Physiologie de l’effort : du seuil aérobie au seuil anaérobie ; Vision dynamique des phénomènes
Cet article propose de décrire ce qu’on appelle en physiologique de l’effort et de l’exercice le « seuil aérobie ». Il s’intéressera également à la zone de transition entre les 2 seuils (aérobie/anaérobie), et au type d’entraînement qui pourrait agir efficacement pour le faire reculer. Cet aspect est plus important qu’on le croit lorsqu’on s’intéresse à des épreuves de longue durée (supérieure à 4/5 heures, type triathlon)
Avertissement
J’informe le lecteur qu’il est toujours difficile en physiologie de présenter des données ou des valeurs de paramètre avec précision, car chaque individu est différent et réagit différemment à l’effort en fonction de facteurs très divers. Les données doivent être contextualisées et relativisées (puissance de l’effort, durée de l’épreuve, discipline, âge, sexe, température ou ambiance extérieure, etc.).
Notes
- Mmoles : millimoles
- Quand j’évoque le système (ou filière ou voie) anaérobie, il s’agit de la glycolyse anaérobie lactique.
- Lactatémie : taux de lactates par litre de sang (en mmoles/litre)
- ATP : molécules produites par la glycolyse anaérobie et la voie oxydative (cycle de Krebs et chaîne respiratoire), servant à la contraction musculaire.
- Pyruvate : produit de la glycolyse anaérobie, qui va soit entrer dans la mitochondrie pour y être oxydé, soit être transformé en lactates.
- QR : Quotient respiratoire
Introduction
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je me permets une petite parenthèse qui ne sera pas sans intérêt pour comprendre ces notions de seuils et pourquoi ils existent.
La nature est fascinante, dans ses composantes visibles mais aussi par ses propriétés. Parmi celles-ci, il y en a qui interpellent plus particulièrement : la non-linéarité, la discontinuité, la circularité, le non déterminisme, l’auto-détermination, l’auto-réparation, l’auto-organisation. Les notions de rupture, de divergence, de bifurcation, sont également déterminantes dans la description et la compréhension des phénomènes naturels (et donc physiologiques).
La croissance des plantes et des animaux est discontinue, l’énergie est discontinue (sauts par quanta), le tremblement de terre est discontinu, les états de la matière sont discontinus, le couple d’un moteur est non-linéaire, le réchauffement climatique est non linéaire, etc. La discontinuité et la non-linéarité sont partout et on ne s’en rend pas compte. Les scientifiques se sont souvent trompés, en pensant la nature dans sa continuité. Voilà pour cette parenthèse que je referme.
L’effort, l’exercice, les adaptations structurelles et fonctionnelles (niveau musculaire, cardiaque, ventilatoire, ….), l’entraînement, les progrès, les dynamiques, n’échapperont pas à ces règles ou ces propriétés !
- Les progrès en performance évoluent par paliers
- 3 seuils importants définissent les ruptures et/ou les discontinuités : seuil aérobie, seuil anaérobie, VO2MAX,
- L’entraînement doit être discontinu pour offrir des phases de repos et de récupération nécessaires à la progression
- La restauration des stocks de glycogène est non linéaire
- L’élimination des lactates et des « déchets » toxiques est non linéaire
- La production de CO2, la ventilation sont non linéaire
- Etc.
Définition du seuil aérobie
Le seuil aérobie correspond à un niveau d’effort où les muscles actifs commencent à produire de l’acide lactique, mais encore en très petite quantité comparativement à ce qu’on observe à VO2MAX et bien sûr au-delà, accompagnée d’une augmentation de la production de CO2. Si on le caractérise en concentration de lactates dans le sang, les physiologistes s’accordent sur un niveau de concentration de l’ordre de 2 mmoles/litre (à prendre comme une moyenne statistique). (Pour être précis, il y a toujours production d’acide lactique, quelle que soit l’intensité de l’effort, mais à des niveaux très tres faibles, quasiment insignifiants, tant qu’on n’atteint pas le premier seuil qui marque une légère rupture).
