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Au gueuleton de Brassens

Rendre hommage à quelqu'un à la date anniversaire de sa mort, est-ce le plus pertinent ? Je préfère livrer dès maintenant mon panégyrique à la texture pamphlétaire.

Auprès de son arbre, je voudrais rester pour mieux digérer le monde qui se lézarde. Au bois de son cœur, nos vagabondes pensées s’aiguiseront contre les pitres tirailleurs. En tous sens, au tréfonds désabusé, ils s’ingénient à faire mourir les autres pour leurs ineptes idées. A cette valetaille de jusqu’aux boutistes, aux fossoyeurs d’une douce rentrée, je souhaite une cohorte de gorilles obsédés.

Le temps ne fait décidément rien à l’affaire : la technique galopant vers le confort ultime, l’humanité s’étourdissant dans un ballet moutonnier à la sauce Panurge. Une lueur, tout de même : si quelques Rois ont toujours des cons pour leur servir la soupe, des peuples ardents dégagent ces tartuffes qui monopolisent le pouvoir ; un long, un petit, un frisotté, un empâté… Une maturité populaire dont nous, qui sommes nés quelque part en France, devrions nous inspirer pour empêcher la Marine de jeter ses amarres sur nos terres.

Alors oui, divin Brassens, je trinque à ta mauvaise réputation persistante, toi qui as laissé croître tant de vers dressés comme autant de mauvaises herbes urticantes. Voyou poète à la trompette débouchée, vous arrachiez les guêtres suspectes des faussaires emplumés. En vous, vraiment, il n’y a rien à jeter : d’abord et surtout mécréant pornographe à perpétuer comme une précieuse résistance à l’aire du tant religieux. Pudibonds et censeurs de tout voile garnissez-vous ! car le Moyenâgeux a des disciples qui vous foutront jusqu’à la garde pour dégorger vos préceptes.

Multiplier les rendez-vous musicaux avec vous pour ne pas flancher face aux croquants de la finance, aux experts en concurrence déloyale, aux casseurs de vie qui se gargarisent tant et plus. Vivifiez notre esprit, Monsieur Brassens, et nos poings dans leur moche tronche en seront plus lourds, avec tout l’irrespect qu’on leur doit.

Non, je n’attendrais pas le Vingt-Deux Septembre, et encore moins le Vingt-Neuf Octobre pour passer le pont avec celui qui a mal tourné et fondre sur les papillons en fête à l’ombre du cœur de ma mie. Laissons derrière nous les sanglants vergers des rois boiteux, improvisons, comme au temps jadis, une ballade en chaleureuse compagnie. Retrouvons-nous sous le grand chêne, avant que les opportunistes ne se pressent, étreignons-nous affectivement, avant que les charognards ne le dépècent.

Toi d’abord, Jeanne ma bonté, pas très loin de ton compagnon au cœur chaud, l’Auvergnat qui me sourit, qui me comprend. Jeanne, femme d’Hector peut-être, trésor de femme sans nul doute, tu entraînes dans ton sillage ceux dont la société ne veut plus sous ses cieux imbus de performances, de résultats et de culbutes… financières : la brave Margot et le pauvre Martin, le petit joueur de flûteau et ce vieux Léon en proie au siècle d’airain. Sur ta lancée, garde aussi le doux Bonhomme et son impeccable Pénélope, celle qui eut voulu, par une subversive distraction, être surnommée « Petit Verglas » pour enivrer quelque poète éperdu. Passons le ruisseau, là où trempèrent les vénérés orteils d’Hélène, à sucer sans retenue, où se reflétèrent les silhouettes de Marinette et de troublantes passantes croisées un soir frais d’été, comme une promesse d’humanité, la vraie pas la soldée du XXIème siècle. Tapis de mousse sous toit feuillu : couche idéale pour convier la bandante Fernande, Mélanie l’inassouvie et ses trente cierges, comme une paillarde supplique pour que tu nous reviennes.

Je loue vos belles figures féminines, mais je néglige vos pics misogynes. Maux infinitésimaux lorsqu’on les compare à ceux des mâles copains : eux d’abord, quatre-vingt-quinze fois sur cent, les promoteurs d’hécatombes, les faiseurs de 14-18, les exécuteurs de malheureuses Tondues… Cupidon s’en fout, certes, mais la Camarde a tout du travesti aux gonades explosives.

Restons encore sur ce banc, au vent fripon, mirer les mirages aquatiques de la si claire fontaine. Une rose à humer, une bouteille à partager et nos mains à serrer sans arrière pensée. Par un soir d’orage, le petit cheval fut foudroyé.

************

Dans la même veine, sur Brel, cf. Brêle ce monde !

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Au gueuleton de Brassens

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22 réactions à cet article    


  • Taverne Taverne 5 septembre 2011 10:58

    Ah ah  ! Magnifique la photo des deux chats dont un qui louche. smiley
    Je me suis dit que cela méritait une chanson. Sur l’air des « Copains d’abord ».

