À M. Alain Deyber au sujet de votre dernier ouvrage paru « les derniers jours du siège d’Alesia »...
.Je vous cite...
Page 22 : Vous fustigez les partisans d'une Alésia en Franche-Comté... Il s'agit là, en effet, à l'origine, d'une querelle absurde entre archéologues mais qui ne concerne en rien les deux anciens militaires que nous sommes.
Page 25 : Les traductions par trop fantaisistes des chercheurs du dimanche... Hélas ! comme je me propose de vous le montrer, votre traduction, elle aussi, n'est pas exacte.
Page 28 : Vercingétorix assiège en vain Gorgobina puis se replie sur Noviodunum... Vous faites trop confiance à vos collègues historiens ; ces localisations sont erronées. Gorgobina, c'est le mont Beuvray où César a installé les Boïens après qu'il ait vaincu les Helvètes - cela explique la richesse archéologiques du lieu. Noviodunum, c'est Bourbon-Lancy. Je peux vous le démontrer.
Page 29 : Une assemblée générale de toute la Gaule à Bibracte... oui, mais à Bibracte/Mont-Saint-Vincent, site puissamment fortifié, et non au Mont-Beuvray, mont pelé. Je peux vous le démontrer.
Page 30 : Vercingétorix attaque l'armée de César pendant sa marche... oui, embuscade tout ce qu'il y a de plus classique ; elle a eu lieu à Noyers qui était alors possession séquane, sur la voie Sequanas, le long de la frontière du pays lingon. Je peux vous le démontrer.
Page 31 : Stratégies de l'enclume et du marteau, abcès de fixation, grande et petite épée... C'est beaucoup plus simple : les chefs gaulois se formaient à l'art de la guerre en chassant le gros gibier.
Page 42 : Vous écrivez que cela fait depuis 30 ans (1987) que vous appelez l'attention de la communauté scientifique... moi, cela fait 39 ans que j'ai dit à votre oncle, le professeur Le Gall, qu'il se trompait en pensant que Vercassivellaunos avait lancé son attaque sur le mont Rhéa (cf journal le Monde du 11.11.1981 qui me cite). Vercassivellaunos a lancé son attaque sur la montagne de Bussy.
Page 43 : Vous évoquez des rivalités et des jalousies chez les chefs gaulois... C'est possible, mais moins que vous le dites.
Page 44 : Les Romains ne pouvaient pas accueillir et nourrir les Mandubiens qui erraient entre les lignes... Bien sûr que si !
Page 47 : Bataille de nuit : terrible affrontement sur la ligne de fortification extérieure de la plaine des Laumes entre l'armée de secours et les Romains. De l'autre côté, Vercingétorix arrive trop tard... Vous vous trompez sur la signification du mot "oppidum". Oppidum ne désigne pas tout le mont, mais seulement la fortification ovale qui se dressait à la pointe ouest du mont. Premier fouilleur du site, Garenne la qualifiait de citadelle. Je doute qu'elle ait pu abriter 80 000 hommes... 6000 hommes au plus.
Jusqu'à la page 98 : Vous y développez un cours professoral de réflexion tactique et stratégique bien loin des préocupations des deux adversaires.
Page 99 : J'en viens à votre thèse sur "l'impossible manoeuvre de l'armée de secours".
Si je vous comprends bien, vous lancez les 60 000 hommes (?) de Vercassivellaunos sur la gauche pour s'emparer du mont Rhéa... (César les qualifie de "milites" ; donc, en principe, il ne s'y trouve pas de cavaliers). Vous pensez que l'idée de manoeuvre des chefs gaulois était, une fois le mont Rhéa conquis, de rabattre ces 60 000 hommes (?) sur les deux lignes de retranchement, direction plein sud, tandis que le reste de l'armée de secours aurait attaqué frontalement la ligne romaine, côté ouest, Vercingétorix attaquant de l'autre côté. L'axe d'effort sur le mont Rhéa n'étant que secondaire, vous pensez que la manoeuvre a échoué parce que le reste de l'armée de secours n'a pas attaqué sur l'axe principal prévu, préférant la fuite depuis ses camps plutôt que de marcher au combat. L'accusation est grave...
Je ne crois pas à ce scénario. Dans cette hypothèse, c'est tout le reste de l'armée romaine qui aurait rappliqué en prenant les Gaulois de Vercassivellaunos à revers ou sur leur flanc.
Votre interprétation du texte de César est erronée. Voici une meilleure traduction, en italiques.
