Alésia, les étonnants silences du ministre
Je suis effaré ! mais vraiment effaré ! Après le débat bidon de la chaîne Public sénat où l’orateur partisan du site jurassien l’a manifestement emporté http://www.publicsenat.fr/, voici qu’une enquête de TF1 écrase encore un peu plus la thèse officielle http://videos.tf1.fr/jt-20h/l-enquete-du-20h-la-nouvelle-bataille-d-alesia-6128815.html.
Auteure remarquée et devenue célèbre grâce à son ouvrage « l’imposture d’Alésia », madame Danielle Porte triomphe tandis que l’hiver me perclut dans ma masure encombrée de livres invendus.
É
Étonnante polémique où le député Sauvadet, président du muséoparc d’Alise-Sainte-Reine, ne peut que se réjouir, la mine épanouie, de la publicité que la dite polémique apporte à son entreprise ; véritable duc de Bourgogne évoluant dans la foule comme un chef d’Etat (voir lien précité).
Si elle est partie d’ailleurs, d’où ?
Dion Cassius, Histoire romaine, Livre 40, 38
"César voulut marcher sur-le-champ contre les Éduens ; mais, arrêté par la Loire, il se dirigea du côté des Lingons".
Plutarque, Vie de César, Chapitre 26/6
"César fut donc obligé de décamper promptement, et de traverser le pays des Lingons, pour entrer dans celui des Séquanes, amis des Romains, et plus voisins de l’Italie que le reste de la Gaule."
Pourquoi ces auteurs mentiraient-ils ? Qu’est ce que cela changerait pour eux que César se dirige chez les Sénons, les Lingons, les Séquanes ou chez les Japonais ? Plutarque et Dion Cassius avaient peut-être des défauts mais consultaient de nombreux ouvrages pour rédiger les leurs : Les Traditions, les Fastes Consulaires, les "chroniques anciennes" (livres lintéens) de Rome, Les Grandes Annales des Pontifes ( César était LE Grand Pontife), les Actes du Peuple et du Sénat... bref de l’officiel.
Encore une fois, quel intérêt auraient eu ces écrivains à truffer leurs livres d’inexactitudes ?
Il me parait exagéré d’écarter tout apport autre que César, sous prétexte que leurs dires ne collent pas parfaitement à la vision que nous nous en faisons. Ces auteurs étaient perçus comme des références à leur époque, les Historiens se sont toujours appuyés sur leurs travaux. Pourquoi seraient-ils crédibles pour leurs autres œuvres et pas quand ils parlent d’Alésia. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
MOI : Très bien ! Votre raisonnement est impeccable.
Nous arrivons au noeud du problème et vous le posez très bien. On ne peut pas faire fi des écrits des autres auteurs qui ont parlé d’Alésia, surtout quand on se rappelle que ce sont ces écrits qui ont suscité le doute sur le site d’Alise-Sainte-Reine et donné leurs principaux arguments à la thèse franc-comtoise.
Éliminons tout de suite les auteurs et les passages litigieux qui évoquent une Alésia/métropole de la Celtique (Diodore de Sicile) qui aurait, pour la première fois, réalisé l’étamage des métaux (Pline). Il s’agit d’une autre Alésia (terme générique). Je ne suis pas le seul à l’avoir dit.
Il ne nous reste que deux auteurs qui soulèvent le problème de la localisation : Plutarque et Dion Cassius...
Dion Cassius écrit qu’arrêté par la Loire, César se dirigea du côté des Lingons. Jusque-là, je ne suis pas en difficulté. Si Dion Cassius ne reprend pas le "in Sequanos" (VII, 66) de César, c’est qu’écrivant après ces événements, il sait que l’affaire s’est terminée en pays lingon (dont les Mandubiens étaient les vassaux).
Il écrit ensuite : Avant cet événement, Vercingétorix, à qui César ne paraissait plus redoutable à cause de ses revers, se mit en campagne contre les Allobroges.
J’explique cette phrase - probablement bien mal traduite - comme étant un résumé du chapitre 64 du livre VII du De Bello Gallico. A juste raison, Dion Cassius passe rapidement sur le plan de Vercingétorix qui concerne un événement antérieur, ce qui nuirait au fil de son récit s’il en faisait état.
Il écrit ensuite : Vercingétorix surprit dans le pays des Séquanais le général romain qui allait leur porter du secours, et l’enveloppa ; mais il ne lui fit aucun mal.
Dion Cassius ajoute un plus au texte de César. Il dit que César s’est mis en marche pour aller au secours des Allobroges, ce qui signifie qu’il lui fallait prendre le chemin le plus court. Jusque-là, tout va bien.
Là où je suis en difficulté, c’est lorsque Dion Cassius écrit que Vercingétorix surprit César dans le pays des Séquanais. N’ergotons pas ! La suite de la phrase indique bien qu’il s’agit de la fameuse bataille de cavalerie que César a relatée. Dion Cassius suit toujours le récit de César mais lui ajoute un plus apparemment contradictoire puisque le pays séquane est traditionnellement localisé beaucoup plus loin.
Vu que j’ai étudié dans le moindre détail le texte césarien, vu que j’ai localisé d’une façon précise, et avec de solides arguments, la bataille de cavalerie à Noyers-sur-Serein, je ne peux qu’en conclure que Noyers-sur-Serein était séquanaise. Cela peut surprendre, et pourtant. Si on remonte dans le temps, les textes évoquent bien l’ancienne suprématie séquane ainsi que l’importance de l’étain que les Gaulois allaient chercher en Grande Bretagne. Où passait la voie de l’étain des Séquanes sinon par une voie - la voie sequanas - qui a donné son nom à la Seine, et avant la Seine, par la vallée de l’Armançon si riche en vestiges archéologiques, et avant par Noyers, et avant au pied d’Alise-Sainte-Reine, et avant par ou vers Dijon, et avant depuis Besançon. Pourquoi Noyers-sur-Serein n’aurait-elle pas été une ancienne colonie séquane ? Pourquoi les habitants n’auraient-ils pas continué à s’appeler "Séquanais" alors que la récente puissance lingonne était encore bien fragile sur ses frontières ? Les habitants de l’Ile-de-France, eux aussi, se donnaient le nom de "Séquanais".
Quand Plutarque écrit que César fut obligé de décamper de chez eux, et de traverser le pays des Lingons, pour entrer dans celui des Séquanais, amis des Romains, et plus voisins de l’Italie que le reste de la Gaule (site de Ph. Remacle), mon interprétation est la même.
En revanche, lorsque Strabon écrit que la bataille a eu lieu à Alésia, cité des Mandubiens, peuple limitrophe des Arvernes (Géographie, IV, 2, 3), je ne peux qu’en déduire que la puissance arverne touchait alors aux frontières du pays lingon et des Mandubiens, leurs vassaux, avant d’être supplantée par la puissance éduenne ; et non aux frontières séquanes.
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