Atom Heart Fucker (saison 13) : le réacteur à ciel ouvert de Fukushima
Le nucléaire, c'est la désinformation obligatoire : comment voulez-vous rassurer les gens en leur affirmant que vous saurez vous occuper de choses pendant 24 000 ans ? A moins d'être immortel, c'est bel et bien leurrer les personnes. A Fukushima, dès le début du problème, on en a eu une preuve éclatante qui ne fait que perdurer depuis. La firme Tepco, qui n'avait même pas reconduit l'assurance de sa centrale au motif que ça lui coûtait très cher (*) a menti sur toute la ligne et continue de mentir tous les jours sur ces installations foireuses. Car malgré ses efforts incommensurables pour minimiser la catastrophe en contrôlant les images qui y font référence, la firme privée japonaise n'a pas réussi à tout nous cacher. Certaines images reçues il y a quelques jours montrent des faits alarmants : l'enceinte dite de confinement du réacteur N°4 a quasiment disparu, et, chose étrange, les images rapportées par un petit drone démontrent que Tepco n'a pas construit ses réacteurs selon les plans remis à la communauté internationale lors de leur édification... construite au rabais, Fukushima présentait avant même toute idée de tsunami des risques évidents pour la sécurité.
C'est le site Cryptome, devenu indispensable, qui révèle les clichés affligeants. Tout d'abord, il convient de revenir sur le schéma général des quatre réacteurs du site. Ces gigantesques bouilloires à fabriquer de la vapeur sont en effet d'un type bien classique, qu'un schéma simple permet d'expliquer facilement. Fukushima, c'est un autre Oyster Creek comme système, de type BWR, une centrale dite à eau bouillante construite par General Electric en 1965 (depuis devenue Exelon Corporation), et aujourd'hui la plus ancienne (et la plus dangereuse) des centrales US. Située à seulement 50 miles à l'est de Philadelphie et à 75 miles au sud de New-York, on comprend vite qu'il ne faudrait pas qu'un problème lui arrive en effet.
L'autorisation d'utilisation d'un pareil engin rétrograde a été signée pour 40 ans, mais pire encore, elle a été prolongée en 2009... La centrale a été construite comme celle du Japon, donc, avec son cœur en forme de bouteille d'Orangina assez caractéristique en premier. Autour de la bouteille, à sa base, la circulation de l'eau et sa condensation dans un énorme anneau circulaire : c'est le circuit primaire, radioactif donc. Extérieurement, c'est aussi la même chose : un bâtiment cubique à structure lègère enrobe le cœur et une grande cheminée évacue l'excès de vapeur non radio-active du circuit secondaire.
En haut de la structure, un pont-levis sert à stocker les barres d'uranium usagées et à les déposer dans une piscine le temps qu'elles refroidissent. A Fukushima, on a fait de même pendant des années... pour "sortir" des barres ou en remettre de neuves, on utilise le "fuel transfert arrangement" (voir le dossier GE en bas d'article), qui permet d'accèder au cœur en minimisant les radiations. Pour contrôler la réaction, on insère par le bas d'autres "barres". "Le type BWR est unique dans le sens que les barres de contrôle,utilisées pour contrôler le réacteur et lui maintenir une distribution uniforme de la puissance sont insérées par le bas grâce la haute pression hydraulique du système", nous dit sa fiche technique. Ce qu'un autre schéma confirme (les barres sont en 21, 22 et 24).
Chez General Electric, dans leur manuel de centrale, il était évoqué la construction autour de l'enceinte primaire d'un deuxième coffre résistant en béton et un "bouclier" comme toit, mais c'était réservé au "Model Mark III"... visiblement, chez Tepco, on n'avait pas choisi cette option de sécurité supplémentaire... aujourd'hui, dans le réacteur 4, le pont levis vert repéré plus haut ressemble à ça... et sur les autres bâtiments, les murs de béton sous la structure légère supérieure n'ont pas résisté. Tepco aurait-il joué à prendre des risques avec cette absence d'enveloppe de béton comme c'est pourtant courant ailleurs ? Si l'on regarde les deux coupes, on constate que l'enceint de béton censée recouvrir la "bouteille d'Orangina" n'existe pas à Fukushima : elle ne recouvre pas le haut de l'enceinte de confinement en acier, chose peinte en jaune là-bas. Or ça, c'est justement le modèle Mark III qui le voulait ; celui surmonté d'une chape de béton ceinturant tout l'ouvrage ! Les ingénieurs de Fukushima ont minimisé les protections, et c'est bien visible aujourd'hui !!!
L'état des lieux a été fait dès la catastrophe annoncée : là encore, deux petits schémas nous éclairent sur l'ensemble de l'état de la centrale et de ses 6 réacteurs. Les 6 "bouteilles d'Orangina" n'ont pas connu les mêmes dégâts : les 5 et 6, qui étaient à l'arrêt au moment du tsunami sont intactes : ce sont bien les seuls... les deux pires situations étant la N°4, qui venait juste de recevoir sa charge nouvelle de combustible, et surtout la N°3, objet de toutes les inquiétudes depuis le 14 mars, jour d'une mémorable explosion dans le bâtiment. Pour essayer de comprendre l'état actuel des choses, je vous ai concocté deux schémas. Le premier est celui du réacteur N°4.
L'analyse des photos de Cryptome et celles vues depuis la catastrophe confirment plusieurs choses évidentes : effectivement, il n'y a aucune enceinte de béton autour de la centrale, qui a choisi donc dès le départ celui de la moindre sécurité. Mais pire encore, à décrypter les clichés, on découvre que dans ce fameux réacteur N°4, dont le sommet de l'édifice a lui aussi été dévasté par une explosion, le sommet de "la bouteille d'Orangina" (jaune !) dépasse clairement des débris.
Sur les photos de Cryptome, on distingue très nettement le sommet de la cuve du réacteur qui dépasse de l'amas de poutrelles. La seule question qui survient tout de suite, à la vue de ces images est "mais où est donc passé le plafond de béton, censé arriver au ras du sommet de l'enceint de confinement ? Car pour le voir au travers des poutrelles effondrées, il faut bien que ce béton se soit... volatilisé. Sur une autre vue du réacteur N°1, il existe encore, quoi qu'en fort piteux état. Tepco aurait-il pris quelques libertés avec les plans initiaux, qui décrivent au dessus de la cuve un "couvercle de béton renforcé" ? Et des structures de béton épais pour maintenir en hauteur la piscine de barres à décharger ? Cette cuve de réacteur en acier n'était-elle pas censée baigner dans le béton jusqu'à son sommet sur les plans d'origine ? Pourquoi donc dépasse-t-elle ainsi de l'étage qui ne dispose que de poutrelles comme murs ? Cela ne correspond pas aux plans initiaux fournis lors de la mise en place de ce genre de réacteur ! Il manque clairement un étage de béton ! C'est visible sur la photo fournie avec le schéma : on y distingue trois rangées de croisillons, les poutrelles métalliques des deux étages prévus initialement, et le noyau jaune qui atteint le sommet du "4eme étage" du bâtiment. Etrange sensation d'un plan d'origine réinterprété à la sauce... économique.
Etrange découverte, mais il y a bien plus inquiétant. Ces bâtiments au carré au sommet si fragile m'ont assez vite intrigués à vrai dire. Et encore davantage la force de l'explosion qui a détruit le bâtiment N°3 cette fois. Celle du 12 mars ayant touché le réacteur N°1 avait déjà impressionné, mais l'explosion du 14 avait été bien plus forte... et bien plus dévastatrice. Vu de côté, le bâtiment avait déjà perdu plusieurs façades, une seule restant debout comme l'embase extérieure du WTC. L'explosion avait même soufflé les étages supérieurs du réacteur voisin. Aujourd'hui, es trois derniers "étages" du réacteur N°3 ont tout simplement disparu. Or, si l'on compare aux photos du N°4, on aurait dû logiquement voir apparaître la fameuse "bouteille d'Orangina jaune", intacte, puisque soi-disant résistante à ce genre d'explosion "extérieure". Or on a beau chercher d'autres clichés possible, nulle trace visible sur le réacteur N°3 de l'enceinte de confinement de son réacteur... l'explosion dantesque du 14 mars avait emporté quoi exactement, alors ? Ce n'est que le 25 du mois que l'on évoquera de plus sérieux dommages : or si l'on compare les photos et si l'on tient compte de l'élévation finale de ce qui reste du bâtiment, on constate que tout le haut, sur les trois derniers étages à disparu... y compris le sommet du réacteur ! Et y compris aussi... la piscine ou étaient censés reposer les 88 tonnes de Mox ! C'est indéniable : cette piscine n'existe plus, purement et simplement ! Qu'a-t-on alors photographié au sommet du bras articulé du camion de pompiers, décrit comme étant les images du " Mox au fond de la piscine du réacteur n°3" ? Qui cherche-t-on à tromper là ? L'explosion du 14 mars peut difficilement passer aujourd'hui pour une simple accumulation d'hydrogène, et le noyau du réacteur 3 est bien en phase de fabriquer son corium... A Tchernobyl on avait réussi à photographier après coup (et avec quels risques, bravo les robots !) cette lave atomique... Lors de l'accident de Three Misle Iland, qui aurait pu devenir le premier Tchernobyl avant la lettre, le cœur avait fondu, lui aussi.. et avait été laissé tel quel, à plus jamais inapprochable et inutilisable. On avait de peu échappé au fameux syndrome chinois, qui est toujours à hanter Fukishima, si on y regarde bien !
