Adieu à l’ami inconnu
Il a ouvert un monde de finesse, de langage, de profonde pensée, de touffeurs de savoirs mais de concentration attentive ; aucune fatuité ni désœuvrement agressif ou sirupeux dans la justesse de ses phrases pourtant in-comprises, dans leur premier temps.
J'aime les mondes nouveaux qui s'ouvrent à moi sans artifice et j'aime m'y plonger pour savoir m'y reconnaître. Et à y retourner, puisque c'est engrangé, tout m'a semblé familier comme on fait un chemin sans même s'en rendre compte.
D'abord, je naviguais à vue, ne voulant pas perdre ce miracle que je savais sans mirage car il n'avait pas été difficile de le repérer, telle la lumière que l'artiste a pointée sur un visage d'enfant.
Comme la vie sans faux-fuyants, sans fuite, juste des éclipses qui insistent sur la fragilité de tout lien ; aucun débordement propre aux désirs d'appropriation, juste le cours des choses.
Me lançant grossièrement sur des pistes qui m'étaient savonneuses, je me voyais mouchée sans me sentir morveuse tant je sais le précieux d'une vérité qui hisse ou fait bondir sur son propre destin. Il faut du temps pour tout et pas de volonté, un laisser être, une disponibilité. Il y avait un peu de cette chair qui s'efface au profit de l'essentiel, de ces sens qui n'ont rien à faire ici mais qu'à l'occasion se laissent deviner, il y avait cette absence notable et délicieuse d'un forçage de réflexion ou de pensée, juste une porte ouverte. Aucune coquetterie, ni vantardise ni escroquerie mentale mais ça et là comme des galets ronds et blancs, lisses et luisants sur le sentier, des signes, des offrandes.
De la même manière qu'une ombre lointaine se précise si on s'en approche, un être se dessinait, d'une pudeur exquise, d'un pathos tout entier retenu. Quel délice une telle rencontre par les temps qui courent !
Il n'y eut que le langage pour définir cette belle amitié, point de repas partagé ni de promenade, pas d'oeil en coin ni de gestes incompris, pas de complicité non plus face à l'adversité, quelque chose comme d'épuré. Une source d'eau pure dans le purin ambiant.
Moi au contraire je forçais, les pieds sur le sol voire dans la boue car mon sol et ma boue sont bien ordinaires quand chez lui c'est la guerre ; un rien paysanne qui tire à soi l'éther tout en y aspirant, lourde, sans capacité cependant. Des sabots de bourrée pour des chaussons de soie, qui eut prédit la rencontre de ces deux-là ?
Sur les collines de terre rouge et d'oliviers c'est la beauté et la fougue de mes trente ans qui firent de notre étreinte une chaude embrassade toute empreinte de la liberté d'une belle ambassade ; enfin. Ma rougeur n'est qu'ardeur et ton ardeur qu'acceptation ; juvéniles, exubérants, félins jeunes, chauds et souples, de nos jeux doux et forts nous roulons sans efforts.
C'est quand tout part que le fond se révèle, un germe en soi, la dépose d'un regain. Si riche en protéine pour la croissance. Il faudra faire avec cette maigre pitance précieusement gardée, un onguent de santé, un viatique, une réminiscence que l'on se contentera d'intégrer.
Car le départ a provoqué des larmes, de celles qui cicatrisent l'âme mais aussi a rompu les amarres du médiocre, les ancrages imposés par la promiscuité ; libérée soudain de toutes ces entraves, de tout cet artefact, je lui dois l'horizon élargi à jamais.
Et cela n'est pas rien : quel est donc l'ami qui peut se prévaloir d'un tel don ?
Aussi n'est-ce ni ode ni hommage, une gratitude seulement qui comme nous tous et tout s'envole dans le vent.
Mais à mille lieues il m'entend, rire de cette soudaine légèreté qui n'a rien d'insoutenable, qui fut tant espérée...qui sera imprenable
Merci donc l'ami puisqu'un morceau de toi désormais m'appartient... et quand sauvage enfin, je sautillerai, ton image inventée sera ma compagnie, mon trésor, le germe de ma vie...
Et puis, l'autre, ami, plus taquin, brassé de sensibilité méditerranéenne ; la musique fut le lien, en premier, comme une onde qui unit des étrangers, ce langage qu'on partage, un instant, fugitif.
Fugitif. Rompre. Définitif comme un assassinat, inconscient de la douleur provoquée, à moins qu'elle fût infligée pour partage ?
Où est la faute, la maladresse ? On ne sait rien les uns des autres. Je m'attache à des ombres, contact effacé, et je pleure de les avoir perdues. C'est une mort, cette mer qui nous sépare, ce lien anéanti.
S'ils me lisent, ils se reconnaîtront ; mais ils ne liront pas ; ils sont dans l'oubli, oh, comme je les envie.
Celui qui reste est toujours le pignouf face au vide, les bras ballants, le cœur en berne. Y a-t-il un humain derrière les mots ?
Ignoraient-ils le bonheur de lire leur noms sur ma page ?
C'est une mort injuste et sans explication, sans répartie possible, un abus de pouvoir. Et cette magie qui dessinait des êtres et qui les faisait chair sans qu'on puisse les toucher mais qu'on touchait quand même, quand les mots sortent du cœur...
On dirait une tombe avec ses plaques en marbre et ses fleurs ; mais non, le monde les porte encore, et moi ; ce fut une aubaine, un honneur de les rencontrer, éphémères , si fragiles qu'ils ne purent être retenus...
19 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON