A l’école avec Jean-Michel Blanquer
Article pour faire connaissance avec le nouveau ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, et ses projets éducatifs.
Jusqu'à mercredi 17 mai dernier, Jean-Michel Blanquer était le Directeur général du groupe ESSEC. Etant moi-même (très) ancienne élève de cette école, sa nomination comme Ministre de l'Education nationale dans le gouvernement d'Edouard Philippe a naturellement capté mon attention et suscité ma curiosité.
La ministre sortante, Najat Vallaud-Belkacem, fut l'auteur d'une réforme du collège et d'une refonte des programmes très contestées l'une et l'autre tant elles institutionnalisent le nivellement par le bas des élèves, alors que les classements internationaux nous sont de plus en plus défavorables. Ayant vu qu'elle avait fait une moue spectaculairement dépréciatrice en apprenant le nom de son successeur, j'ai été prise d'un grand élan de sympathie envers le nouveau ministre et, plus sérieusement, j'ai eu envie d'en savoir plus sur lui, sur ses idées et sur ses intentions.
Jean-Luc Mélenchon a également fait part de sa totale désapprobation. En expert indépassable des formules et des amalgames qui frappent, il a prestement instrumentalisé le fait d'avoir dirigé une grande école de commerce comme la preuve de la marchandisation du savoir et des élèves qui sera forcément à l'oeuvre, selon lui, avec un tel ministre à l'Education nationale - tout en nous livrant au passage son surmoi totalitaire sur l'école dont l'objectif devrait être de "fabriquer" des humains (à son image, j'imagine) :
Le ministre de l'Éducation veut gérer l'école comme une entreprise. Mais on ne fabrique pas des humains comme des objets !
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 17 mai 2017
• Si Jean-Michel Blanquer (CV complet ici) est fréquemment associé à la droite - et de fait, il fut directeur adjoint du cabinet du ministre de l'Education nationale Gilles de Robien de 2006 à 2007 sous Chirac, puis Directeur général de l’enseignement scolaire de 2009 à 2012, soit le numéro 2 de l'Education nationale auprès de Luc Chatel, ministre de Sarkozy - il est avant tout un spécialiste reconnu des questions d'éducation.
Suite à sa nomination, les principaux syndicats d'enseignants n'ont certes pas manqué de rappeler qu'il avait participé aux suppressions de postes de l'ère Sarkozy et qu'il était aussi l'auteur des funestes évaluations organisées à l'époque en CE1 et CM2, officiellement pour faire un bilan du niveau des élèves, et officieusement, selon les syndicats, pour - horresco referens !! - évaluer les professeurs.
Mais dans l'ensemble, de façon plus sérieuse et moins caricaturale que Jean-Luc Mélenchon, ils saluent "un homme de conviction, pragmatique, qui connaît le terrain". Ils se déclarent "prêts à s'asseoir autour de la table" et pensent que leurs objectifs et ceux du nouveau ministre sont les mêmes :
"Faire réussir tous les élèves et diminuer les inégalités avec un vrai souci de l'école de la République et l'idée que tous les élèves sont capables." (Francette Popineau, secrétaire générale du SNUipp, syndicat majoritaire dans le primaire)
.
Vendredi matin sur France Inter (vidéo ci-dessous, 08' 52"), Jean-Michel Blanquer a regretté les petites polémiques nées de sa nomination et les étiquettes politiques qu'on veut lui accoler à toute force. Il a réaffirmé qu'il ne s'était jamais engagé en politique et qu'il n'avait jamais milité dans aucun parti. Très en phase avec la philosophie générale d'Emmanuel Macron, il considère qu'il faut se rassembler car "le clivage droite gauche n'a aucun intérêt pour l'école."
Ce qui l'intéresse, c'est de parler des élèves, et ce qu'il demande, c'est qu'on regarde ce qu'il a fait, ce qu'il a dit et ce qu'il a écrit :
"Ce que j'ai fait c'est toujours de me consacrer aux élèves, et notamment les plus défavorisés. Ce qui m'intéresse, c'est d'arriver à la vraie égalité, au vrai progrès et pas me payer de mots."
Cette petite mise au point étant faite, le nouveau ministre a pu développer quelques uns des grands principes qu'il envisage de mettre en oeuvre rapidement : oui, l'autorité des maîtres va de pair avec l'épanouissement des élèves ; oui, les classes bilangues seront rétablies ; oui, le récit national doit être positif mais il doit surtout être chronologique afin de donner des repères, notamment aux plus jeunes élèves ; et oui, les classes de CP et CE1 seront bien dédoublées dans les zones d'éducation prioritaire dès la rentrée, conformément à la promesse du candidat Macron.
D'après Blanquer, cette dernière réforme n'est pas une lubie, elle correspond à ce qui, dans le passé, a montré de l'efficacité. Il insiste énormément sur la nécessité de faire des expérimentations, de les évaluer et de poursuivre si les résultats sont concluants.
Pour lui, il est fondamental de s'intéresser aux enfants dès le plus jeune âge, au moment où le langage et le vocabulaire s'installent, l'objectif étant que tous les élèves sortent du CP en sachant lire, écrire et compter, avec le bénéfice que les professeurs des classes supérieures du primaire et du collège hériteront d'élèves disposant de fondamentaux bien ancrés. Naturellement, ceci implique qu'il faudra recruter des enseignants pour ces niveaux de départ, quitte à faire des économies sur une simplification des années lycée et du bac.