Lors de l'arrivée des événements, pris par le travail et le temps, j'avais rapidement posté sur un article qui disait qu'en gros n'y avait aucun danger à Fukushima (**) que l'on s'acheminait plutôt vers le cas deTcheliabinsk, survenu sur le centre nucléaire de Maïak, il y a plus de cinquante ans aujourd'hui. Cela demeure la bonne intuition : "le 27 septembre 1957, une cuve de déchets encore actifs, montés en température sans contrôle, avait fait sauter son couvercle de béton de 2,5m d’épaisseur et l’avait projeté à 25 m de là". Une catastrophe qui avait vu les soviétiques prendre des décisions que n'ont toujours pas pris les japonais : "Les Soviétiques ont décidé d’évacuer une zone de 1 000 kilomètres carrés où vivaient dix mille habitants et où régnait une activité égale ou supérieure à 2 Ci/km2 de 90Sr au sol (74 000 Bq/m2). La région a été interdite et désertifiée : habitants évacués sans le moindre bagage, villages rasés, bétail abattu et enterré sur place. Au total, pour les deux zones de Tcheliabinsk et Ekaterinbourg, la culture a été interdite sur plus de 100 000 hectares et n’a repris actuellement (au moins officiellement) que pour environ la moitié des terres cultivables réhabilitées. Dans la population, on estime à deux cent cinquante mille le nombre des personnes qui ont été exposées à une dose anormalement élevée, non seulement à cause de l’accident de 1957 mais du simple fait du fonctionnement « normal » du complexe de Maïak à proximité duquel elles vivaient." Aujourd'hui seulement, le gouvernement japonais vient de décider de s'occuper des dizaines de milliers d'animaux abandonnés laissés sur place lors du départ des populations : certains errent au travers des routes ou des chemins comme j'avais déjà pu le dire ailleurs dans un autre article. Là où les compteurs Geiger s'affolent. Tepco a annoncé que cela prendrait des mois pour tenter de juguler l'accident : on mettra 25 ans minimum, pour sûr, au rythme avec lequel on n'a toujours pas résolu définitivement celui de Tchernobyl. Cela fait maintenant plusieurs semaines que Tepco ment : on est bien face depuis le 14 mars surtout à un accident de type Tchernobyl, justement. Comment a-t-on pu, 25 ans après, en arriver là à nouveau ? Et mentir autant à nouveau ?
(*) malgré l'incident de Tokaimura le 30 septembre 1999 ! 600 personnes avaient été irradiées ! A l'origine du problème, une histoire d'argent et une sous-qualification des employés :"pour les employés, ces procédures, c’était " devenu une routine " car cela durait depuis 4 ou 5 ans " pour aller plus vite ". Ils suivaient ainsi les recommandations d’un manuel illégal, rédigé au siège de JCO à Tokyo et signé par 6 " responsables ". L’enquête menée par la police tend à montrer que la direction de l’usine a encouragé les employés à simplifier les procédures pour gagner du temps car la compagnie faisait face à des difficultés financières depuis 5 ou 6 ans, l’oxyde d’uranium importé étant moins cher. Le nombre d’employés est passé de 180 en 1984 à 110 actuellement. Une enquête du Asahi (7/10/1999) auprès des employés révèle que des manuels d’instruction secrets et illégaux étaient utilisés depuis plus de dix ans (Yomiuri des 4 et 11/10/1999, 5/11/1999, Asahi des 4, 7 et 20/10/1999). Deux des trois employés gravement irradiés n’avaient aucune expérience de ce genre de manipulation et le troisième n’avait travaillé que quelques mois dans cette unité. Il a admis qu’il ne connaissait pas la signification du mot " criticité ". (Libération, 04/10/99).
(**) "désolé, Wesson, mais je ne partage pas du tout votre optimisme sur le sujet.".
-Le plan du réacteur décrit par GE est ici (à dézipper).
- les plans des autres réacteurs dans le monde ici.
http://econtent.unm.edu/cdm4/browse.php?CISOROOT=/nuceng
et là aussi :
http://www.flickr.com/photos/bibliodyssey/sets/72157623023520842/
- toutes les photos de Cryptome ici :
1) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp/daiichi-photos.htm
2) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp2/daiichi-photos2.htm
3) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp3/daiichi-photos3.htm
4) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp4/daiichi-photos4.htm
5) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp5/daiichi-photos5.htm
6) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp6/daiichi-photos6.htm
7) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp7/daiichi-photos7.htm
8) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp8/daiichi-photos8.htm
9) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp9/daiichi-photos9.htm
10) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp10/daiichi-photos10.htm
11) http://cryptome.org/eyeball/daiichi-npp11/daiichi-photos11.htm
-C'est le moment de réécouter l'album "No Nukes", un des meilleurs albums "Live" jamais réalisé. Enregistré en Septembre 1979 à l’initiative de Jackson Browne et son groupe de musiciens engagés, le "Musicians United for Safe Energy", ou MUSE. On y retrouvait Doobie Brothers, Bonnie Raitt, Jackson Browne, David Crosby, Stephen Stills et Graham Nash, Bruce Springsteen etc et...le formidable Gil Scott-Heron. No Nukes aura été une très bonne prise de conscience : en 2007, on le rappellera fort justement, lors de l’anniversaire du concert, avec les mêmes artistes et de nouveaux dont Keb’Mo et Ben Harper.... pour entonner le très beau "For What It’s Worth" de Buffalo Springfield... Depuis, John Hall, présent à No Nukes a été élu au Congrès US... et fait entendre régulièrement sa voix. En chantant, toujours. Du Pete Seeger... quatre vingt dix ans passés !
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