Selon le principe des variations interindividuelles, liées à divers facteurs évoqués en tête d’article, le seuil aérobie se situe à un niveau d’effort compris environ entre 55 et 70% de la VO2MAX. L’atteinte de ce seuil va se traduire par un certain nombre de manifestations physiologiques :
- On vient de le voir, une légère augmentation des lactates au niveau sanguin et musculaire
- Légère augmentation de l’acidité (augmentation des ions H+), mais à des niveaux toujours très bas, ne mettant pas en difficulté la glycolyse (les ions H+ freinent par rétroaction la glycolyse, tout simplement pour protéger le corps d’une baisse importante du PH).
- Le quotient respiratoire (QR) augmente du fait d’une plus grande production de CO2, liée à une plus grande part de glycolyse
- On observe une première cassure au niveau du débit ventilatoire (SV1, ou seuil ventilatoire 1), mais moins prononcée que la 2ème (SV2) observée au seuil anaérobie. L’équivalent respiratoire EQO2, tend alors à augmenter, signifiant que la pente de la courbe VENTILATION/PUISSANCE est supérieure à la pente de la courbe VO2/PUISSANCE
Pourquoi ce seuil ?
Ce seuil apparaît à un niveau de puissance où interviennent des phénomènes physiologiques notoires
- La puissance devient suffisamment importante pour que les muscles, à travers les processus oxydatifs, privilégient la glycolyse au détriment de la lipolyse qui présente un mauvais rendement. Le corps « pas fou » n’a pas intérêt à garder cette filière très « lourde » sur le plan des processus mis en œuvre, uniquement intéressante pour des épreuves de longue durée dans le but d’économiser les stocks de glycogène.
- La lipolyse commence donc à décroître en puissance. La production d’ATP (par unité de temps) émanant de cette voie va ralentir, ayant déjà atteint un pic. Or, cette énergie issue des substrats lipidiques apporte un grand confort, du fait qu’elle est produite exclusivement en présence d’oxygène, sans produire d’acidité. Cette filière peut atteindre 75% de la production globale d’énergie pour certains sportifs maintenant un effort autour de 60% de la PMA, au-delà de 2-3 heures (Frédéric GRAPPE).
Définition du seuil anaérobie
Parmi les diverses définitions, je retiens celle qui est la plus souvent citée et qui me paraît être la plus pertinente (travaux de kinderman et al).
Le seuil anaérobie se définit comme étant le niveau d’intensité d’effort le plus élevé où l’équilibre entre la production et l’élimination de lactates est maintenu, amenant la concentration de lactates dans le sang autour de 4 millimoles/litre (moyenne statistique, les valeurs pouvant aller de 2,5 à 6 ou 7)
Ce n’est pas l’objet de l’article de décrire ce seuil et les dynamiques s’y rapportant ; je vous renvoie donc à mon article disponible sur ce site intitulé « le seuil anaérobie, une dynamique infernale »
Production de lactates entre les 2 seuils
Maintenant que les 2 seuils sont clairement définis, voici comment on peut caractériser les niveaux d’efforts produits dans cette zone de transition, en rapport à la production de lactates.
- Niveau d’effort autour du seuil aérobie. Le taux de lactates (lactatémie) reste faible (environ 2 mmoles/litre de sang) et stable au cours de l’effort. On peut considérer que c’est la zone d’endurance fondamentale, permettant de maintenir l’effort très longtemps (plusieurs heures).
- Niveau d’effort entre les 2 seuils (zone de transition aérobie/anaérobie. Les muscles produisent de plus en plus de lactates, la lactatémie restant encore à l’équilibre mais à un niveau supérieur (entre 2 et 4 mmoles/litre, voire plus). Ce sont principalement les réserves énergétiques de glycogène qui vont limiter la durée de l’effort.
