Airbus et la loi du marché
Les années 50-60, la France, baby-boom... le quasi plein emploi, les employés font jouer la concurrence. Trouver un nouvel emploi n’est pas un problème, on peut faire un mauvais choix, démissionner n’empêche pas de retrouver son bonheur ailleurs. Côté investissement, le risque est important, mettre ses billes dans une entreprise est osé et est bien calculé. Les années 2000, France, période pré-papy-boom... chômage, le travail devient un bien précieux. De l’autre côté, l’investissement s’est transformé en spéculation boursière. Le risque est minimisé, le risque est désormais porté par le travailleur.

La majorité des actionnaires d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier, ils n’investissent plus parce qu’ils croient en une société qui a besoin de leur soutien pour se développer ou parce qu’elle met en avant de beaux projets (disons que c’était plus le cas avant qu’aujourd’hui...). De nos jours, il faut "faire" de l’argent... beaucoup et rapidement. Parmi les plus gros "investisseurs"... disons plutôt les plus gros spéculateurs, on trouve les fonds de pension américains. Désormais, ils possèdent assez de ressources financières pour pouvoir lancer des OPA. Une fois la majorité des actions d’une société obtenues, le souhait de faire 15% de rendement devient un dictat.
Plus les fonds de pension (et d’autres actionnaires, ne nous voilons pas la face) détiennent de titres dans une société, plus ce souhait désormais bien connu d’avoir un rendement annuel de 10 à 15% par action (soit dividende + progression du titre) devient une exigence.
Le résultat ? Moins d’investissement, moins de progression des salaires, précarité (appel à l’intérim et aux CDD plutôt qu’aux CDI),... Cette exigence de rendement est analogue au pressage de citron. Et quand on en a retiré tout le jus, on se retire en jetant ce qui reste du citron à la poubelle.
Cette exigence de rendement finit par obliger les dirigeants des sociétés à délocaliser. Mais comment se sortir de cette impasse sans salir son image ? Comment se débarrasser de cette main d’oeuvre si chère sans perdre ses parts de marché ?
Tout est question d’opportunité...
L’EXEMPLE AIRBUS
...et pour Airbus, les déboires de l’A380 tombaient à pic. Pourquoi résoudre les problèmes connus dès fin 2005 sachant que la tâche sera difficile voire impossible ? Pourquoi minimiser les problèmes de retard du gros porteur comme on le fait d’habitude pour les autres programmes ? Et surtout pourquoi ne pas saisir au vol ces problèmes pour communiquer sur les difficultés auxquelles Airbus doit faire face...
La suite, on la connait : Power 8 avec comme conséquence la compagnie aéronautique qui va sans doute céder tout ou partie de certaines de ces usines. Celles cédées entièrement sont tôt ou tard appelées à disparaître : pour St-Nazaire qui comptait deux usines, l’une étant revendue finira rapidement par disparaître pour concentrer toute l’activité en un site. Si ce n’est pas le cas, son sort sera le même que celui des deux sites allemands condamnés : ils finiront par être mis en concurrence avec des sociétés de pays à bas coûts et il sera alors difficile de faire face.
Pour les trois sites ou Airbus va céder une partie de l’usine à des partenaires à risque -c’est-à-dire qui ont des contrats en cours avec Airbus-, le choix est stratégique :
-Méaulte est le seul site européen où Airbus produit des pointes avant (nez, cockpit). L’usine est performante et il est impensable de laisser ce savoir-faire unique quitter le giron d’Airbus.
-Filton au Royaume-Uni est stratégique aussi : l’ingénierie de l’aile y est concentrée, la production de celle de l’A400M y est réalisée... Airbus restera majoritaire. Par contre, de nombreux sous-traitants jusqu’alors présents sur site seront externalisés et les "contractors" (prestataires de service négociant avec Airbus et travaillant à Airbus) devront se faire employer par des sociétés de conseil en ingénierie qui vendront un service à prix fixe à Airbus.
Mais on peut alors se poser la question : pourquoi demander à des partenaires d’investir dans ces sites qui demeureront et qui ont des atouts clé ? Le besoin de cash immédiat ? Sans doute... à court terme, l’actionnaire est content, à long terme, c’est un manque à gagner certain pour Airbus.
