Au bon vieux temps des châtiments corporels dans l’enseignement catholique
Avec neuf établissements scolaires – publics ou privés – et une ultime sortie de piste en classe de seconde, mon parcours éducatif a été non seulement inachevé mais surtout des plus chaotiques. La faute à un caractère rebelle, mais aussi à un rejet viscéral de l’injustice. Mon plus bref passage n’a duré que quelques semaines dans une école privée de Paris. Le plus long dans un internat catholique de province : deux ans et un peu plus d’un trimestre. C’est là que j’ai véritablement découvert les châtiments corporels en milieu scolaire...
J’avais pourtant déjà subi à plusieurs reprises, et dans divers établissements, des châtiments corporels, mais ils relevaient plus de la réaction d’humeur d’un enseignant que d’une méthode éducative : cheveux tirés sur la nuque ici, coups de règles sur les doigts là, pas de quoi ameuter les défenseurs de l’enfance en cette fin des années 50, aussi douloureuses fussent ces punitions, la palme revenant aux stations prolongées à genoux sur une règle carrée métallique, un autre supplice régulièrement pratiqué en ce temps-là pour mater ceux que l’on appelait « les fortes têtes ». Un statut rapidement acquis à cette époque après quelques incartades qui feraient aujourd’hui bien pâle figure comparées aux débordements que connaissent régulièrement collèges et lycées.
Changement de décor à l’Institution Saint-Charles. Derrière les hauts murs de cet établissement aux allures de pénitencier, le châtiment corporel était un élément non seulement important mais essentiel du système éducatif. À l’aube des sixties et au cœur de la France profonde, c’est un modèle britannique qui était en vigueur dans cette école dirigée d’une main de fer par des prêtres ensoutanés. Tous les professeurs n’étaient pas des prêtres – il y avait même une enseignante de mathématiques qui me vaudra mon exclusion définitive* –, mais tous étaient, comme les élèves, soumis à un strict règlement intérieur. Un règlement qui leur offrait, en cas de manquement à la discipline, la possibilité soit d’infliger une colle (retenue), soit de se décharger de la punition en envoyant les récalcitrants, les fauteurs de troubles et même les simples retardataires vers le… préfet de discipline, munis d’un papier sur lequel l’enseignant avait consigné la nature de la faute commise.
Cigarette, whiskey et petites fessées
Singulier bonhomme, ce préfet de discipline. Situé physiquement à mi-chemin entre Valéry Giscard d’Estaing et le croque-mort de Lucky Luke, cet abbé en soutane au long corps dégingandé était sec comme un coup de trique, sans doute par mimétisme avec ce qui faisait l’essentiel de sa fonction : cingler de coups de baguette les fesses ou les cuisses des impudents qui avaient osé défier l’autorité, qu’elle émanât d’un professeur, d’un pion ou même de l’intendante, gardienne des fournitures et gestionnaire du ravitaillement. Une tâche dont l’abbé s’acquittait avec un zèle manifeste, hérité d’une éducation irlandaise séculaire.
Très courtois, au demeurant, l’abbé Fox. Avachi dans son fauteuil en cuir, il était généralement occupé, cigarette ou cigarillo aux lèvres, à lire l’un des romans interdits confisqué la veille à un pensionnaire imprudent, ou saisi lors d’une fouille impromptue des dortoirs. La première fois que j’avais eu affaire à lui, Mister Fox était plongé dans le sulfureux J’irai cracher sur vos tombes de Boris Vian alias Vernon Sullivan. Sans doute pour mieux en apprécier l’ignominie. Comble de malchance pour moi, l’abbé accompagnait sa lecture d’un verre de ce whiskey irlandais dont il raffolait et dont une bouteille trônait toujours à portée de main sur son bureau. Or, Mr Fox détestait être interrompu dans sa lecture, et plus encore dans la dégustation concomitante de son whiskey et de son cigare, ce qui valait ipso facto un doublement de la punition du trublion. Interrompu dans son édifiante lecture, le préfet n’en perdait pas pour autant sa courtoisie, et c’est d’un ton très aimable qu’après avoir lu le papier de l’enseignant, il faisait pivoter son fauteuil puis, avec un fort accent irlandais, demandait à l’élève puni de venir se placer debout devant lui, le pantalon sur les chevilles mais en gardant toutefois son slip.
