Enfants violents : adultes coupables ?
30 000 enfants qui ont des problèmes de comportement, ça ne fait pas 30 000 délinquants. Mais il semble que le curseur de « supportabilité » des enfants, à l’école et ailleurs, soit au plus bas. Fini l’enfant-roi ! Sauf quand il s’agit de s’en servir pour vendre des yaourts, des télés, des voitures...
Marie-Pierre Hourcade, juge pour enfants au tribunal de Paris déclare dans le documentaire de Marion Vaqué-Marti que le parquet « ne nous saisi pas pour des situations de violence commises par de très jeunes enfants. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de violences commises par des petits dans le cadre scolaire. C’est totalement différent ». Cela signifie donc qu’il y a des enfants qui présentent des troubles de comportement, mais qu’il est sûrement plus commode, au nom du déterminisme social, d’en faire des futurs voyous. Alors qu’il suffirait peut-être simplement des accompagner, de les rassurer. Les enfants ne sont pas des modèles réduits d’adultes. Ce sont des êtres qui possèdent à la fois une personnalité, une intégrité et qui sont, par définition, en développement.
Des associations comme Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans ou Mission possible se battent pour résister à cette idée spectaculairement répandue dans les médias que les petits d’aujourd’hui, dès trois ans, sont de futurs barbares prêts à en découdre dès que nous aurons le dos tourné.
Marion Vaqué-Marti, réalisatrice de Enfants violents : l’école au bord de la crise de nerfs répond aux questions d’Olivier Bailly pour les RDV de l’agora
Olivier Bailly : Il n’y a pas, selon vous, une explication unique à la violence supposée des enfants
Marion Vaqué-Marti : Exactement. Pour les personnes rencontrées tout au long de cette l’enquête qui a duré quelque temps, il est impossible de donner une raison unique à tout ça. Ceux qui se permettraient de le faire seraient bien présomptueux. Il n’y a ni raison psychiatrique, ni raison sociale… C’est un état de fait, de société. Ce que j’ai essayé de comprendre, c’est pourquoi on se met à tant en parler - tout en le faisant moi-même d’ailleurs -, quelle peur y a-t-il derrière ça ?
OB : Il n’y aurait pas finalement de problèmes avec les enfants, mais avec les adultes.
MVM : C’est exactement ce sur quoi j’ai voulu travailler et dans ma note d’intention d’auteur et de réalisateur c’est ce que j’avais mis en avant. J’ai essayé de montrer, en évoquant notamment les mères, que ces dernières faisaient ce qu’elles pouvaient et qu’on n’en ferait sûrement pas plus à leur place, mais que la responsabilité des adultes est une question collective qu’il faut se poser collectivement.
OB : Est-ce que selon vous l’enfant est devenu un enjeu de politique sécuritaire ?
MVM : C’est sûr. L’enfant est au centre d’un tel enjeu depuis les années 70, il y a eu tellement de fantasmes et de projets portés par les enfants que finalement un enfant c’est toujours un peu « décevant » parce qu’il n’est pas l’être fantastique qu’on aurait rêvé qu’il soit. Est-ce que l’on revient de ce fantasme ? Ces mômes font peur, et comme l’enfant est un être moins policé qu’un adulte, ça permet effectivement de mettre toutes nos peurs dessus. Et c’est ainsi qu’une politique sécuritaire fonctionne. Sur la peur. L’enfant est un bon moyen de tenir les gens par la peur.
OB : Dans votre film vous expliquez comment Nicolas Sarkozy a instrumentalisé le rapport très controversé de l’Inserm [Troubles des conduites chez l’enfant].
MVM : Je pense que Marie-France Le Heuzé qui a fait partie du groupe d’experts et d’auteurs qui ont rédigé ce rapport est très sincère quand elle dit qu’elle n’a pas eu l’intention de participer à une expertise qui servirait à des fins politiques. Où je suis dubitative, c’est que la psychiatrie a toujours été récupérée politiquement. Il y a toujours eu un enjeu autour de la psychiatrie et elle ne peut pas l’ignorer. Comme elle est sur un versant psychiatrique très médical, elle est beaucoup derrière cette image-là.
Aux Etats-Unis les prescriptions ont été très importantes, en particulier dans les milieux afro-américains, notamment dans les ghettos. Aujourd’hui il semblerait qu’il y ait une prise de conscience et un peu de recul. Mais ils restent beaucoup sur ces tendances-là, très comportementalistes. Quelques voix se feraient entendre pour expliquer que ce n’est pas si simple de mettre ces enfants sous stupéfiants et que surtout ça ne règle pas le problème. Sauf quand on considère qu’il y a un trouble d’hyperactivité, mais même là il y a débat.
OB : On ne peut s’empêcher de s’interroger sur les règles du vivre-ensemble que l’école impose aux enfants. Rester huit heures enfermé dans une classe, certains élèves ne l’ont jamais supporté, ce n’est pas nouveau. Est-ce que cela fait d’eux des délinquants en puissance ?
MVM : On peut comprendre une institutrice qui demande à un élève qui perturbe toute sa classe de sortir. Mais il semble que l’institution dans son ensemble et dans les règles qu’elle édicte soit bien en difficulté aujourd’hui. Ce que j’ai constaté, c’est qu’enseignants et parents se renvoient le bébé, ou plutôt l’enfant violent et turbulent, qui finalement se retrouve au milieu. Et c’est à ce moment-là qu’on demande à la psychiatrie de venir apporter des réponses.