En fait, le système anaérobie est sollicité assez tôt dans l’effort. Il participe à la production d’énergie pratiquement à tous les niveaux de puissance, mais dans une proportion très faible jusqu’au seuil anaérobie. Cette proportion varie approximativement de moins de 1% pour des entraînements aux intensités inférieures au seuil aérobie et au-delà, pour atteindre 2 à 3% pour des intensités légèrement supérieures au seuil anaérobie (entre 20 minutes et 45 minutes), avec une variabilité interindividuelle restant cependant assez étroite (il est par exemple physiologiquement impossible de produire 10% de l’énergie par la glycolyse anaérobie pour un effort au seuil anaérobie ; cette proportion peut par contre se retrouver sur des efforts proches du VO2max).
Stabilisation de la concentration de lactates (dynamique)
On a vu que dans la zone de transition aérobie/anaérobie, le taux de lactates dans le sang restait stable mais à des niveaux différents, évoluant entre 2 et 4 mmoles/litre (voire au-delà). Qu’en est-il des dynamiques, à savoir, la production, l’élimination, la consommation, la stabilité, le stockage ?
Le plus simple pour comprendre est de prendre l’image de la baignoire.
- CAS NO 1 - Remplissons la baignoire à une hauteur de 10cm. Faisons couler l’eau en ouvrant partiellement la bonde et ouvrons le robinet à un débit qui stabilise le niveau. On obtient par exemple 4 litres/minute. Si on augmente le débit de sortie, il faudra ouvrir davantage le robinet pour stabiliser à 10cm. Donc on peut stabiliser le niveau à 10cm avec des débits d’entrée différents.
- CAS NO 2 - Remplissons à présent la baignoire, mais cette fois-ci à une hauteur de 50cm. A ce niveau la pression exercée sur le siphon sera plus importante, offrant un débit en sortie plus fort. Pour stabiliser le niveau à cette hauteur, il faudra que le débit du robinet soit par exemple égal 5 litres/min.
- CAS NO 3 : reprenons le cas 2, qui pourrait correspondre au seuil anaérobie. Si on augmente encore le débit du robinet, alors que la bonde est totalement ouverte, le niveau de l’eau va monter. C’est un peu ce qui se passe quand on est au-delà du seuil anaérobie. Les muscles vont accumuler des lactates et la concentration sanguine va augmenter. Les processus d’élimination sont alors débordés, et seul le stockage (limité) permet résoudre le problème, avec l’inconvénient de limiter drastiquement le temps de maintien de l’effort.
Ces petits exemples (certes simplificateurs et métaphoriques !) permettent de comprendre une partie de la dynamique des lactates. Quand on s’approche du seuil anaérobie, la production de lactates augmente en même temps que la concentration sanguine (niveau de la baignoire, pression plus forte), permettant un débit d’élimination plus important (c’est à l’image des différences de potentiel en électricité).
S’entraîner au seuil aérobie
Comme je l’ai déjà précisé, la contraction musculaire se réalise avec la contribution des molécules ATP à haut potentiel d’énergie produites par différentes filières énergétiques. Celle-ci dépendra de facteurs variés, dont la présence et la disponibilité des substrats (acides gras, glucose, glycogène), la présence d’oxygène, les enzymes, la quantité de mitochondries, leur volume, etc. Dans l’effort aérobie, une des clés de la performance réside donc dans la production de ces molécules, en traduction de débit, qui peut être améliorée par les changements structurels suivants :
- Augmentation du nombre de fibres oxydatives (fibres dites de type 1 et type 2a intermédiaires), qui majoritairement produisent l’énergie par la voie aérobie.
- Augmentation du nombre de mitochondries pour chacune des fibres
- Augmentation du volume des mitochondries (plus grande surface d’échange)
- Augmentation de la puissance des mitochondries (enzymes)
Le volume des mitochondries détermine la surface d’échange avec le cytosol où se déroule la glycolyse anaérobie productrice du pyruvate qui entrera dans la mitochondrie pour y être oxydé à travers les processus complexes que sont le cycle de Krebs et la chaîne respiratoire. Plus cette surface est importante plus le pyruvate aura de facilité à pénétrer dans la mitochondrie, augmentant ainsi le débit d’ATP produit.
