Freud, Une difficulté dans la psychanalyse
"Une difficulté de la psychanalyse" (Eine Schwierigkeit der Psychoanalyse, 1917), paru dans L'inquiétante étrangeté et autres essais, traduit de l'allemand par Bertrand Féron, Folio essais Gallimard 1985
Un homme de Lettres hongrois, H. Ignatus, invita Freud à donner un article au périodique Nyugat dont il était l'éditeur. Freud lui adressa ce texte. L'article, écrit à la fin de 1916, fut d'abord publié dans une traduction hongroise, sous le titre de "A pszyhoanalizis egy nehézségéröl", dans les premiers jours de 1917. Imago publia le texte original deux ou trois mois plus tard. Freud revint au même sujet des "trois atteintes portées au narcissisme humain" à la fin de la XVIIIème des Conférences d'introduction à la psychanalyse (1916-1917)
Dans cet article, Freud explique que la raison principale du rejet de la psychanalyse est dû à la blessure (ou vexation) narcissique que la psychanalyse inflige au moi humain. La science a infligé trois blessures narcissiques successives à l'homme occidental : la première, à l'époque de la Renaissance, lorsque Nicolas Copernic établit que c'est la Terre qui tourne autour du soleil et non l'inverse et qu'elle n'est pas au centre de l'univers, la seconde, lorsque Charles Darwin montra que l'homme n'est qu'un animal comme les autres et la troisième lorsque Freud lui-même affirma que le moi "n'est pas le maître dans sa propre maison".
Au début de cet article, Freud revient sur la définition des notions de "libido" et de "refoulement" et rappelle que "l'effort thérapeutique consiste à soumettre à révision le processus du refoulement et à diriger le conflit vers un dénouement meilleur et compatible avec la santé". Il rappelle que le narcissisme, mot formé en souvenir de la légende grecque de l'adolescent Narcisse qui était amoureux de sa propre image, est "l'état dans lequel le moi garde la libido auprès de lui-même".
"... Après cette introduction, je voudrais exposer que le narcissisme universel, l'amour-propre de l'humanité, a subi jusqu'à ce jour trois grandes vexations de la part de la recherche scientifique." (p. 181) :
1°) La vexation cosmologique :
L'idée que la terre tourne autour du soleil et n'est pas le centre de l'univers(Nicolas Copernic et la théorie de l'héliocentrisme) (p. 182)
2°) La vexation biologique :
L'idée que "l'homme n'est rien d'autre ni rien de mieux que les animaux, qu'il est lui-même issu de la série animale, apparenté de près à certaines espèces, de plus loin à d'autres et que ses acquisitions ultérieures ne sont pas parvenues à effacer les témoignages de cette équivalence, présents tant dans son anatomie que dans ses dispositions psychiques." (Darwin et la théorie de l'évolution) (p. 183)
3°) La vexation psychologique :
"Ces deux élucidations que la vie pulsionnelle de la sexualité en nous ne peut être domptée entièrement, et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, ne sont accessibles au moi et ne sont soumis à celui-ci que par le biais d'une perception incomplète et peu sûre, reviennent à affirmer que le moi n'est pas maître dans sa propre maison." (Freud et la psychanalyse) (p. 186)
Mais où réside cette fameuse "difficulté" de la psychanalyse ? Elle réside dans le fait que la "vexation psychologique" infligée au narcissisme du moi par la psychanalyse constitue un obstacle majeur à son acceptation et à sa diffusion : "Rien d'étonnant de ce fait que le moi n'accorde pas sa faveur à la psychanalyse et lui refuse obstinément tout crédit." (p. 187)
La vexation cosmologique (l'héliocentrisme copernicien), ainsi que la vexation psychologique (la découverte freudienne de l'inconscient) ont été contestées, notamment par le philosophe Peter Sloterdijk dans Ni le soleil ni la mort.
Sloterdijk explique que la position pré-copernicienne (aristotélicienne et ptolémaïque) de la Terre dans l'univers n'était nullement privilégiée puisque la Terre était considérée comme la planète la plus basse du monde sublunaire et donc soumise à la corruption, contrairement aux corps célestes appartenant à la sphère supralunaire des étoiles fixes et que la nouvelle configuration du savoir : la Terre assimilée à un corps céleste et tournant autour du soleil - a constitué une "promotion" par rapport à son statut antérieur, promotion qui, loin d'être une "blessure narcissique" fut plutôt un motif d'orgueil.
Sloterdijk considère par ailleurs que la découverte de l'inconscient a rendu l'homme infiniment plus "intéressant" à ses propres yeux qu'il ne l'était auparavant.
Quant à la blessure narcissique que le darwinisme nous aurait infligée, on peut toujours se dire, à l'instar du Père Teilhard de Chardin, que l'homme est un animal comme les autres et que nous partageons un "ancêtre commun" avec les singes, , mais que son apparition tardive dans l'histoire de l'évolution montre qu'il est "plus évolué".
Quelles que soient les blessures narcissiques que la science lui inflige, l'homme trouve toujours le moyen de les tourner à son avantage !
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