OB : Un enfant ça demande de l’attention. On est dans un monde où de nombreux adultes refusent d’assumer leur état d’adulte. N’y a-t-il pas une incapacité à accueillir l’enfant aujourd’hui ?
MVM : C’est ce que je pense. On est dans une société du non-dit et les enfants viennent « emmerder » les adultes sur leurs non-dits.
OB : Il n’y a évidemment pas que des adultes impuissants. Il y a aussi des résistances. Vous interviewez notamment Claude Beau qui a créé la structure Mission possible et qui évoque la prévention par un biais intéressant rarement mis en avant, le biais financier.
OB : On a souvent tendance à stigmatiser la justice. Or dans votre film les magistrats sont plutôt modérés
MVM : On a eu des difficultés pour que Marie-Pierre Hourcade intervienne car elle n’est pas en odeur de sainteté à la chancellerie où l’on aimerait un discours plus autoritaire et sécuritaire. Sauf qu’elle a quelques années d’expérience et qu’elle sait que la prison appelle la prison. Donc faisons autre chose ! C’est un leurre absolu de penser qu’il y a une criminalité exponentielle chez les jeunes enfants.
OB : D’ailleurs cette juge pour enfants précise que le parquet n’est jamais saisi pour des situations de violence commises par de très jeunes enfants. Ce discours, qui émane d’une personne compétente, va à l’encontre du discours médiatique
MVM : Ce qu’elle dit c’est la réalité. Il y a un fantasme et une illusion qui vient comme ça alimenter cette peur. Après il y a des problèmes de comportement, effectivement, mais c’est là où les adultes sont renvoyés à leur responsabilité. Il serait trop facile de penser que les enfants sont génétiquement modifiés et qu’ils deviennent des criminels à six ans ! ça nous arrangerait bien parce qu’en fait, les enfants, que ça soit dans la famille ou dans la société, viennent nous dire : « ça ne marche pas votre truc ». Je pense que c’est ce qui est train de se passer en ce moment. « Bien pensance » de gauche ou « Sécuritarisme » de droite, personne ne veut entendre parler des enfants !
OB : Il y a beaucoup d’intervenants dans ce film et notamment des enfants.
MVM : Il y a longtemps que je travaille sur l’enfance et l’adolescence et cela me tient beaucoup à cœur de récolter leur parole, c’est vrai que dans ce film-là, avant de donner la parole aux spécialistes il était important d’aller à la rencontre de ces mômes parce que c’est eux qui ont des choses à dire sur ce qu’ils sont en train de vivre
OB : est-ce que quelque chose vous a surpris en menant cette enquête ?
MVM : Je ne pensais quand même pas que le dernier recours serait le soin. C’est là où il y a quelque chose de dangereux. On demande à la psychiatrie et aux médecins de jouer un rôle qui n’est peut-être pas tout à fait le leur, de traiter des enfants qui, si on avait mis autre chose en place, n’en seraient peut-être pas à être hospitalisés en psychiatrie. C’est quand même de cela qu’il s’agit
OB : N’est-ce pas un problème plus général ? N’essaie-t-on pas de transformer les populations dites "à problème" en malades potentiels ?
MVM : Il y a quelque chose de cet ordre-là. Ce qui m’a surpris c’est la fragilité de l’école que je pensais plus solide. Prenez Mission possible. Ce n’est pas l’aide sociale à l’enfance, mais une initiative privée. C’est bien que cela existe, mais que se passe-t-il avec les institutions ? Une des mamans le dit : "Je ne suis jamais allée voir l’aide sociale car j’ai trop peur. Mission possible j’accepte qu’on fasse quelque chose avec mon gamin parce que là on me respecte". Donc, ça c’est une surprise. Malgré tout je n’envisageais pas à ce point-là combien les institutions étaient en difficulté et combien on demandait aux psychiatres de venir comme ça remettre d’aplomb les mômes qu’on n’a pas réussi à éduquer.
OB : N’est-ce pas parce que les politiques n’ont plus de relais dans l’éducation nationale qu’ils votent de lois liberticides en direction des enfants ? Peut-être que les enseignants ne savent plus se faire entendre ?
MVM : J’ai l’impression. Les enfants qu’on voit dans le film sont en CP. Des plaintes ont été déposées contre eux ! Quand on voit que des parents d’élèves et que des instits ensemble portent plainte… Les flics eux-mêmes disent : « que voulez-vous qu’on dise à un enfant qui a fait une crise en classe ? Ce n’est pas notre rôle ni notre boulot ». A l’école effectivement il se passe quelque chose d’assez grave parce que si ces adultes-là n’ont plus de réponse, cela va devenir compliqué. Les enfants y sont huit heures par jour, tout de même.
OB : Il y a une grande complicité des médias dans la mise en scène de ces affaires-là.
MVM : Pendant qu’on tournait il y a eu l’affaire d’Uckange. Je me suis dit qu’on irait voir ce qui s’y passe pour le documentaire. Et puis au bout du compte on en venait au fait que c’était la mère. Ce qu’on met en avant c’est quelque chose qu’on ne veut pas voir, il ne faut pas se leurrer. Ce sont des mômes seuls. Ces femmes qui les élèvent sont soumises à une grande précarité sociale. Si on remet tout l’éducatif dans l’individu et dans l’intime de la famille elles n’y arrivent pas. Un môme c’est terrible tout seul. Dans l’histoire d’Uckange ça nous aurait arrangés que ce gamin soit dingue. Mais non c’est une mère qui est en train de passer de l’autre côté.
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