Repoussés par deux fois après avoir subi de lourdes pertes, les Gaulois se concertèrent pour déterminer ce qu’il s’agissait de faire ; Ils interrogèrent les gens du pays pour bien repérer l’emplacement des retranchements et des camps romains.
Il y avait au nord une hauteur que les Romains n’avaient pu englober dans leurs lignes, en raison de son étendue <1>. Les camps de deux légions <2> s’y trouvaient sur un terrain légèrement en pente et dans une situation peu favorable. Après avoir fait reconnaître les lieux, les chefs que nous avons précédemment nommés donnèrent l’ordre de trier 60 000 hommes (?) parmi ceux dont les cités avaient la plus grande réputation de valeur militaire. Ils se mirent ensuite d’accord en secret sur un plan d’action. Après avoir fixé l’heure H à midi, ils donnèrent le commandement des troupes à l’Arverne Vercassivellaunos...
Il sort du camp à la tombée de la nuit <3>. Sa marche s’achève à l’aube derrière la montagne <4>. Il s’y cache. Il ordonne à ses soldats de se reposer des fatigues de la nuit. Avant qu’il ne soit midi, il se met en route en direction de son objectif <5>... (vers les deux légions de la montagne de Bussy <2>).
En même temps, la cavalerie gauloise s’approche des fortifications de la plaine <6> et son infanterie se déploie devant les camps <7>... (je dis bien : devant les camps romains H, I et K de la plaine, et non gaulois)
Vercingétorix, du haut de la citadelle d’Alésia <8> aperçoit les troupes en marche. Aussitôt, il sort de l’oppidum. Il fait avançer les fascines, les panneaux de protection, les faux de guerre et tout ce qu’il a préparé pour l’assaut.
Il engage le combat partout à la fois. Ses troupes montent à l’attaque de tous les ouvrages de défense. Si un endroit paraît moins bien défendu, elles s’y portent en masse. Devant tant de points à défendre, les Romains placés aux remparts <9> courent en tous sens, et leur tâche devient de plus en plus difficile. En outre, la clameur qui s’élève dans leur dos les effraie, (je dis bien : la clameur du reste de l'armée de secours qui attaque de l'autre côté, dans la plaine, sur votre axe d'effort principal) car ils se rendent compte que leur salut dépend des défenseurs de l’autre retranchement et ne sachant ce qui s’y passe, ils en sont profondément troublés.
Quant à César, il s’est installé sur une bonne position <10>. Il suit partout le déroulement des opérations. Il envoie des renforts à ceux qui se trouvent en difficulté <11>.
Des deux côtés, on se rend compte que le moment est unique et qu’il faut redoubler d’efforts. Les Gaulois savent que tout est fini pour eux s’ils n’arrivent pas à percer les retranchements. Pour les Romains, c’est la fin de leurs misères s’ils les en empêchent.
(Au nord, sur la montagne de Bussy), les hommes de Vercassivellaunos, profitant de la pente favorable du terrain, mettent en grand péril les défenses romaines <12>. Les uns, par rafales successives, lancent leurs traits, tandis que les autres s’avancent dans la formation de la tortue. Sans cesse, des troupes fraîches remplacent les troupes fatiguées.
Tout ce qu’ils trouvent sur le sol : bois, pierres, terre, branches, ils l’arrachent ; ils comblent les trous, recouvrent les pièges, avancent sur le corps des morts et se lancent à l’assaut des terrassements.
Les Romains ont jeté contre eux tous leurs javelots ; leurs réserves sont épuisées ; les armes leur manquent. Ils sont au bord de la défaillance physique : ils n’en peuvent plus.
Ayant été informé de la situation, César envoie Labiénus à leur secours avec 6 cohortes <13>. Il lui donne comme consigne de faire une sortie, s’il n’est plus possible de résister sur le retranchement, mais seulement si c’est vraiment indispensable. De sa personne, il se rend auprès des combattants <14> ; il les conjure de surmonter leur défaillance. Il leur crie qu’en ce jour, à cette heure, ils tiennent entre leurs mains l’acquis de tous les combats précédents.
(Dans la plaine des Laumes, côté Vercingétorix), sur l’autre front , les assiégés, désespérant de l’emporter dans la plaine en raison des fortifications qui y étaient redoutables, se tournent vers les pentes abruptes (du mont Rhéa) pour les attaquer <15>. Ils transportent là tout leur matériel. Ils lancent contre les tours une véritable pluie de javelots. Les défenseurs qui s’y trouvent basculent dans le vide. Ils comblent les fossés. A l’aide de faux de guerre, ils arrachent palissade et parapet.
