Apocalypse certes, mais le mystère de la Guerre de 39-45 persiste
La série Apocalypse a bien mérité cette audience des spectateurs. On aura apprécié la sobriété des commentaires et des séquences. Aucune insistance sur tel fait privilégié par rapport à un autre. Certes, des choix ont été nécessaires, afin de trier le plus significatif et livrer un récit aussi passionnant que sa prétention a été modeste. Nulle tentative d’expliquer l’Histoire, de juger, de caser quelques théories plus ou moins crédibles sur les causes de ces événements dramatiques. Cette série livrée en six épisodes a montré des images crues de ce que fut la seconde guerre mondiale, avec à la clé, quelques clichés montrant les positions des belligérants. On y a vu se dessiner les avancées des deux puissances démoniaques qu’ont été l’Allemagne et le Japon, puis le repli progressif dû à la contre offensive des armées alliées. Et cette inquiétante question que tous les stratèges se sont posés à maintes occasions. Sommes-nous dans les temps. Car c’est bien une course dans le temps qui s’est jouée, non seulement sur le terrain du conflit, avec des batailles permettant d’occuper des positions, mais aussi sur les bases arrière, dans les usines d’armement.
La guerre de 39-45 est sans doute la première qui s’est jouée autant sur la mise en œuvre de moyens militaires, armes façonnées industriellement, renseignements, communications, que sur l’intervention des hommes. Certes, par le passé, les techniques ont joué des rôles importants. On connaît la configuration des phalanges ayant permis la victoire des troupes d’Alexandre sur des Perses pourtant en surnombre. Dans d’autres batailles, ce sont les fusils qui ont permis un avantage décisif ou bien d’autres outils guerriers. La légion romaine a supplanté la phalange macédonienne. A l’époque moderne, la stratégie a joué un rôle et la guerre est devenue le théâtre où l’intelligence des chefs a joué autant que la qualité des hommes de troupe et l’efficace des armes. Ainsi, l’amiral Nelson a vaincu à Trafalgar contre une flotte franco-espagnole en surnombre. Mais Napoléon a su montrer ses talents de stratège sur la terre ferme, à Austerlitz, bataille devenue un sujet de prédilection pour les écoles militaires. Auparavant, la bataille de Valmy a laissé son cortège de questions. Les Français ont vaincu grâce aux canons et aux prouesses de l’artillerie, en étant quatre fois moins nombreux que les Austro-Prussiens. Mais des interrogations subsistent sur d’éventuelles trahisons, sur des contingences d’ordre sanitaire ou climatique, bref, des tas de facteurs non militaires pouvant s’additionner et fournir un avantage à un camp. Ce constat a pu être vérifié avec les images des troupes allemandes enlisées dans la boue des larges territoires russes et ukrainiens tandis qu’à d’autres moments, l’artillerie a eu son rôle sous la forme des orgues de Staline sans doute préfigurés par les canons de Valmy.
Tous les gouvernants ont saisi l’importance de l’armement et de la puissance industrielle devant être poussée au régime maximum et même, délocalisée pour être protégée de l’ennemi. Lorsqu’on se rappelle ces images des orgues de Staline, des chars allemands, soviétiques et américains, des avions de guerre bombardant Dresde ou alors la flotte japonaise, des cuirassés produits par centaines, on ne peut qu’être saisi d’un étonnement et penser à une guerre totale dans la mesure où non seulement les militaires mais aussi les travailleurs ont participé au conflit en produisant industriellement à une vitesse incroyable des navires, des avions, des bombes, des chars, des véhicules de transport de troupe. Cette guerre de 39 a été bien singulière et surtout, le signe d’une mobilisation sans précédent des hommes et de l’industrie. Et pour finir, l’arme fatale, la bombe qui dévasta deux villes japonaises et permit d’en finir avec ce conflit planétaire.
Si la technique militaire est dévoilement au sens heideggérien, alors la guerre de 39-45 a mis à jour la montée en puissance de deux nationalismes gagnés par la mobilisation, la volonté de domination et la mobilisation au sein même de la nation entière. De notre position d’Européen pacifié, bourgeois, soucieux d’expression, de liberté et de bien vivre consumériste, les images de cette guerre, avec ces regards déterminés des soldats, qu’ils soient allemands, anglais, russes, japonais ou américains, interrogent. Et l’on se demande pourquoi l’Allemagne a pu trouver toutes ces forces pour manier les armes et livrer bataille sur tous les champs, France, Afrique, Russie, Europe du Nord et de l’Est, Russie, avec des victoires écrasantes. La puissance de feu fut aussi la puissance des hommes prêts à se sacrifier après avoir pratiqué une discipline contraignante, pour l’idéal d’une nation. Les offensives japonaises et nazies ont conduit les nations alliées à se mobiliser et de doter d’une puissance de feu de même nature, alliée à des hommes déterminés au combat. Jünger est l’un de ceux qui a su éclairer au mieux ce qui s’est produit à cette époque. Une Figure, celle du travailleur, Figure métaphysique de puissance, a germé pour épouser la technique, avec comme prolongement l’avènement du soldat devenu un technicien de l’attaque grâce à des instruments de guerre de plus en plus précis, puissants et mobiles. Jünger est certainement celui qui a le mieux saisi les ressorts de cette guerre, alliant la technique, la puissance, la Figure du travailleur, la domination totale, des âmes et des territoires, la concentration dans les stades et l’Etat comme structure aussi bien « générée par » que « génitrice de » la puissance, avec le sens du sacrifice et le refus des valeurs bourgeoises (lire notamment § 74-79 in Le Travailleur, Bourgois) La guerre de 39-45 fut un conflit entre des hybrides composés de types d’homme et de machines à détruire les cibles. Une guerre globale et totale, planétaire, jouée sur des périmètres déterminés, arraisonnés, et produite dans des usines. Peut-être fut-elle nécessaire pour révéler la nature de l’homme et ce dont il est capable dès lors qu’il peut agir avec des instruments de mort. Cette guerre n’a pas été inutile et devrait rester une source d’enseignement pour servir de leçon et éviter un recommencement. Car si une prochaine se déclenche avec la même détermination, elle risque d’être fatale au genre humain.
Comme conclusion très modeste et partielle, on retiendra que l’avènement des foyers de puissance germanique et nippon a engendré une réaction conduisant à la genèse des hyper puissances américaine et soviétique, avec un Etat fort et un complexe militaro-industriel. La France et la Grande-Bretagne ont suivi comme grandes puissances militaires. Cette configuration est encore présente, sauf que l’URSS est réduite à la Russie figurant maintenant comme grande puissance, et que la Chine s’est développée et armée. Quant à Israël, cet Etat est aussi l’enfant de la guerre de 39-45, un Etat militairement hypertrophié, qui s’est développé sur un germe ancien, avec les événements de Palestine pendant le mandat britannique et le côté facilitant du sionisme que certains comparent au (…) Tout cet ensemble géopolitique semble obéir à l’idée d’une mise en œuvre de puissances dites occultes pour reprendre un propos de Jünger et de la mobilisation de la Figure métaphysique d’un type d’homme dont on ne sait quelles apparences il a pris actuellement. Vastes réflexions sur le mystère né d’un précédent mystère. L’intuition incline à sonder la guerre de 39 pour prévenir les drames d’après 2009.
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