Concernant les rythmes scolaires, autre réforme très contestée du quinquennat précédent, Blanquer revendique le plus grand pragmatisme (un de ses maîtres-mots) et une concertation totale entre les mairies et les établissements scolaires. Il insiste sur le fait que le ministère doit apporter du soutien aux acteurs de la communauté éducative, pas les contrôler depuis Paris :
"Si j'ai un appel à faire aux professeurs - j'en suis un moi-même, je leur dis : Votre créativité, votre volonté d'agir sont libérées. Faites, proposez, l'institution est là pour vous aider."
Dès lors, il importe de libérer le système, en donnant de l'autonomie aux établissements pour recruter et s'organiser, toujours sur la base du pragmatisme et de l'évaluation de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.
• Jean-Michel Blanquer a développé toutes ses idées dans deux livres parus aux éditions Odile Jacob : L'école de la vie en 2014 et L'école de demain* fin 2016.
Dans le premier (vidéo ci-dessous, 06' 23"), il décrypte les enjeux des quatre stades de l'école : la maternelle ou le "métier de vivre", l’école élémentaire ou "un socle pour la vie", le collège ou le passage "du collège unique au collège commun" et le lycée ou le "lycée de la liberté". Le titre de l'ouvrage a été choisi afin de montrer l'aller et retour nécessaire entre l'expérience et la connaissance, ainsi que pour transmettre un message d'optimisme dans le fait que notre système n'est pas condamné à rester le "mammouth" en phase terminale qu'on déplore sans trop savoir qu'en faire.
Jean-Michel Blanquer insiste également beaucoup sur les expérimentations scientifiques qu'il a menées avec l'Ecole d'économie de Paris. En particulier, celle qui a cherché à voir comment associer plus étroitement les familles à la scolarité des enfants. Ceci s'est traduit par des réunions avec les parents pour les sensibiliser aux enjeux des devoirs à la maison, aux méthodes d'apprentissage, etc.... Cette implication des parents a eu un impact sur les élèves qui a été mesuré, d'abord dans 50 établissements, puis dans 1300.
Pour Blanquer, il est important d'avoir une vraie méthode scientifique pour évaluer les actions, et une vraie méthode expérimentale pour transformer les essais en les élargissant si ça marche.
Le second livre (voir entretien dans vidéo ci-dessous, 08' 13") est un véritable programme ministériel. Elaboré en collaboration avec l'Institut Montaigne, il est si proche des mesures phares d'Emmanuel Macron en matière d'éducation qu'on croirait qu'il a été écrit pour lui.
En 150 pages, ce livre redessine l'intégralité du système éducatif de la maternelle au lycée, en redistribuant les moyens, les pouvoirs et les attributions des différents corps. Mais Jean-Michel Blanquer n'envisage pas cela comme une révolution, comme on le lui objecte souvent, mais comme :
"un modèle éducatif équilibré, mélange réussi de tradition et de modernité, d'épanouissement et de rigueur."
Tout en s'appuyant sur les acquis de l'expérimentation scientifique, ce modèle éducatif tourne autour de quatre grands principes : l'autorité, l'autonomie, les fondamentaux et la hiérarchisation.
Cette dernière notion inquiète la plupart des tenants des pédagogies actuelles car elle implique la formation au sein des classes de "groupes de compétence" dont ils redoutent qu'ils pourraient devenir des "groupes de niveau" défavorables aux élèves défavorisés.
Elle implique aussi la mise en concurrence des établissements, notion "commerciale" qui rejoint la critique mélenchoniste citée plus haut. Jean-Michel Blanquer, et pour ma part je le regrette, n'est cependant pas dans une logique de privatisation du système mais dans une logique de délégation accrue qui permettrait "d'accomplir mieux le service public en responsabilisant davantage les acteurs."
Des sites éducatifs hostiles tels que Le café pédagogique estiment que :
"La personnalité de l'auteur, son parcours, le soutien de l'Institut Montaigne, ses appuis au sein du ministère font de J. M. Blanquer un ministre potentiel et de son ouvrage un livre programme pour un président soucieux de réduire le budget de l'Éducation nationale et de mettre au pas la machine éducative."
Selon moi, cette critique virulente d'une transformation de l'Education nationale dont les mauvais résultats sont de plus en plus préoccupants n'est pas autre chose que le pendant éducationnel de tous les freins qu'on voit se lever contre la réforme du code du travail alors que le chômage de masse s'installe ou contre la nécessaire mise à la diète de l'Etat-providence alors que notre dette caracole à presque 100 % du PIB.
Jean-Michel Blanquer apparaît vraiment comme quelqu'un de très expérimenté dans le domaine de l'éducation pour lequel il professe passion et enthousiasme. Des qualités qui lui seront infiniment nécessaires pour insuffler un peu de liberté dans les rouages crispés de notre éducation nationale.
Je lui souhaite tout le succès possible, en espérant qu'il aille encore plus loin dans la souplesse et la liberté. Par exemple en mettant fin aux rigidités de la carte scolaire dans l'enseignement public, et en actant un début de fin du monopole de l'Education nationale en autorisant les expériences éducatives les plus variées, destinées à tous les profils d'enfants et de parents, comme cela existe dans les études supérieures à travers toutes les écoles qui se développent de façon autonome parallèlement aux nouveaux métiers que les technologies de l'information font émerger.
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