    Au Chat qui louche

    I

    J’ai rencontré au « Chat qui louche »
    Une petite sainte-nitouche
    Rien à voir au premier abord,
    Avec les filles du port.
    Mais elle m’a mis l’eau à la bouche
    Et chaque soir, j’rêve que j’la couche.
    J’ai rencontré une sainte-nitouche
    Hier au « Chat qui louche ».

    II

    Je l’aborde par petites touches.
    Car elle n’est pas folle la mouche.
    Je ne dois pas l’effaroucher
    Si je veux coucher.
    Je dois éviter l’escarmouche
    Je dois jouer les fines mouches.
    J’ai rencontré une sainte-nitouche
    Hier au « Chat qui louche ».


    • Taverne Taverne 5 septembre 2011 16:15

      Version complète ici sur mon blog. J’y ai mis le chat qui louche. « Trop bien » comme disent les djeunes ! Merci pour cet article et pour cette photo qui m’ont inspiré.


    • Loïc Decrauze Loïc Decrauze 5 septembre 2011 16:41

      Vous pouvez découvrir d’autres photos de Brassens ici. Je suis ravi d’avoir été la source d’inspiration de votre « Chat qui louche ».


    • zvalief 5 septembre 2011 12:22

      quel artiste !!! quand je pense qu’il était l’un des plus censuré...
      ces chansons sont toujours d’actualité, je pense notamment à « la mauvaise réputation », quand on voit la polémique qu’il y a eu le 14 juillet dernier, imaginé le tollé s’il chantait aujourd’hui :
      « Le jour du Quatorze Juillet
      Je reste dans mon lit douillet.
      La musique qui marche au pas,
      Cela ne me regarde pas. »
      malheureusement aujourd’hui on en est encore là :
      « Mais les braves gens n’aiment pas que
      L’on suive une autre route qu’eux »...


      • Intelle Intelle 5 septembre 2011 13:50

        Merci Loïc, pour ce beau texte qui rend hommage à notre Georges, je crois qu’il aurait aimé...Je lui voue une admiration sans borne et je pense que c’est le plus grand poète du XXème siècle. Dans quelques centaines d’années on le chantera encore.
        J’ai lu un article de votre blog, ça me parle, et je crois que je vais devenir une de vos fidèles lectrices.


        • Loïc Decrauze Loïc Decrauze 5 septembre 2011 16:16

          Merci pour votre appréciation... Je crois que c’est une première pour moi d’avoir un tel hommage ici... Je loue Brassens pour cela aussi...

          Sur mon Blog Viser la tête ! je le définissais ainsi, en 2010 : « Divinité de la poésie musicale. Incontournable, intemporel, vital pour l’intelligence. Présente une tare définitive pour notre époque : il ne sait pas exprimer médiocrement ses indignations. »


        • BOBW BOBW 5 septembre 2011 15:44

           Merci Loïc pour cet article agréablement illustré :

           Brel-Brassens : deux anars sympas courageux et pas du tout lèche-bottes.
           et n’oublions pas « Gare au gorille »( race qui prospère actuellement dans l’environnement du Fouquet’s) smiley

          • Loïc Decrauze Loïc Decrauze 5 septembre 2011 16:43

            En effet, le souffle de ces deux réfractaires fait du bien dans cette époque indéterminée.


          • Vipère Vipère 5 septembre 2011 18:39

            Bonjour à tous

            Hommage à Brassens, notre monument national !

            Longtemps, je n’ai pas compris le poète. Et puis, un jour, la maturité aidant sans doute, le déclic. 

            « con débutant, ou con des neiges d’antant »



            • cevennevive cevennevive 5 septembre 2011 18:43

              Bonjour à tous amoureux de Brassens,

              Pour ma part, je préfère Brassens à Brel. Mais peut-être est-ce ma proximité avec Sète et la lointaine province de Brel qui m’a donné cette préférence. Je fais partie des« imbéciles heureux qui sont nés quelque part... »

              Brassens avait la critique et l’ironie guillerettes, la poésie bucolique et modeste et pourtant visait juste et descendait bien des concepts malsains mieux que des leçons de morale.

              S’il fut censuré parfois, ce ne fut pas pour ses textes, mais pour son attitude un peu « anar » et indifférente aux lumières parisiennes et aux flatteries. Un peu comme Jean Giono qui refusa de « monter à Paris » pour se présenter au Goncourt. Pour Brassens, à la différence de Giono, il entrait dans cette attitude beaucoup de timidité.

              Souvent, très souvent, il me vient des paroles de ses chansons. C’est pour moi le meilleur moyen de chasser d’éventuelles idées noires.

              Merci Georges.

              Tu dois, de là-haut, nous regarder avec ton ironie habituelle. Fais-nous quelques chansons pour le jour où nous ne rejoindrons...


              • Vipère Vipère 6 septembre 2011 20:05

                Cennevive

                Sous des dehors bourrus, Brassens cachait une grande timidité et une extraordinaire sensibilité et à travers ses chansons, il n’épargnait personne et bousculait l’ordre établi et les convenances. Et se moquait de la fausse morale, des hypocrites et des donneurs de leçons. 

