Carl Gustav Jung, Ma vie
C. G. Jung, Ma vie, Souvenirs, rêves et pensées (Erinnerungen, Träume, Gedanken) recueillis et publiés par Aniéla Jaffé, traduit de l'allemand par le Dr Roland Cahen et Yves Le Lay avec la collaboration de Salomé Burckhardt, nouvelle édition revue et augmentée d'un index, Editions Gallimard, collection Folio, 1973
Sommaire :
Avant-propos du Dr. Roland Cahen - Introduction d'Aniéla Jaffé - Prologue - I. Enfance - II. Années de Collège - III. Années d'études - IV. Activité psychiatrique - V. Sigmund Freud - VI. Confrontation avec l'inconscient - VII. Genèse de l'oeuvre - VIII. La tour - IX Voyages : Afrique du Nord, les Indiens Pueblos, Kenya et Ouganda, Inde, Ravenne et Rome - X. Visions - XI. De la vie après la mort - XII. Pensées tardives - XIII. Rétrospective - Appendice : Extraits des lettres de Jung à sa femme lors de son voyage aux Etats-Unis (1909) - Lettres de Freud à Jung (1909-1911) - Lettre de Jung à sa femme de Sousse en Tunisie (1920) - Lettre à un jeune érudit (1952) -Lettre à un collègue (1959) - Théodore Flournoy - Richard Wilhelm - Heinrich Zimmer - Appendice au "Livre rouge" (1959) - Quelques renseignements sur la famille de Jung par Aniéla Jaffé - Glossaire - Index
L'auteur :
"Ma vie est l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa propre réalisation."
C.G Jung est né à Kesswil, dans le canton de Thurgovie, en Suisse, le 26 juillet 1875. Citoyen de Bâle, il y fait ses études de médecine, qu'il oriente vers la psychiatrie et qu'il complète à l'étranger, notamment à Paris. Chargé de cours dès 1900 à l'université de Zurich, il renonce pourtant à un brillant avenir professoral qui eût été brillant, pour se consacrerà sa clientèle d'analyste et à ses recherches psychologiques, mythologiques et linguistiques - il n'assurera plus tard que quelques cours, en particulier à l'école polytechnique de Zurich et à la faculté de médecine de Bâle, durant la seconde Guerre mondiale, où il enseignera la psychologie médicale.
En 1904, il crée à Zurich un laboratoire de psychopathologie expérimentale. Il prend très vite parti en faveur de Freud, dont l'intéressent, surtout, les travaux sur l'hystérie et les rêves. Ce sont les doutes nourris par Jung sur les théories sexuelles de Freud et son attitude envers la psychologie et la mythologie comparées qui causeront la rupture de leur amitié, longtemps profonde.
Dès le début du siècle, C.G. Jung multiplie les publications - une trentaine d'ouvrages, plus de cent commentaires, préfaces, textes divers, etc. Une partie de ses travaux comparatifs a été précédée ou accompagnée par des séjours en Afrique du Nord, dans le monde arabe (1920), chez les Indiens Pueblos, au Kenya et en Ouganda (1925), en Inde (1938).
Marié et père de cinq enfants, C.G. Jung s'est retiré dans ses dernières années dans la partie haute du lac de Zurich, dans la fameuse tour de Bollingen. C'est là, au printemps 1957, qu'il commence à rédiger lui-même, ou de raconter à sa collaboratrice, ce qui constituera Ma Vie. Il meurt quatre ans plus tard, en juin 1961.
Quatrième de couverture :
"J'ai donc entrepris aujourd'hui, dans ma quatre-vingt troisième année, de raconter le mythe de ma vie." C'est au printemps 1957, quatre ans avant sa mort, que C.G. Jung, un des grands fondateurs de la psychanalyse, se fait le témoin de lui-même.
Très peu d'événements extérieurs : l'enfance de fils de pasteur, les combats psychiatriques du début du siècle, les voyages en Afrique du Sud et au Nouveau-Mexique, la construction de la tour de Bollingen : autant de précisions autobiographiques qui éclairent cependant la genèse d'une des oeuvres qui ont le plus influencé l'essor contemporain de la psychologie des profondeurs. C'est aussi la rencontre de Freud, puis les démélés avec le maître, jusqu'à la rupture de l'héritage présomptif à propos du rôle de la sexualité dans le développement du psychisme.
Mais toutes ces aventures ne sont évoquées qu'en fonction des rencontres plus fondamentales du conscient et de l'inconscient.
"Ma vie est l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa propre réalisation."
