Aux chiottes, la culture merde stream !
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On parle beaucoup d’un livre roboratif écrit par Frédéric Martel et consacré à la culture Mainstream. Ce néologisme désigne une forme de produit culturel que les producteurs parviennent à écouler sur plusieurs continents, non seulement dans le pays d’origine ou partageant des liens historiques et civilisationnels (exemple, l’Occident) mais dans des contrées où celle culture prend place et se fraie un chemin en écartant la culture locale. Ainsi, cette nouvelle culture semble revêtir les atours d’une nouvelle colonisation, voire d’une occupation. Parler d’implantation semble plus approprié. Implantation comme dans les territoires palestiniens. Sauf que si cette culture s’implante si facilement, c’est qu’elle plaît, mieux encore, elle plaît à tout le monde. Personne n’oblige un jeune Africain à boire du Coca Cola, pas plus qu’on impose à un Japonais d’aller voir le film Avatar dans une salle obscure, alors qu’un Français n’a pas besoin d’un revolver sur la tempe pour assister à un concert de Madonna. C’est même l’inverse, il y va gaiement, prêt à payer 80 euros la place.
Sacrée culture mainstream, elle plaît à tout le monde et elle plaît tellement que des gens seraient prêts à amputer leur budget pour s’en délecter, telle une crème glacée qui sitôt consommée, est oubliée alors que le désir d’une autre crème au goût différent se fait jour. La culture mainstream ne peut plaire en permanence que parce qu’elle se renouvelle. Il faut dire que cette culture est parfaitement insérée dans le cycle capitaliste contemporain. Une fois écoulé, le produit doit vite être frappé d’obsolescence mais pas trop vite, le temps de fourguer aux gens l’intégralité de la production, produits dérivés inclus. Qui dire plaire, dit plaisir. Ces deux mots sont d’une même racine étymologique. Plaisir d’amour, ne dure pas toujours, plaisir de masse, durera toute la vie, pourvu que le portefeuille soit garni en permanence. Faute d’avoir trouvé le bonheur, ou le sens de l’existence, ou la magie du chemin, l’individu se contente des petits plaisirs et des sensation que procure la culture mainstream, avec le sentiment d’en être et parfois, de se retrouver avec une myriade de pèlerins avec lesquels ils partagent non pas une fois mais le plaisir de goûter un produit. Certains passent même la nuit pour être les premiers à avoir le dernier Harry Potter ou la nouvelle Play Station. Hé hé, le désir de singularisation finit par reprendre le dessus et le seul moyen de se singulariser parmi des milliers de macaques en quête de cacahuètes culturelles, c’est d’être le premier.
Même s’il va de temps en temps à l’église, ou à la mosquée, ou au temple bouddhiste, le consommateur de culture mainstream est un individu qui a perdu la foi, ou du moins qui ne l’a jamais trouvée. C’est toute la prouesse des publicitaires de notre époque que de perdre les gens pour qu’ils ne trouvent pas la foi, s’égarent dans l’existence, et finissent par se retrouver en allant sous le lampadaire, là où se joue une partie de culture mainstream. Suivez le guide suprême de la marchandise, entrez dans le temple de la consommation et recevez l’eucharistie mainstream après vous être acquitté du denier de la culture. Deux grandes institutions ont réussi à s’étendre sur cette terre, l’Eglise et le Marché. Mais c’est le marché qui fait le plus de profits. Tout en soignant l’image. Un prêtre pédophile ternit l’image de l’Eglise, pareil pour les frasques de Tiger Woods que les sponsors n’apprécient guère. L’Occident est né de deux foi, l’une originaire de Jérusalem et l’autre de Hollywood. Passé l’époque des missionnaires, le monde a été parcouru par des agents de commerce. Dont la tâche est bien plus aisée. Nul besoin de se confondre en prédications et autres explications des Evangiles. Juste une image, quelques séquences, la culture mainstream ne nécessite aucun effort pour imprégner les masses. Elle plaît et c’est sa nature. Elle plaît et s’impose, tel un fruit sauvage convoité par un volatile ou un mammifère. Allez savoir, cette culture semble tellement bien fabriquée qu’on la dirait comme ayant poussé dans un verger pour gâter une sensualité culturelle toute animale qu’on retrouve chez l’humain. La culture mainstream n’est pas pour autant une sous culture. Elle est différente de l’Art ainsi que de la contre-culture.
En admettant qu’on parle d’une occupation d’un pays par cette culture, nous devrions nous intéresser aussi à la collaboration. Celle des masses mais aussi des médias de masse qui, piégés par l’audimat, doivent servir de support pour diffuser les choses qui ont le tort pour les uns, le bonheur pour les autres, de plaire au plus grand nombre. Les émissions de télévision offrent une porosité face à ces produits assez invasifs qui s’infiltrent dans les tuyauteries de l’information et des shows télévisés. Faut-il aimer ces productions culturelles ? Quelle différence entre un blockbuster américain comme Avatar et une daube de terroir comme Camping ? Pascal Obispo, notre chanteur pour trentenaires et ménagères retraités de l’existence, est-il pire que U2, le groupe qui joue pour les bobos quadragénaires ? Le mot de la fin ne serait-il pas de proposer un parti pris consistant à écarter a priori toute production culturelle dès lors qu’elle bénéficie d’un matraquage médiatique suivi d’un succès populaire. Refuser ces plaisirs, c’est se condamner à une frugalité, une ascèse de jésuite du 21ème siècle. Ainsi, l’hédoniste de la masse montre-t-il du doigt celui qu’il désigne comme un mauvais jouisseur, avec le même dédain affiché par le clampin du ressentiment traitant de mal baisée une chef de service un peu trop tatillonne ? L’esthète qui refuse la culture mainstream est-il un mauvais coucheur ? L’esthète répondra à l’hédoniste de masse qu’il n’a pas dix sous à dépenser pour jouer le client et allez au bordel cinématographique après le tapinage médiatique pratiqué par les putes de l’industrie culturelle et leurs maquereaux comptant les sous dans un coin de Wall Street.
L’esthète ne veut pas d’un accès à une culture tarifée comme une passe au bordel et son mot d’ordre c’est, aux chiottes la culture merde stream ! Mais l’esthète se doit de soigner son analyse et d’éviter la vulgarité. Comment comprendre cette culture sinon par l’allégorie sexuelle de l’échangisme dont on laissera de côté, pour autant qu’il existe, l’échangisme solaire, qu’un Sollers ou un Onfray nous racontera. L’échangisme ordinaire, c’est faire l’amour en changeant de partenaire. Le plaisir est dans le changement. Nul besoin de subtilités. Juste une inscription sur le Net ou alors une visite dans un club. Les corps s’offrent moyennant un simple regard. Tu veux ou tu veux pas. La culture mainstream, il suffit de le vouloir, elle s’offre sans effort et on en change quand on est lassé. L’esthète au contraire, entretient un rapport différent avec la Culture, une sorte d’affinité élective, marquée par une rencontre dans la durée, un subtil jeu de séduction, comme peuvent le jouer des amants apprenant à se connaître. Le temps, la patience de la découverte et la fidélité. Et pourquoi pas évoquer un lien amical avec l’œuvre, un lien fidèle, une manière d’être dans le monde. Et cet écho à l’amitié conduisant vers un précepte qui, façonné par La Boétie, nous invite à cultiver les rencontres pour mener une vie bonne et s’affranchir de la servitude volontaire… la même qui offre le cerveau aux produits industriels invitant à tirer la chasse. Aux chiottes l’asservissement !
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