Les éditocrates : les éditorialistes qui font la pensée unique
Mona Chollet a signé un seul portrait (celui de Val qui, depuis qu’il dirige France Inter, n’éditocratise plus), Mathieu Reymond a signé celui de Jacques Attali, Olivier Cyran portraiture Alain Duhamel (le doyen officie depuis 1963), de Christophe Barbier (âgé de 42 ans, le cadet de la bande fait tomber la moyenne d’âge de ces vénérables à 58 ans) et de Jacques Marseille.
Pour Sébastien Fontenelle qui signe l’introduction, ils parlent "tout le temps, du lundi au dimanche. Et partout, dans la presse écrite, à la télévision, à la radio, sur Internet. Ils ne se taisent jamais : c’est à cela aussi, qu’on les reconnaît. Quiconque a fait le pari un peu fou de traverser toute une semaine sans se cogner sur Jacques Attali ou Bernard-Henri Lévy à tous les coins de médias sait, pour avoir fait là l’amère expérience de l’échec, qu’un tel défi est impossible à relever." On a les défis qu’on peut.
Du coup on se dit qu’il n’est pas anodin que cette galerie représente la crème de la crème éditocratique. Presque des cas d’écoles. Des pathologies. Des vieux mâles monomaniaques en manque dès qu’ils ne commentent pas les nouvelles. Laissez les vivre ! On finit par se demander si les auteurs n’auraient pas renoncé à leur légendaire sens de l’analyse critique pour se laisser aller à tant de facilité, comme s’ils espéraient profiter du bruit médiatique de leurs "victimes", ramasser les miettes, en quelque sorte.
Sébastien Fontenelle : L’idée est venue en en parlant d’une part avec l’éditeur, François Gèze, de La Découverte, et d’autre part avec les auteurs. C’est un sujet qui nous divertit tous les quatre.
OB : Qui vous divertit, c’est-à-dire ?
SF : Ça nous amuse
OB : Comment la liste définitive des dix portraits a t-elle était établie et arrêtée ?
SF : Chacun a proposé des portraits. On s’est arrêtés sur cette liste-là parce qu’elle nous semblait relativement cohérente et exhaustive, sinon par l’ensemble des portraiturés au moins par ce qu’ils représentaient du spectre médiatico-politique
OB : Donc c’est selon vous un ensemble représentatif ?
SF : Oui.
OB : Il n’y a pas de raisons personnelles derrière ce choix, pas d’homme à abattre ?
SF : Non, pas spécialement
OB : Ce sont tous des hommes
SF : Oui, mais vous aurez noté qu’à peu d’exceptions près les éditocrates sont tous des hommes.
OB : Leur moyenne d’âge est de 58 ans. Christophe Barbier, 42 ans, la fait chuter conséquemment. Est-ce que ces éditocrates ne représentent pas plus le passé que l’avenir ?
SF : Non. C’est une vraie question. Ils sont toujours là. C’est encore eux qui tiennent le haut du pavé. Il y a probablement une relève qui se prépare derrière, mais qui n’est si pléthorique parce qu’ils vérouillent tout. Des gens comme Barbier, en effet, ou comme Caroline Fourest on un potentiel en éditocratie qui est assez fort, mais il n’en reste pas moins vrai que ces gens sont là depuis très longtemps et probablement encore pour un bon moment.
OB : Les éditocrates, à travers ce choix, représentent tout de même une certaine génération vieillissante
SF : Je suis moins optimiste que vous. Je pense que le système est un gigantesque estomac qui digère tout. Même internet – probablement pas les blogs ni Agoravox – je pense que d’une façon ou d’une autre ça sera digéré. Je pense qu’il y aura finalement une normalisation du net et qu’on se retrouvera dans une configuration qui peut être celle de la presse écrite. A côté des grands news magazines vous avez une presse qui est plus engagée, de Politis à CQFD, sur toute une gamme de nuances et je crains qu’à terme on arrivera à ça sur le net.
OB : Est-ce un pamphlet ou un essai documenté ?
SF : Je pense qu’on peut parler d’un pamphlet. Le ton est assez vif. Je ne m’engage pas pour les autres auteurs, mais à titre personnel je n’ai aucun problème avec la notion de pamphlet qui n’est absolument pas dépréciative dans mon esprit. C’est important de noter que la critique des médias telle qu’elle se pratiquait jusqu’à présent par Acrimed, etc., est maintenant extrêmement relayée par le net. Il y a plein de blogs qui font du décryptage et de la critique des médias. Cela se démocratise.
OB : Internet est-il selon vous le fossoyeur de l’éditocratie ?