Avant-propos :
"C'est avec le sentiment de mettre entre les mains du lecteur français un document unique de lucidité, de loyauté, de courage et de dépouillement que nous achevons cette édition française de l'autobiographie de C.G. Jung. Celle-ci n'est pas un sacrifice qui serait un peu vain, à la mode actuelle des autobiographies.
Elle est un document humain, médical, culturel, psychologique, historique qui nous révèle ce qu'a été pour le premier chercheur qui rencontra l'inconscient dans toute son ampleur - avec Freud d'abord, puis ensuite entièrement seul -, ce qu'a été cette dramatique découverte.
Ce livre est une invite pour chacun à tenir compte de son propre inconscient et de ses ressources. Il est aussi un secours et une sécurisation : si d'aucuns peinent dans leur dialectique avec leur inconscient, ils pourront dorénavant, grâce à ce témoignage de Jung, se réconforter du courage et de l'audace de celui qui, étant le premier, n'avait point encore de devancier en cette plongée angoissante, mais combien enrichissante, dans les profondeurs du monde intérieur (...)" (Dr. Roland Cahen, 1er septembre 1966)
Prologue (extrait) :
"Ma vie est l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa réalisation. Tout ce qui gît dans l'inconscient veut devenir événement et la personnalité, elle aussi, veut se déployer à partir de ses conditions inconscientes et se sentir vivre en tant que totalité. Pour décrire chez moi ce devenir tel qu'il a été, je ne puis me servir du langage scientifique ; je ne puis m'expérimenter comme problème scientifique.
Ce que l'on est selon son intuition intérieure et ce que l'homme semble être sub specie aeternitatis, on ne peut l'exprimer qu'au moyen d'un mythe. Celui-ci est plus individuel et exprime la vie plus exactement que ne le fait la science. Cette dernière travaille avec des notions trop moyennes, trop générales, pour pouvoir donner une juste idée de la richesse multiple et subjective d'une vie individuelle.
J'ai donc entrepris aujourd'hui, dans ma quatre-vingtième année, de raconter le mythe de ma vie. Mais je ne puis faire que des constations immédiates, "raconter des histoires". Sont-elles vraies ? Là n'est pas le problème. La question est celle-ci : est-ce mon aventure, est-ce ma vérité ?..." (C.G. Jung, p.25-26)
Le glossaire :
Bien que C.G. Jung n'ait pas souhaité l'intégrer dans ses oeuvres complètes, Ma Vie constitue un précieux chemin d'accès à son oeuvre. Le glossaire, en particulier, propose des définitions fouillées des principaux termes du vocabulaire jungien : "Alchimie", "Âme", "Anima et Animus", "Archétypes", "Associations", "Complexe", "Conscience", "Extraversion", "Image de Dieu", "Inconscient personnel et inconscient collectif", "Individuation", "Inflation", "Introversion", "Mana", "Mandala", "Névrose", "Numinosum" (numineux), "Ombre", "Personna", "Psychoïde", "Quaternité", "Rêve", "Soi", "Synchronicité et synchronistique", "Traumatisme psychique".
Mon avis :
Ma vie, Souvenirs , rêves et pensées recueillis et publiés Aniéla Jaffé, constitue, à mon avis, la meilleure introduction à l'oeuvre et à la pensée du fondateur de la psychologie analytique.
"Tout ce qui est exquis mûrit lentement" (Arthur Schopenhauer) : on est fasciné par la cohérence d'une vie où rien ne se produit par hasard, mais où tout semble venir en son heure et obéir au principe de "synchronicité" découvert par Jung, une vie qui s'est développée comme un arbre majestueux (l'arbre d'Yggdrasil ?) pour atteindre sa pleine maturité dans les dernières années, sous le signe de ce que le Dr. Cahen appelle la "simplicité de retour".
On y assiste "de l'intérieur" à la genèse des grandes découvertes de Jung : influence déterminante de ses années d'enfance, relations avec ses patients, rencontre et rupture avec Sigmund Freud, confrontation avec son propre inconscient, rôle des archétypes et des rêves symboliques, découverte de la gnose et de l'alchimie, construction de la tour de Bollingen, intuition de la "psychogénéalogie" (nous portons en nous les expériences de nos ancêtres), voyages en Afrique, en Amérique, au Kenya, en Ouganda et en Inde, qui vont permettre à Jung de se confronter, comme Jacob avec l'Ange, à des civilisations imprégnées d'un tout autre esprit que celui de l'occident et donc à relativiser les caractères et les prétentions de la pensée occidentale.