L’abbé Fox tirait alors une tablette située entre le tiroir supérieur et le plateau de son bureau. Il y choisissait avec soin, parmi les cinq baguettes soigneusement alignées, celle qui lui semblait la plus appropriée au châtiment requis ou à la condition du fautif : primo-délinquant, récidiviste ou multirécidiviste. Plus la faute était bénigne, plus la baguette était grosse et limitait la douleur subie. Plus la faute était grave, plus la baguette était fine et cinglait la peau en tirant des larmes de douleur et en laissant durablement des marques rouges sur le haut des cuisses où ce bon père concentrait ses coups pour les fortes têtes, les fesses – de surcroît partiellement protégées par le slip – étant réservées aux cas les plus bénins.
Eu égard à la sévérité du règlement, peu d’élèves passaient l’année scolaire sans subir, un jour ou l’autre, le châtiment infligé par le préfet de discipline : en général trois ou cinq coups de baguette pour les fautes les plus courantes. Mais l’addition pouvait être plus salée dans les cas plus graves comme les dégradations de matériel, les bagarres ou les manquements à l’autorité d’un professeur. Mr Fox infligeait alors d’une main ferme dix ou quinze coups de baguette en passant parfois de la plus grosse à la plus fine pour varier les plaisirs et augmenter progressivement la souffrance de l’élève puni. De la pure perversion tout droit venue des collèges d’outre Manche !
Échange colle contre châtiment corporel
Il était également possible de négocier avec le préfet de discipline. Non pas un adoucissement de la peine – toute tentative de ce genre se serait traduite par une aggravation de la peine –, mais la conversion d’une colle en châtiment corporel ! Il faut savoir que les internes disposaient alors, toutes les deux semaines, d’une permission de 48 heures – du samedi matin au lundi matin – pour voir leur famille et surtout renouveler le linge de corps. Deux heures ou quatre heures de colle n’avaient qu’une incidence limitée sur la vie des pensionnaires ; il n’en allait pas de même avec la colle complète qui se traduisait par une rétention de l’élève puni durant tout le week-end entre les murs de l’Institution. D’où l’intérêt, pour les plus endurcis, de négocier une conversion de peine avec Mr Fox. Une pratique très peu répandue mais parfois rendue nécessaire par les circonstances. C’est ainsi que lors de ma deuxième année à Saint-Charles, j’avais subi, pour un motif oublié, deux colles complètes successives. Ce qui signifiait… six semaines d’affilée sans rentrer à la maison. Impossible, vu l’état de mes slips et chaussettes, malgré un lavage approximatif au savon dans le lavabo du dortoir. J’avais donc négocié avec ce brave préfet et obtenu de lui la levée de cette deuxième colle moyennant… trente coups de baguettes : quinze sur les fesses, quinze sur les cuisses ! Une négociation qui m’avait laissé plusieurs jours de suite un souvenir cuisant. Mais grâce à elle j’avais pu revenir le lundi matin avec du linge propre et quelques victuailles.
Mis à part les coups de Mr Fox, je n’ai pas subi d’autres châtiments physiques dans cette Institution. À deux exceptions près, et de la part de deux autres prêtres : une gifle méritée d’un professeur de français, et une autre, beaucoup plus violente et totalement injuste, d’un professeur d’histoire-géographie qui avait pourtant de la sympathie pour moi. Ce qui ne l’avait pas empêché de m’ouvrir partiellement la pommette au contact de sa chevalière, moyennant quoi j’avais vu rouge et jeté à terre tout le matériel qu’il avait disposé sur son pupitre. Quelques heures plus tard, fait rarissime dans l’enseignement, ce professeur me présentait ses excuses.
Curieusement, je n’ai jamais gardé de mauvais souvenir de mon passage dans cet établissement pourtant dur et austère où, l’imagination aidant, j’ai réalisé en toute impunité quelques-unes des plus belles pitreries de ma scolarité. En outre, enfermé durant de longues heures de colle avec le dictionnaire ou le théâtre classique pour seuls compagnons, j’y ai appris énormément de choses. J’ai même ramené de cette Institution une édition de 1820 des lettres de Mme de Sévigné, sauvée des rats dans un grenier parmi des centaines d’autres bouquins du 19e siècle livrés aux moisissures, tels ces ouvrages moribonds de Fontenelle ou Sainte-Beuve. Un invraisemblable gâchis ! Quant aux coups, je m’y étais fait sans trop de difficulté, et je dois sans doute à ce bon père Fox le rejet total de la violence qui me caractérise depuis cette époque. Enfin, je ne remercierai jamais assez ces professeurs ensoutanés de m’avoir délivré de la religion, d’avoir définitivement fait de moi un athée convaincu. En échange de quoi, j’affirme ici, en cette période de soupçons planétaires, n’avoir jamais constaté de fait de pédophilie ni même de comportement douteux de la part de quiconque durant les sept trimestres passés derrière les hauts murs. Mais peut-être étais-je aveugle ?
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