SF : Ce qui est certain c’est que c’est une espèce de source d’emmerdements pour l’éditocratie. Si Laurent Joffrin écrit une connerie à 8 H du matin dans son édito, à 8 H 05 ça peut être dénoncé comme tel sur Internet. D’où l’espèce de rage qui les prend, pour la plupart, quand ils se mettent à parler du Net. Laurent Joffrin, Alain Duhamel ou Philippe Val quand ils se mettent à parler ce n’est jamais très gentil. Donc ça doit quand même les titiller quelque part. Fossoyeur c’est peut-être un peu excessif parce qu’encore une fois ils sont toujours là, dans l’espace médiatique hors internet. Ils sont partout, à la radio, à la télé, dans la presse, dans l’édition...
OB : Dans quelle mesure sont-ils influents ?
SF : La question n’est pas tant de savoir s’ils sont influents, mais d’observer la façon dont ils verrouillent l’information - je mets toutes les guillemets nécessaires au mot information -, dont ils façonnent l’opinion.
OB : Ils sont omniprésents, on ne peut le nier, mais façonnent-ils vraiment l’opinion ?
SF : Par définition, peut-être plus que l’opinion, ils façonnent un air du temps. Après il ne faut pas préjuger d’une éventuelle sottise de leur lectorat qui doit être à mon avis beaucoup plus lucide qu’on ne le pense. Les gens ne sont pas dupes. Mais il n’empêche que ça continue.
OB : Ils façonnent où ils reflètent ?
SF : Un peu les deux. Sur certains sujets ils façonnent, sur d’autres ils reflètent. On l’a vu dans l’immonde débat sur l’identité nationale, une initiative 100% gouvernementale et "sarkozyque", ils se sont précipités là-dedans avec un enthousiasme assez délirant. Donc ils relaient assez fidèlement les messages gouvernementaux.
OB : Qu’est-ce que les éditocrates disent sur l’état des médias en France ?
SF : Cela reflète leur nullité, pour le dire de façon un peu abrupte. Ce n’est pas un hasard si la presse est en permanence en perte de lectorat. Cela doit aussi s’expliquer par ça. Non pas par les éditocrates en eux-mêmes, mais par la pauvreté navrante de leur discours et de leurs analyses.
OB : Qu’est-ce qui fait la différence entre un éditocrate d’un journaliste moniprésent. Je pense à Jean-Pierre Elkabbach, Sébastien Demorand ou Jean-Michel Aphatie qui eux aussi influencent quotidiennement leurs auditeurs ?
SF : Demorand est prometteur et pourrait figurer dans un tome deux, si tome deux il y avait, ce qui n’est pas le cas !
OB : A part leur omniprésence médiatique qu’est-ce qui définit précisément les éditocrates ?
SF : On ne peut pas mettre à part leur omniprésence parce qu’elle est un des éléments déterminants et constitutifs de l’éditocratie. Deuxièmement il y a leur omniscience proclamée et autoproclamée, c’est-à-dire cette faculté de parler de tout, mais vraiment de tout. BHL qui peut parler du nez de Michael Jackson comme du sauvetage de l’Afghanistan... C’est infini. Le troisième élément c’est la médiocrité atterrante de l’analyse, voire le burlesque absolu de ces gens-là.
OB : Pourquoi n’évoquez vous pas les éditocrates culturels, tous ces gens qui font la pluie et le beau temps en matière culturelle, qui façonnent eux aussi le « bon » goût ?
SF : C’est vrai, c’est un sujet qui est un petit peu différent parce que justement on n’est pas dans cette omniscience dont je vous parlais plus haut. On peut être dans l’omniprésence, dans le n’importe quoi, c’est une évidence, mais il n’y a pas ce caractère polyvalent qui fait qu’on peut disserter de tout et de n’importe quoi.
SF : Sincèrement non. On n’a aucun envie de prendre aucune place. On travaille au Plan B, au Monde diplo, à Politis, si on avaient des envies... On travaille où on se sent bien et c’est notre seul souci dans la vie, franchement.
OB : André Breton en 1925 n’était pas l’écrivain auréolé de gloire qu’on connaît aujourd’hui
SF : A titre personnel je fais mes petits trucs dans mon coin, ça va très bien comme ça, je suis très content, j’espère que ça durera. Je ne demande absolument rien de plus.
OB : Est-ce que le problème de la presse française n’est pas de laisser la place à l’analyse au détriment du fait ? Finalement est-ce qu’il n’y aurait pas une crise du journalisme d’enquête qui fait qu’il y aurait une inflation d’éditorialistes ?