César envoie le jeune Brutus avec ses cohortes, puis le légat Fabius avec d’autres <16>. Le combat atteint une rare violence. César en personne, prend la tête des troupes de renfort et les conduit au combat <17>.
Ayant rétabli la situation et repoussé les Gaulois, il court vers Labiénus <18> ; il prend au passage quatres cohortes dans la redoute la plus proche. Il donne l’ordre qu’une partie de la cavalerie le suive et que l’autre contourne les retranchements extérieurs et attaque l’ennemi dans le dos <19>.
Labiénus <20>, voyant que ni le rempart ni les fossés ne peuvent arrêter le déferlement des vagues gauloises, tire des postes voisins 39 cohortes. Il envoie à César un officier de liaison pour lui dire ce qu’il pense faire.
César précipite sa marche. Il veut participer à la bataille. On le reconnait à la couleur de son manteau de général qu’il a l’habitude de porter au combat. On aperçoit les escadrons de cavalerie et les cohortes dont il s’est fait suivre <18>. Il descend la pente. Sur les hauteurs <12>, les Gaulois l’ont vu. Ils se rassemblent et ils donnent l’assaut en poussant un cri terrible. Du rempart et des fortifications <20>, une autre clameur leur répond aussitôt. Les Romains abandonnent le pilum et mettent l’épée au poing... (sur la montagne de Bussy).
Soudain, les Gaulois aperçoivent la cavalerie adverse qui leur arrive dans le dos <19>. Ils voient également toutes les autres cohortes qui débouchent sur le champ de bataille.
Ils décrochent et se replient. Les cavaliers courent à leur rencontre et ils en font un grand carnage. Sedullus, chef et “Premier” des Lémovices est tué. Vercassivellaunos est fait prisonnier. On apporte à César 74 enseignes...
D’une armée si nombreuse, bien peu rentrèrent au camp sans blessure. Les observateurs de l’oppidum <21>, voyant le massacre et le désastre subi par leurs compatriotes <12>, désespérant de leur salut, rappelèrent leurs troupes <15>. De l’autre côté des lignes romaines, les Gaulois abandonnèrent les camps <22> et s’en allèrent. Il s’agit des camps romains de la plaine H, I et K. Fit ex castris gallorum fuga : elle se fit hors des camps (romains), la fuite des Gaulois et non elle se fit la fuite des Gaulois hors de (leurs) camps. ÉNORME ERREUR DE TRADUCTION !
Et César termine son récit par ces mots qui montrent bien le rare degré de violence qu’avaient atteint les combats : Si nos soldats n’avaient pas été harassés par leurs nombreuses interventions et par les efforts de toute une journée de lutte, ils auraient pu anéantir toutes les troupes ennemies. La cavalerie rattrapa les derniers de la colonne vers le milieu de la nuit. Beaucoup furent fait prisonniers ou massacrés. Les autres se dispersèrent et retournèrent dans leurs pays.
La manoeuvre gauloise est d'une logique aveuglante. Il s'agissait d'attaquer les Romains sur deux fronts en même temps, et même trois, celui des assiégés, de façon à submerger l'adversaire sous le nombre et sans qu'il ait le temps de jouer avec ses réserves en les faisant intervenir en renfort d'un endroit à un autre. Dans cette logique, l'attaque sur les deux fronts extérieurs, nord et ouest, devaient se déclencher en même temps à midi. Les troupes de Vercassivellaunos attaquant, au nord, les deux camps romains de la montagne de Bussy, le reste de l'armée de secours attaquant, à l'ouest, avec la mission particulière suivante : empêcher la cavalerie notamment germaine de sortir du camp H, I ou K pour qu'elle ne puisse pas intervenir dans le dos des troupes de Vercassivellaunos.
La fortune a voulu que la redoutable cavalerie germaine a pu se dégager pour intervenir, dans un premier temps, dans le dos de Vercassivellaunos, puis, dans un deuxième temps, en revenant dans la plaine des Laumes contre les Gaulois de l'armée de secours.
César ne signale aucune éclipse de lune.
Cordialement.
Emile Mourey, ancien lieutenant-colonel de l'armée française, saint-cyrien de la promotion "Ceux de Dien Bien Phu", ne s'est battu et ne se bat encore que pour la gloire et pour des prunes (Edmond Rostand, l'Aiglon). 30 janvier 2020.
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