Les bouchées à la Reine
Une histoire gourmande, coquine et poétique
C'est à un alsacien né en 1706 que l'on doit un des plats les plus emblématiques de cette nation de régicides. Ne faire qu'une bouchée de la reine après lui avoir tranché le cou est donc une manière des plus agréables de se payer la tête de ceux qui nous gouvernent d'autant plus aisément que, jadis la garniture comportait des crêtes et des testicules de coq, preuve s'il en est de la capacité des Français à se moquer d'eux-mêmes.
Pâtissier de son état, Nicolas Stohrer, bienfaiteur de la gastronomie nationale débute sa carrière au service de Stanislas Leszczynski, roi polonais en exil à Wissembourg. Il serait resté dans les oubliettes de l'histoire comme nombre des créateurs de ces plats qui ont fait la légende de notre gastronomie si le brave Stanislas n'avait eu une fille : Marie, belle comme un soleil qui allait devenir l’épouse de Louis XV.
Nicolas est arrivé à sa suite dans les cuisines de Versailles. Celle-ci, pour complaire à son époux royal émit une requête à son cuisinier alsacien en forme de caprice princier. Elle aimait le puits d'amour, cette merveilleuse pâtisserie dont je vous ai un jour conté la naissance mirifique alors que l'histoire officielle l'attribue à Vincent de la Chapelle cuisinier au service du Prince d'Orange.
La Reine réclama une croustade salée, inspirée de sa friandise sucrée. Le maître queux garnit une croûte ronde en pâte feuilletée, d’un salpicon : un mélange de légumes, de fruits, de viande ou de poisson que l'on lie avec une sauce blanche auquel présentement notre cuisinier adjoint des champignons frais.
La sauce en question se préparait avec un bouillon de poule, message qu'entendait adresser Marie à son époux volage, manière de lui voler dans les plumes à cause de sa passion pour la Pompadour. Pour attirer dans ses rets ce grand infidèle, la reine demanda à son marmiton de glisser dans la préparation quelques ingrédients réputés aphrodisiaques pour reconquérir son bien-aimé.
La crête de coq toujours dressée sur la tête de cet insatiable coureur de poulettes était jugée à l'époque de nature à favoriser le désir tout autant que ses testicules qui devaient avoir des vertus analogues. Il ne fallait pas aller chercher plus loin pour provoquer des émois et lutter contre les asperges si chères à la Pompadour en raison de leur forme évocatrice.
L'histoire de mets réputés aphrodisiaques aime à se fonder sur des similitudes de formes ou de fonctions assez équivoques. Le Castor tout comme le Rhinocéros en firent hélas les frais. Mais revenons à nos bouchées qui, si elles ne remplirent pas totalement leur rôle, permirent cependant à la pauvre Marie non de conquérir le cœur de son époux mais de lui donner tout de même dix enfants dont huit filles.
Notre brave Nicolas resta cinq années au service de la reine avant que de rendre son tablier et sa toque pour aller voler de ses propres ailes et ouvrir à Paris ce qui demeure à ce jour la plus ancienne pâtisserie de la Capitale. C'est donc en 1730 qu'il s'installa au 51 rue de Montorgueil. La bouchée à la reine est toujours à la carte de cette maison classée au titre des monuments historiques.
La composition d'alors a évolué au point de laisser tomber les testicules au profit d'autres ingrédients. La croûte feuilletée accueille en son sein des quenelles fraîches de volaille, des morceaux de foie gras, du blanc de volaille, des champignons et une sauce béchamel au porto. On peut s'en lécher les babines même si de mon côté, je n'imagine pas ce plat sans ris de veau à la manière de mon fournisseur Jérôme Diaz Anillo de Plaisirs et Saveurs à Bouzy La Forêt et sur le marché d'Orléans entre autres le samedi matin.
Pour clore ce billet gourmand, rendons hommage à ce grand bienfaiteur de la gastronomie puisque Nicolas Stohrer fut aussi le créateur d'une pâtisserie qu'il nomma à l'époque Alibaba puisque Stanislas lui avait demandé d'ajouter du Safran dans une préparation sucrée qui à l'époque fut complétée par un Tokay de Hongrie avant que de laisser place bien plus tard à un alcool venu lui aussi d'ailleurs. Ainsi le Baba au Rhum naquit dans une pâtisserie alsacienne.
Pour les puristes, notons que la recette d'origine ne devait pas trouver refuge dans une pâte feuilletée ordinaire puisque ce n’est qu'en 1806, que le chef Rouget codifia la véritable formule du mille-feuille qui accueille désormais la bouchée à Reine. Il est fait de trois couches de pâte et deux de crème pâtissière.
Pour la bonne bouche, ajoutons que cette garniture fut appelée « Godiveau » et donna naissance à des poèmes dont je me fais un plaisir de vous les faire partager.
Le godiveau
par Charles MONSELET
Quand j'étais tout petit, j'aimais les godiveaux.
Où, modeste traiteur, souvent tu te révèles.
A présent que je vais aux recettes nouvelles,
Et que mon appétit vole aux gibiers nouveaux.
Je me souviens. Malgré grives et bartavelles,
Je regrette le temps où, fou de maniveaux,
Je dévorais la croûte où nageaient les cervelles
Et les crêtes de coq, avec les ris de veaux.
Ces godiveaux, orgueils des bourgeoises familles,
Étaient en ce temps-là pareil à des bastilles ;
La salle s'imprégnait de leurs puissants parfums.
Et, jeune âme déjà conquise à la cuisine,
J'oubliais de presser le pied de ma cousine... -
Et je pleure, en songeant aux godiveaux défunts.
Charles Monselet, Gastronomie. Récits de table, 1874.
Sur de la pâte fine
Vous mettez du godiveau :
Filets de bonne mine
D'un poisson frais et bien beau.
Truffes, champignons,
Laitance à foison,
Des fonds d'artichauts,
Beurre tout nouveau,
Épices comme il faut.
Qu'on le couvre et qu'on le mette
Bien cuire au four et pour le mieux.
Etant cuit, on y jette
Et verjus et jaunes d'œufs.
Même il est exquis
D'y joindre un coulis
D'écrevisse encore,
Qui vous plaira fort,
Et servez tout d'abord.
Auteurs compositeurs : Lebas, cuisinier de Louis XV
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