De ces capacités oxydatives, et de la répartition lipolyse/glycolyse dépendra tout un ensemble de dynamiques, caractérisées par leurs vitesses d’évolution, leurs dérives, leurs intensités, leurs points d’apparition. Ces éléments sont très importants pour comprendre les dynamiques qui s’installent au niveau des seuils.
- Dynamique ventilatoire (SV1 SV2, fréquence, amplitude)
- Évolution de la fréquence cardiaque (non linéaire)
- Dynamique des lactates (production, élimination, stockage, dérive ou état stable)
- Dynamique de puissance (liée à l’affaiblissement des réserves énergétiques, à la glycolyse freinée par l’acidité, etc.)
- Dynamique d’évolution de puissance de la lipolyse et de la glycolyse
- Évolution de la fatigue musculaire (pompes calcium, influx nerveux)
- Dynamique d’épuisement des stocks de glycogène
L’entraînement à une intensité comprise entre le seuil aérobie et le seuil anaérobie, développe le réseau capillaire au sein des fibres musculaires, et augmente le nombre de mitochondries, et par conséquent contribue à un changement de structure participant à des changements fonctionnels sur la production d’ATP, s’orientant davantage sur la voie oxydative avec en corollaire une intervention retardée des processus anaérobie. Ce type d’effort, que l’on peut qualifier de « modéré », aura par le bénéfice de ces nouvelles adaptations, une influence sur la répartition des fonctions lipolyse/glycolyse. Ces adaptations musculaires entraînent simultanément des adaptations de la fonction cardio-vasculaire, dans une logique de cohérence entre systèmes fonctionnels, le cœur se devant fournir plus d’oxygène par augmentation de sa potentialité de débit sanguin.
Résumons les principales adaptations résultant d’un entraînement au seuil aérobie, voire au dessus, sans approcher de trop près le seuil anaérobie pour éviter l’acidité.
- Augmentation du nombre de fibres oxydatives
- Augmentation du nombre de mitochondries et de leur volume
- Augmentation de la densité capillaire
- Meilleure diffusion de l’oxygène (dissociation hémoglobine)
- Adaptations cardiaques (volume du ventricule gauche, diminution de la fréquence cardiaque au repos, volume éjection systolique)
- Progression de la part de lipolyse très bénéfique pour éviter l’acidité et la production de lactates.
- Diminution de la part de glycolyse préservant les stocks de glycogène
- Augmentation des stocks de glycogène
- Augmentation de la VO2max, grâce à l’évolution des mitochondries
- Progression des seuils aérobie et anaérobie (en absolu et relatif)
Structures, fonctions et adaptations circulaires
Il est important pour comprendre les phénomènes d’adaptation, d’approfondir les aspects distinctifs de structures et de fonctions, ainsi que quelques notions liées au principe de circularité, observable chez les êtres vivants. Pour cela je vous renvoie à mon article spécifiquement consacré à ces sujets. L’article est visible sur ce site et est intitulé « PHYSIOLOGIE DE L’EFFORT ; STRUCTURES, FONCTIONS, ET ADAPTATIONS CIRCULAIRES ».
Conclusion
Les sportifs désireux d’améliorer leur capacité aérobie auront tout intérêt à s’entraîner à des intensités se situant légèrement au-dessus du seuil aérobie pour provoquer les adaptations décrites. Les séances d’entraînement devront progresser en durée pour passer par exemple de 2 heures à 4 heures (pour le cyclisme). C’est peut-être un peu contre intuitif, mais la pratique en montre bien la réelle efficacité. Bien sûr, il ne faut pas se contenter de ces intensités. Des séances de puissance et/ou de fractionné sont à mon avis utiles pour assurer d’autres types d’adaptation, qui vont être complémentaires dans la logique de circularité que j’évoquais précédemment, et décrite en détail dans l’article cité.
Alain Desert
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