Les pages consacrées à son père et à sa mère permettent de mieux comprendre la conception jungienne de la religion comme "conjonction des opposés" (conjunctio oppositorum) : la foi (les commandements, les dogmes), le savoir (comprendre ce que l'on croit) et l'expérience (la foi est avant tout une rencontre, une expérience existentielle).
Le chrétien, sans pour autant "vénérer la nature", ne doit pas se couper de ses racines païennes (païen vient du latin "paganus" qui signifie paysan) dont les archétypes éternels et universels sont toujours présents dans l'inconscient : l'arbre, le soleil, l'eau, le feu, etc.
Le chapitre X, dans lequel Jung témoigne de plusieurs expériences que l'on pourrait qualifier de "mystiques" ou de "para-psychiques", ainsi que la fin du chapitre précédent sur les fresques disparues du baptistère de Ravenne : par un étrange phénomène de vision intérieure, Jung voit avec une amie des fresques qui n'existent plus -suggèrent que la vie humaine ne se réduit pas à une agitation absurde et mesquine avec la mort comme seul horizon, mais que nous sommes appelés à une plénitude de vie inimaginable (le "plérôme") dont nous pouvons faire l'expérience dès ici-bas. Car l'homme n'est fait ni pour supporter, ni pour admettre une existence dénuée de sens.
Dans le chapitre intitulé "De la vie après la mort", Jung explique que tout ce qu'il a écrit est une tentative renouvelée pour donner une réponse à la question des interférences entre "l'en-deçà" et "l'au-delà". Il admet, en accord avec la critique kantienne, qu'il n'existe aucune possibilité d'obtenir une certitude sur l'au-delà, mais que les mythes et les rêves peuvent nous aider à dépasser les limitations desséchantes d'un rationalisme étroit. Il fait état d'expériences oniriques qui lui ont suggéré qu'après la mort, la personne continue à travailler à son développement spirituel.
Il existe deux points de vues sur la mort. Du point de vue de l'âme, la mort apparaît comme une catastrophe d'une horrible brutalité qui peut faire douter de la bonté de Dieu. Mais "Sub specie aeternitatis", la mort est un mariage, un "mysterium conjunctionis", un mystère d'union. L'âme atteint la moitié de ce qui lui manque, elle parvient à la totalité.
Toutefois, l'unité et le dynamisme dialectique du monde physique, psychique et spirituel implique que la dualité conscient/inconscient, bien/mal, lumière/ténèbres, vérité/erreur, etc. persiste dans l'au-delà, bien que, sans doute, sous des formes de plus en plus subtiles.
Sans se prononcer sur la réalité de la réincarnation (le "Karma"), Jung montre que cette notion recouvre l'idée que nous sommes responsables de nos actes et que nous ne devons pas arriver à la fin de notre voyage les mains vides et sans avoir cherché à répondre aux questions que la vie nous a posées.
Le chapitre XII intitulé "Pensées tardives" aborde la question du mal à la lumière des tragiques événements du XXème siècle : le national-socialisme, le bolchévisme, l'antisémitisme d'Etat, les camps de concentration, les goulags, les massacres de masse, la bombe atomique...
Le fondateur de la psychologie analytique déplore que la question autrefois posée par les gnostiques : "D'où vient le mal ?" n'ait pas trouvé de réponse dans le monde chrétien... "alors qu'il en va de l'âme de l'homme oubliée depuis longtemps." (p.521)
Jung ne prétend pas "résoudre" la question du mal, mais estime que la psychologie analytique, parce qu'elle est située au carrefour de la philosophie, de la religion, de la théologie, de la mystique, de l'alchimie et de la gnose qui se sont toutes saisies de la question du mal, peut aider les individus et les peuples à faire face à cette question.
"Qui, désire trouver une réponse au problème du mal, aujourd'hui posé, a besoin en premier lieu d'une connaissance approfondie de lui-même, c'est-à-dire d'une connaissance aussi poussée que possible de sa totalité. Il doit savoir sans ménagement de quelle somme de bien et de quels actes honteux il est capable, et il doit se garder de tenir la première pour réelle et les seconds pour illusion." (p.518)
"... Mais on est en général encore tellement éloigné d'un semblable niveau de conscience que cette attente paraît presque dénuée d'espoir, bien qu'existe chez beaucoup d'êtres modernes la possibilité d'une connaissance profonde de soi-même. Une telle connaissance serait également nécessaire parce que ce n'est qu'en fonction d'elle que l'on peut s'approcher de cette couche fondamentale, de ce noyau de la nature humaine au sein duquel on rencontre les instincts" (ibidem)
"Elever le niveau de conscience" : il en va, selon Jung, de la survie de l'humanité. C'est la proclamation insensée de la "mort de Dieu" et le reflux de la transcendance dans l'immanence (culte de l'Etat, culte du "sauveur" providentiel) qui a donné au mal la possibilité de se développer à l'échelle de nations entières, le plus souvent sous le masque du bien, et de prendre des proportions apocalyptiques.
