Antennes-relais à Nogent sur Marne : un cas d’école
Bouygues Telecom a installé des antennes-relais sur le toit d’un bâtiment situé au coeur d’un groupe scolaire de 2500 élèves, au pied d’un gymnase et à vingt mètres d’une école-maternelle, contre l’avis des riverains et des parents, sans répondre au préfet du Val-de-Marne qui lui demandait de prolongerer la concertation. Ce passage à l’acte montre l’inutilité de la charte de bonne conduite du maire, dont ce dernier était pourtant si fier. Fier, mais pas au point de la défendre avec suffisamment de vigueur. Nogent-sur-Marne fait la démonstration de l’inutilité des chartes locales, et de la nécessité d’une réglementation plus sévère.
Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), qui vient à peine d’en finir avec un lourd et controversé dossier de
contamination par radioactivité d’un terrain scolaire (ex-école maternelle
Marie Curie), s’enlise donc dans une affaire emblématique de l’incapacité des
acteurs publics à s’entendre sur des sujets importants.
En France, la réglementation sur l’installation des antennes-relais est quasi inexistante. Dans ce vide juridique, les trois opérateurs se sont engouffrés, poussés par un marché à très forte croissance, et ont planté des antennes partout où cela leur était possible, parfois près d’écoles, d’hôpitaux, de lieux publics très fortement fréquentés, et même à quelques mètres d’habitations.
L’absence de règle du jeu fixée par l’Etat a laissé place à des règles du jeu fixées par... les opérateurs eux-mêmes, et par les opérateurs et les collectivités locales : les fameuses chartes de bonne conduite, dont Nogent fut dotée dès 2002 sous l’impulsion de son maire Jacques J.-P. Martin (UMP). On appelle ça également l’autorégulation. C’est un document, signé par les entreprises et la mairie, qui fait loi localement.
L’adoption de ces chartes, négociées ville par ville, département par département, par les opérateurs, a créé ce que les associations ont appelé une inégalité devant les antennes. Ainsi, selon l’endroit où vous habitez, vous ou vos enfants pouvez recevoir une quantité de champs électro-magnétiques dix fois supérieure selon qu’une charte a été signée ou non. Une école peut être protégée ici mais une autre peut être surplombée de seize antennes là. C’est simplement fonction du bon vouloir du maire, du Conseil général et surtout des opérateurs.
A Nogent-sur-Marne, la charte de bonne conduite contient un article qui contraint les opérateurs à "accepter les discussions sur une installation existante ou future [...] en vue de définir un compromis acceptable par tous (opérateurs, ville, riverains), visant par exemple à réorienter ou à intégrer les antennes dans le paysage, à modifier voire à déplacer l’installation, à étudier l’implantation dans un autre site...". Un très bon article.
C’est précisément sur la base de cet article que depuis plus de deux ans, l’Association du coteau de Nogent-sur-Marne (ACN), agréée pour l’environnement par la préfecture, et la FCPE Val-de-Beauté, soutenues par les associations PRIARTEM et la coordination Priartem 94, s’opposent au projet de Bouygues Telecom.
Plus de cinq fois déjà, l’opérateur a tenté de passer en force mais s’est heurté à la détermination des riverains de l’ACN et des parents d’élèves. Jamais l’article 5 de la charte n’a été respecté. Jamais, par exemple, l’opérateur n’a envisagé d’étudier l’implantation des antennes sur un autre site. Jamais il n’a d’ailleurs apporté la preuve de la nécessité de ces antennes pour lui, tant sur le plan économique que sur le plan technique.
L’établissement d’une sorte de vrai-faux dialogue de sourds ponctué de coups de force a été sa seule démarche. Lorsque les textes parlent de concertation, l’opérateur organise une exposition sur les antennes et la téléphonie mobile à la mairie pour expliquer qu’il n’y a aucun risque. Lorsqu’une réunion est organisée par la préfecture, l’opérateur y agite de sombres menaces de poursuites judiciaires sur la tête de ceux qui auraient la mauvaise idée de continuer à contrarier ses projets. Si l’opérateur s’engage devant les représentants du préfet, de la mairie et des riverains à ne rien installer pendant les congés scolaires d’été en 2005, c’est pour mieux prendre tout le monde de court et installer du matériel sur le toit de l’immeuble en prétextant la sécurisation de la terrasse.
Autre exemple : alors que les vacances de la Toussaint 2005 approchent, Bouygues Telecom sort un communiqué de presse où il annonce l’installation prochaine des antennes à Nogent-sur-Marne "en toute transparence". Le communiqué présente son projet comme étant "le fruit d’une concertation avec les autorités administratives territoriales compétentes et les associations de riverains". Mauvaise foi absolue : les associations sont opposées à ce projet depuis l’origine, elles n’ont pas été consultées en amont, elles ont toujours manifesté leur opposition avec force et clarté. Qu’importe ! Transparence, concertation : des mots, des mots, encore des mots...
Le maire de Nogent, en quelque sorte garant de la bonne application de la charte de bonne conduite, s’est révélé incapable de la faire respecter. D’hésitations en tergiversations, il n’a jamais vraiment pris position contre ces antennes, laissant s’installer le doute, et maintenant la colère parmi les Nogentais.
En juillet dernier, l’ACN a reçu un courrier du maire disant en substance que rien ne s’opposait à l’installation des antennes. Quelques jours plus tard, sous la pression des caméras de France 3 alertées par les associations après que Bouygues Telecom eut annoncé l’imminence de l’installation, le maire annule l’autorisation de travaux qu’il avait délivrée deux ans plus tôt. Magie de la télévision.
Ni la proposition tardive par le préfet du Val-de-Marne d’organiser une nouvelle réunion, ni l’intervention de la députée de circonscription, madame Marie-Anne Montchamp, n’auront finalement conduit l’opérateur à respecter ses engagements.
Lundi 2 octobre, il a installé ses antennes.
Alors, y a-t-il quelque chose de pourri dans le système français ? Prenons par exemple l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET), cette agence chargée de réaliser des expertises scientifiques indépendantes et qui a publié deux rapports rassurants sur les risques liés à la téléphonie mobile : certains experts indépendants (4 sur 10) avaient tout simplement des liens directs ou indirects avec les opérateurs. Si l’on en croit un reportage du journal télévisé de France 2, le président du groupe de travail était même directement rémunéré par un opérateur.
Rassurant, n’est-ce pas ?
Pour les associations, il est clair que le système de l’autorégulation n’est pas adapté à la situation. L’expérience de terrain le montre : face à un acteur économique puissant, un morceau de papier signé avec un maire d’une petite ville ne pèse rien. Les associations locales, avec des moyens limités, passent leur temps à se battre contre des géants industriels. Un combat inégal.
A l’heure où l’amiante revient à la une de l’actualité, il est grand temps que les responsables politiques prennent leurs responsabilités et préviennent un possible scandale sanitaire supplémentaire en fixant des règles claires contraignant les opérateurs. Une loi pour la réglementation des antennes-relais est indispensable. Une proposition de loi existe, déposée en juillet 2005 par huit députés de tous bords. Elle n’a jamais été mise à l’agenda de l’Assemblée nationale.
Pendant ce temps, les Nogentais n’ont pas dit leur dernier mot, et comptent bien se faire entendre, et contraindre l’opérateur à retirer ces antennes. Ils ont commencé par aller siffler sous les fenêtres du maire, en lui chantant : "Frère Jacques", dans l’espoir que cela lui débouche un peu les oreilles. Aujourd’hui, alors que Bouygues Télécom continue ses installations avec une arrogance que même le maire souligne, ils préparent la suite.
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