primaire, suscitant les reportages extatiques de nos infos télévisées !
Stopper la marée montante de l'anglais (qui, contrairement à la vraie, n'a jamais reflué !) n'est nullement une stérilisation de la langue, un conservatisme frileux, un retour au village gaulois ou le fantasme d'une langue ethniquement pure – accusations récurrentes des chantres de l'anglais. Rien ne nous empêche d'adopter des mots de la francophonie, assez vaste, créative et diverse pour faire le bonheur de tous. Perso, j'aime bien l'essencerie, par exemple (terme venu d'Afrique pour station-service). Ou même des mots étrangers, voire anglais, mais la sagesse populaire, comme souvent, a déjà résumé le problème : trop c'est trop ! Pire : nombre de ces anglicismes sont des faux anglicismes, du jargon branché n'ayant qu'un lointain rapport avec l'anglais ou l'angloaméricain, ou tout autre variante dialectale de celui-ci.
Il y a du « Fake » dans les « News » !
PS : dernières nouvelles des dernières nouvelles : un article (et podcast) de France Culture fait le point sur l'université en anglais, article détaillé et honnête.
Cinq ans après la loi Fioraso autorisant les cours en anglais dans l'enseignement supérieur (ce qui est un brin anticonstitutionnel), celui-ci a progressé à grande vitesse, surtout dans les filières commerciales, de gestion et d'ingéniérie – rien d'étonnant puisqu'il s'agit d'attirer des étudiants étrangers payants et de remonter au classement de Shangaï des universités – sans qu'il ait été prouvé qu'une université française de bonne tenue et bien organisée attirerait moins. Sur ces bases douteuses, on aboutit parfois à des situations absurdes :
« Il n'est pas rare dans les universités qu'un professeur enseigne en anglais à une majorité d'étudiants français. » Je ne sais pas si les jeux sont faits, mais rien ne va plus !
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