"Nous ne possédons aucune imagination dans le mal, mais elle, elle nous possède." (p.519)
Le mal est devenue une grande puissance : une des moitiés de l'humanité s'appuie sur une doctrine fabriquée à coup d'élucubrations humaines ; l'autre moitié souffre de manquer d'un mythe approprié à la situation." (p.520)
Dans le chapitre XII, intitulé "Pensées tardives", Jung aborde la question du rapport entre l'individu et la collectivité, par exemple une Eglise ou une société ésotérique. L'individu a besoin de la collectivité, mais la collectivité a tendance, par sa nature même, à empêcher l'individu de devenir lui-même. L'individuation (le fait de devenir un individu à part entière) implique donc un certain détachement par rapport à la collectivité.
Dès lors, l'individu sera livré à lui-même dans sa recherche de l'absolu. Il lui faudra faire seul, sans y succomber, l'expérience des contraires qui caractérise la vie psychique (Jung parle de la "nature antithétique de la vie psychique). Le chapitre se clôt sur une méditation sur l'amour (Jung ne sépare pas l'eros grec et l'agapé chrétien), ce "daïmon dont l'efficacité s'étend des espaces infinis du ciel jusque dans les ténèbreux abîmes des enfers".
Comme le disait Goethe, la vérité est intemporelle et éternelle, mais elle se révèle dans le temps et dans l'espace. Il en a été ainsi pour Jung, comme il en est ainsi pour chacun d'entre nous.
"Quand le disciple est prêt, le maître apparaît". Comme le dit Jung lui-même, le "guru"- celui qui fait passer de l'ombre à la lumière - peut être une personne vivante ou un esprit disparu.
C'est pourquoi l'autobiographie de Jung peut encore constituer, 58 ans après sa mort, un précieux viatique sur le chemin du Royaume, dont le Christ, l'homme parfaitement réalisé, nous a appris qu'il était "au-dedans de nous".
"L'archétype de l'homme âgé qui a suffisamment contemplé la vie est éternellement vrai. A tous les niveaux de l'intelligence, ce type apparaît et est identique à lui-même, qu'il s'agisse d'un vieux paysan ou d'un grand philosophe comme Lao-Tseu. Ainsi l'âge avancé est... une limitation, un rétrécissement. Et pourtant, il est tant de choses qui m'emplissent : les plantes, les animaux, les nuages, le jour et la nuit, et l'éternel dans l'homme. Plus je suis devenu incertain au sujet de moi-même, plus a crû en moi un sentiment de parenté avec les choses. Oui, c'est comme si cette étrangeté qui m'avait si longtemps séparé du monde avait maintenant pris place dans mon monde intérieur, me révélant à moi-même une dimension inconnue et inattendue de moi-même." (p.564)
"La vie est sens et non-sens. J'ai l'espoir anxieux que le sens l'emportera et gagnera la bataille." (ibidem)
Notes :
1. Archétypes : C.G. Jung écrit : "La notion d'archétypes... dérive de l'observation souvent répétée, que les mythes et les contes de la littérature universelle renferment les thèmes bien définis qui reparaissent partout et toujours. Nous rencontrons ces mêmes thèmes dans les fantaisies, les rêves, les idées délirantes et les illusions des individus qui vivent aujourd'hui. Ce sont ces images et ces correspondances typiques que j'appelle représentations archétypiques."
2. Synchronicité ou synchronistique : Terme forgé par Jung pour exprimer une coïncidence ou une correspondance :
a) entre un événement psychique et un événement physique qui ne sont pas causalement réliés l'un à l'autre, par exemple, quand des phénomènes intérieurs (rêves, visions, prémonitions) semblent avoir une correspondance dans la réalité extérieure : l'image intérieure ou la prémonition s'est montrée "vraie".
b) entre des rêves, des idées analogues ou identiques se présentant simultanément à divers endroits. Ni les unes ni les autres de ces manifestations ne peuvent s'expliquer par la causalité. Elles semblent plutôt être en relation avec des processus archétypiques de l'inconscient.
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