                Toute la société en prenait plein son grade et les femmes, l’inspirait particulièrement, de la soubrette à la grande dame, de toutes, il parlait : « Madame la Marquise m’a foutu les morpions », une jolie vache déguisée en fleur, la Cane de Jeanne, Margot. Les copains n’étaient pase en reste, ni le curé, le gendarme, le voleur, l’auvergant, et j’en oublie tant le répertoire est riche...

                Et pour cela il utilisait en maître consommé, l’artillerie lourde de la provocation, des sarcasmes, des gros mots aimant par dessus tout, choquer et se moquer du monde, parfois avec tendresse. Tout. ll nous livrait tous de ses sentiments.Ses joies.Ses peines, Ses dé"convenues. Ses espérances spirituelles. Ses expériences amoureuses. La vie. Le tout emballé de dérison, d’humour, avec un goût certain de la perfection des mots et du verbe ; la plume du talent !

                Il était passé maître dans l’art de la provocation et dénonçait les pires bassesses et faiblesses humaines, dont il ne s’excluait pas. 

                Mieux que personne, il nous aura livré la Vie à travers sa vie et ses chansons, légères commes des bulles, Mais profondes, pleine de verve et de mordant et, chacun s’y reconnaît comme à travers un miroir que Brassens tend à tous ce qui l’écoutent, au-delà du temps qui passe. 
                 


              • Loïc Decrauze Loïc Decrauze 6 septembre 2011 20:36

                Très juste Vipère tout cela... j’adhère, je paraphe et j’embrasse vos paragraphes, sans retenue.


              • loco 5 septembre 2011 22:07

                Bonsoir,

                 Je crains fort que, depuis certaine élection, il nous reçoive du bord de son nuage avec :
                "qu’j’aime voir de mon balcon
                 passer les cons !


                • robespierre55 robespierre55 6 septembre 2011 05:51

                  « le divin Brassens »... Je ne suis pas sur qu’il aurait aimé. Mais bon.

                  Merci infiniment pour cet article qui me touche au plus profond.

                  Lorsque mon père est mort, la musique qui a accompagné nos larmes lors de la « cérémonie » à la morgue de l’hôpital (en son hôtel Dieu n’est pas maitre) était « Oncle Archibald ». Depuis, j’ai un peu de mal à écouter ce poème. 

                  Mais Georges est toujours vivant et suit de près l’actualité :

                  ...Un beau jour on va voir le Christ
                  Descendre du calvaire en disant dans sa lippe
                  Merde, je ne joue plus pour tous ces pauvres types
                  J’ai bien peur que la fin du monde soit bien triste...

                  Amicalement


                  • Loïc Decrauze Loïc Decrauze 6 septembre 2011 18:21

                    Merci pour votre touchant témoignage... Je reconnais que le terme « divin » est un peu décalé pour le génial mécréant Brassens, mais souvenez-vous des paroles de « Tempête dans un bénitier » : même prises au second degré, la question religieuse a pu mobiliser sont talent pour prendre partie sur une question interne aux religieux...


                    Ils ne savent pas ce qu’ils perdent
                    Tous ces fichus calotins
                    Sans le latin, sans le latin
                    La messe nous emmerde..."

                  • Loïc Decrauze Loïc Decrauze 6 septembre 2011 18:44

                    « son talent » pardon pour l’horrible faute... j’ai écrit trop vite après une journée harassante...


                  • Vipère Vipère 6 septembre 2011 18:29

                    Loïc Decrauze

                    Brassens, pas si mécréant qu’il s’efforçait de le faire croire !

                    On ne trompe pas son monde à mettre ainsi Dieu à toutes les sauces !

                    A d’autres !


                    • Loïc Decrauze Loïc Decrauze 6 septembre 2011 18:47

                      Vous voyez, vous confirmez ses facettes paradoxales... Ce qui fait aussi l’étendue universelle de son oeuvre...


                    • Vipère Vipère 6 septembre 2011 18:46

                      Si Brassens était un véritable mécréant, il ne tiendrait pas ces propros dans le Grand Pan :

                      "Et quand fatale sommeil l’heure de prendre un linceuil pour costume
                      un tas de génies l’oeil en pleurs
                      Vous offraient des honneurs posthumes
                      Et quand pour aller au célete empire
                      Dans leurs barques ils venaient vous prendre
                      c’était presque un plaisir de rendre un dernier soupir
                      la plus humble dépouille était alors bénie
                      embarquée par Caron, Pluton et compagnie
                      Au pire des minus l’âme était accordée
                      Et le moindre avait l’éternité.


                      • Loïc Decrauze Loïc Decrauze 6 septembre 2011 18:48

                        Donc j’ai bien fait d’utiliser « divin » finalement ! hé hé hé !


                      • robespierre55 robespierre55 7 septembre 2011 13:12

                        @ Vipère

                        C’est plaisant que vous citiez un extrait de la même chanson (méconnue) de Georges. Il y a donc des communautés de pensée cachées sur ce forum. Tant mieux.

                        @ l’auteur

                        Merci encore de remuer le coeur dans votre article et votre réponse.


                      • Vipère Vipère 6 septembre 2011 18:47

                        le moindre mortel avait l’éternité ! "

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