La ligne est coupée…
En direct de ma Segpa
Phénomène de société.
Le téléphone rapproche les hommes ! C'est du moins ce qu'on veut nous laisser croire et les tenants de ce phénomène qui n'en finit pas de modifier radicalement les relations humaines se gargarisent des innombrables avantages de leur insupportable petit engin. Je ne vais pas revenir sur les désastres qu'il provoque dans le champ de la courtoisie et des bonnes manières, il n'est ici que le reflet d'une éducation sociale en décrépitude.
C'est dans le cadre de notre école qu'il a considérablement interféré sur le fonctionnement de la scolarité de nos si chères têtes blondes, brunes, frisées, rases, peintes ou dressées. Il est le cauchemar des enseignants à moins que ceux-ci s'en servent avec la même frénésie que leurs élèves (ce qui est de plus en plus le cas).
Bien qu'interdit, il est toujours en action. Ils sont même devenus le seul sujet de préoccupation d'élèves qui n'apprennent plus rien dans nos murs. La communication a glissée sous la table, elle en a profité pour se situer désormais au ras des pâquerettes dans une logique géométrique qui n'échappera à personne. On s'échange joyeusement mots orduriers et propos scabreux, messages torrides et photographies douteuses.
Bien sûr, le fameux « Il est interdit d'interdire ce qui fait vivre la machine à fric » pousse sa logique à ne pas équiper les établissements de brouilleurs. Ils seraient d'ailleurs particulièrement mal venus auprès des mes collègues qui ne cessent, eux aussi, de s'évader de ces lieux honnis par la petite boîte magique.
Le seul avantage que je vois désormais à cette maudite machine infernale c'est la possibilité de faire venir dans la presque minute, des parents lorsque nous réussissons à prendre en flagrant délit un chenapan communiquant. C'est presque automatique, des familles qui ne répondent désormais plus jamais à nos invitations, nos demandes, nos convocations, le cas échéant, sortent soudain de leur cachette pour réclamer à hauts cris cet instrument vital pour leur enfant …
C'est alors que surgit un autre mystère de taille. Comment ont-ils su ? Eux qu'il n'est plus possible de joindre, eux qui, si on en croit les remarques innocentes de leur rejeton, n'ont plus de téléphone, sont prévenus par des voies bien mystérieuses et d'une rare efficacité. Il serait sans doute très pertinent que des ingénieurs se penchent sur ce qui pourrait constituer une nouvelle révolution technologique : la transmission de pensée ….
Car, voyez-vous, le grand, le formidable apport du téléphone portable à la scolarité c'est la rupture totale et définitive du lien entre les parents en difficulté et l'institution scolaire. Plus l'élève pose problème, plus sa famille est sujette au changement d'opérateur. Le mouvement est si rapide qu'il est impossible de l'accompagner, les secrétariats ne savent plus à quel numéro se vouer.
Bien vite même, l'enfant se fait complice et affirme que ses parents n'ont plus de ligne, qu'on leur a coupée, qu'il ne connaît pas le nouveau numéro ou même qu'on lui a interdit de le communiquer. « Circulez, il n'y a plus rien à voir avec nous. Nous ne voulons plus être ennuyés par l'école, nous ne sommes plus là pour personne ! »
Ce phénomène a bien des répercussions. Il est parfois impossible de joindre une famille alors que leur enfant est conduit à l'hôpital. C'est ce cas extrême qui démontre la folie d'une telle attitude, mais on n'est plus à une contradiction près dans ce monde de la liberté absolue. Le plus souvent, c'est la fin définitive du lien entre la famille et l'école. Nos appels sont sans réponse, nos lettres suivent la même impasse. Les mots sur le carnet de correspondance ne sont pas plus lus …
Des familles ont rompu le contact. Ces parents ne viennent plus chercher les bulletins, ils se présentent pas plus à un Conseil de vie scolaire ou pire encore à un conseil de discipline dont leur enfant est la vedette unique. Ils disparaissent totalement de la circulation et l'on se surprend alors à ne plus avoir de prise sur un élève totalement ingérable désormais !
Il y a dans ce comportement quelque chose qui relève de la cassure du contrat social. L'impunité qui accompagne cette stratégie folle est bien la preuve de la renonciation de l'état à défendre des valeurs à minima du lien qui devrait s'établir entre un citoyen et les services publics. C'est encore la démonstration que plus rien n'est fait pour sauver l'école. On accepte ainsi d'en faire un lieu de non droit, un espace ingérable où les familles peuvent se désengager sans aucun moyen de recours.
Je pourrais vous évoquer des cas individuels, des élèves pour lesquels nous ne joignons plus les parents depuis près de deux ans. Il est hélas inutile de décrire leur comportement, vous devez vous en douter. Si vous êtes de leurs intimes, passez leur un coup de fil pour les rappeler à leur devoir de parent. Nous n'avons plus de numéro pour le faire !
Incommunicablement leur.
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