SF : Je n’en sais rien. Je ne sais pas trop quoi répondre à ça. Ça nécessiterait un peu de temps pour y réfléchir. Je ne suis pas contre l’analyse si elle est pertinente. On pourrait dire aussi qu’on est dans une espèce de religion du fait immédiat, voire du fait-divers. Donc ce n’est pas en ces termes-là que je le poserais. Après qu’il y ait un déficit au niveau de l’enquête... J’ai quand même l’impression que la presse à tendance à abuser du fait. Qu’on se souvienne de la séquence hallucinante autour de Johnny. Johnny Hallyday a 39 de fièvre, puis la fièvre retombe... On est dans le fait brut, inintéressant, grotesque et monté en épingle.
OB : Vous parlez-là du traitement d’un people par la presse, pas d’une enquête
SF : Quand on énonce le fait que l’excellent Eric Besson vient encore d’expulser neuf Afghans, on peut avoir envie de lire des analyses qui soient autres que celles qu’on lit tous les jours sous la plume de ces braves gens. Il ne faut pas écarter l’analyse par principe. Si elle est pertinente elle est quand même assez bienvenue. Un vieux dicton berrichon explique que « ceux qui savent ne parlent pas et que ceux qui parlent ne savent pas ». Il se vérifie quotidiennement dans la presse.
OB : Il y a tout de même de bons journalistes
SF : Bien sûr qu’il y a d’excellents journalistes. Mais ce n’est peut-être pas forcément la majorité de l’espèce.
OB : Est-ce que les humoristes ne représentent pas une nouvelle sorte d’éditocrates ?
SF : Possible. Pourquoi pas ? En même temps il y a humoriste et humoriste.
OB : Pour prendre un spectre large, de Guillon à Gerra, en passant par les Guignols, Porte, Roumanoff, Canteloup. Aujourd’hui ils sont finalement aussi écoutés que les éditocrates.
SF : J’ai surtout l’impression que tout ce qui pourrait être oppositionnel se réduit à ces quelques comiques qui ne le sont pas toujours d’ailleurs et je trouve ça un peu navrant. C’est une sorte de mordant qui est tellement toléré. Roumanoff est chez Drucker, non ? On a tout dit. Quand le grinçant est chez Michel Drucker c’est qu’il ne doit pas être si grinçant que ça. Après il y a des nuances. Il ne faut pas tous les mettre dans le même sac. Guillon je ne l’écoute pas, donc je ne peux pas vous en parler. Je pense que tant que c’est toléré, tant que ça existe c’est qu’au fond ça ne gêne personne. En même temps, les Guignols je suis assez bon public, je suis même assez fan. Mais les Guignols sont chez Denisot dont l’émission est pour moi le sommet de l’horreur. Tout ça est un peu compliqué. On a tous un peu nos limites, de toute façon.
OB : Quel remède voyez-vous à l’éditocratie ?
SF : Je n’en vois pas et je n’ai pas spécialement envie d’en avoir. On n’est pas là pour donner des recettes.
OB : Après avoir écrit un livre entier sur ce que vous appelez l’éditocratie, cette espèce de maladie de l’information, vous pourriez avoir un point de vue...
SF : C’est une petite spécialité française. Je pense qu’il faut tabler sur le fait que les gens ne sont probablement pas dupes et qu’ils se font leurs opinions hors des prescriptions de Laurent Joffrin. On peut l’espérer. Le problème n’est pas de ne pas les écouter, mais de ne pas les entendre. On les entend tout le temps. Ou alors on arrête de lire la presse, d’écouter la radio et d’allumer la télévision. Ils sont carrément inévitables. Regardez la presse pendant une semaine vous tombez sur Jacques Attali à tous les coins de rue. Après il y a d’autres endroits, il y a tout un espace qui est apparu qui est probablement porteur d’alternatives.
OB : Pensez-vous que des gens comme Guy Birenbaum, Loïc Le Meur, Daniel Schneidermann, pour ne pas les nommer, préfigurent les éditocrates 2.0 ?
SF : Je ne sais pas. Tous ces trucs d’influence...
OB : C’est quand même le fonds de votre livre...
SF : Je ne sais pas. Peut-être. A ce moment-là on peut dire que les blogueurs influents, comme ils s’appellent eux-mêmes, sont des éditocrates du net. En effet. La vérité c’est que je n’avais pas vu le truc sous cet angle. C’est tout à fait pertinent comme remarque. Sauf qu’un gars comme Schneidermann ce qu’il raconte est quand même moins neu-neu que ce que raconte un Alain Duhamel. Qu’un gars soit un éditocrate au sens d’une espèce continue, voire diversifiée, ça ne me gène pas s’il a des choses intéressantes à dire. Il ne s’agit pas de museler tout le monde. C’est dans le degré de pertinence de ce qui est dit que ça se juge.
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