Grâce à la communication d’Airbus depuis mi-2006, la pilule de ce plan de restructuration est -EADS l’espère- plus facile à passer.
Cependant, malgré ce qui nous est livré par la presse, quand on cherche, on trouve ceci :
"L’A380 est un excellent produit, remarquablement conçu ; ses essais en vol se passent parfaitement et les pilotes l’adorent. Airbus a cependant sous-estimé les difficultés de la mise en production, de l’industrialisation. Ce n’est pas un phénomène inhabituel. La plupart des grands programmes aéronautiques ont malheureusement connu des retards, ceux de Boeing comme les nôtres. Pour l’A380, nous nous étions fixé des objectifs extrêmement ambitieux. Nous avons tenu ceux de la première phase : quatre ans et trois mois seulement entre le lancement et le premier vol. Mais, pour ce qui concerne l’industrialisation, nous rencontrons des difficultés inhérentes à un niveau de complexité jamais atteint auparavant. Ceci n’enlève rien aux qualités fondamentales de l’A380." Noël Forgeard
tiré du COMPTE RENDU N° 63, Mercredi 28 juin 2006 (Séance de 9 heures 30), Audition commune avec la Commission des finances, de l’économie générale et du Plan, de M. Noël Forgeard, président exécutif d’EADS.
http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/cr-cpro/05-06/c0506063.pdf
Alors est-ce raisonnable de pointer l’A380 du doigt comme cela a été fait ? Ce retard n’est-il pas une excuse pour remanier l’entreprise en espérant que les foules ne se soulèveront pas ?
D’une certaine manière, Airbus peut, en proposant le plan "Power 8", se vanter de réussir son investissement pour l’avenir : d’ici 10 à 20 ans, la compagnie deviendra un assembleur comme les compagnies automobile le sont aujourd’hui, la production bénéficiera de la mondialisation et les actionnaires seront contents. Ici, investissement ne se concilie malheureusement pas comme on devrait l’entendre.
Airbus n’est pas la seule société française (en partie française...) à faire cela, Renault délocalise à tour de bras, PSA a construit une usine à Trnava en Slovaquie et à Wuhan en Chine,... Resteront en France les sièges sociaux, les bureaux d’études et pour certains secteurs comme l’aéronautique : l’assemblage final (quoique...).
DES SOLUTIONS ?
Et maintenant, on revient sur nos chers fonds de pension histoire de boucler la boucle. Ils ont eu ce qu’ils cherchaient : Airbus aura payer une partie des retraites des français via les cotisations sociales (jusque la, tout va bien) mais surtout, ils auront aussi contribuer aux retraites des américains via les fonds de pension.
Alors, plus généralement, est-il normal que les sociétés françaises et donc les travailleurs français (entres autres, mais la France attire les capitaux étrangers -3eme rang mondial- et donc donne des rentes à ces actionnaires venus d’ailleurs) doivent participer au financement des retraites nationales et aux retraites des adhérents des fonds de pension américains ?
Y a-t-il des solutions à ce genre de crise ? Oui, mais la solution radicale est difficile à atteindre : il faudrait que les parts des Etats, des collectivités territoriales et des salariés soient suffisamment importantes pour que la part des spéculateurs (les "investisseurs institutionnels") deviennent négligeables.
Ainsi, les spéculateurs n’auraient plus le pouvoir de pression qu’ils détiennent aujourd’hui.
Utopie ? L’avenir nous le dira...
Note :
Pour EADS qui détient Airbus, la répartition est la suivante sur les 19161 millions d’euros de capitalisation :
-33.4% (! !!) pour les investisseurs institutionnels (caisse de retraite, compagnie d’assurance, mutuelles, banques)
-22.5% France : Etat (15% via la holding Sogeade) et Lagardère (7.5%).
-22.5% Allemagne : Etat (7.5% via la banque publique KfW) et DaimlerChrysler (15%).
-5.5% Espagne via la holding Sepi (volonte de passer à 10%)
-les collectivités locales (cinq Landers allemands possèdent 2% et les régions françaises envisagent de rentrer dans le capital)
-Caisse des Dépôts et Consignations : 2.25 %
-Autocontrôle : 1.80 %
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