Aviation (5) : des transports à la ramasse
L’aviation militaire américaine va mal. Très mal. Ses dirigeant actuels ont beau le nier, ses problèmes sont évidents. Que ce soit dans le transport, le bombardement ou l’aviation d’attaque ou d’interception, rien ne va plus. A l’origine des problèmes, essentiellement des choix désastreux de matériels faits il y a environ vingt ou trente ans, où l’on a bâti toute une infrastructure spécifique pour combattre un ennemi traditionnel, celui du monde soviétique. Une fois celui-ci effondré, les dirigeants militaires se sont retrouvés avec des matériels totalement inadaptés aux conflits contemporains, tous devenus guerres de guérillas, essentiellement urbaines d’ailleurs (l’Afghanistan étant un autre problème encore). Les matériels une fois vieillis, de nouvelles décisions pour de nouveaux appareils tout aussi catastrophiques ont été prises par des militaires aveuglés par leur vision classique du monde, et surtout par une propension à faire porter leurs décisions par des lobbies extrêmement puissants qui imposent leurs vues. Le cas de l’Osprey, sur lequel nous reviendrons, cette gabegie phénoménale en est l’exemple le plus probant : sous l’apparence de la sophistication on a réussi à vendre une machine qui s’avère couteuse à l’emploi comme à l’entretien et d’une fragilité rédhibitoire à tout emploi en situation de conflit.
Si bien qu’aujourd’hui on assiste à un événement étrange : à force d’avoir dépensé là où il ne fallait pas, le parc d’avions US a beaucoup vieilli, certains appareils sont arrivés à leur limite de résistance, ce qui entraîne des problèmes insurmontables pour les plus anciens mis en service, et les nouveaux arrivants ne sont pas prêts, ou ne fonctionnent pas comme ils auraient dû le faire, en raison du recours à une foultitude de contractants incapables de s’entendre entre eux ou pour avoir été élaborés sur des besoins qui n’existent plus ou ont changé depuis.
Le symptôme est en effet bien plus vieux que celui découvert par EADS lors du montage de L’Airbus A380, où l’on a constaté que les câbles électriques prévus par les allemands étaient tous trop courts, faut d’avoir utilisé le même logiciel de 3D que les français. Dévorée par son ambition ou par ses décideurs véreux, l’aviation militaire américaine s’est engouffrée dans l’éparpillement de production. Elle ne sera plus dans la décennie à venir la première du monde. D’autres pays vont lui ravir la palme, avec en premier lieu la Chine, dont les efforts en équipements militaires deviennent particulièrement inquiétants. La Russie de Poutine, elle, se relève lentement de son implosion, en réactivant jusqu’ici d’anciens programmes, (comme ses vieux Tu-20 Bear - ou 142MR- et ses redoutables Tu-160), ou en rééquipant d’anciens modèles de missiles récents. Mais en tablant aussi sur un avenir radieux, celui d’un tas d’or sur lequel le pays est assis et un approvisionnement ininterrompu en pétrole qui lui permet toujours de fabriquer des chasseurs de trente tonnes qui dévorent autant qu’un quadriréacteur commercial, ou presque. L’arrivée récente d’un appareil résolument plus moderne comme le T-50 change tout en fait : avec cet avion, l’ours remontre des griffes neuves et montre des ambitions nouvelles. La furtivité est un mythe, ce sont les radars qui l’ont à nouveau emporté. Et de ce côté là, depuis le Mig-31, on le sait, les russes ne sont plus vraiment manchots. Rien ne sert de s’y accrocher à tout prix, et c’est là l’erreur fondamentale qu’ont fait les américains !
Revenons tout d’abord sur un des secteurs en grande difficulté, celui des transports. Le syndrome du vieillissement est là aussi patent. La flotte des C-130 Hercules, la charnière principale des transports sur moyennes et courtes distances est arrivé à son sommet de durabilité. La machine "camion-jeep-avion" date de plus de 50 ans, elle a volé pour la première fois en 1954 ! Vendue à plus de 2200 exemplaires dans le monde, considérablement transformée depuis, rallongée à plusieurs reprises ou rééquipée de turbopropulseurs plus modernes, elle n’en peut plus. Récemment, des criques sont apparues dans plusieurs exemplaires à un endroit crucial, dans l’aile. Les criques ce sont ces déchirures dans le métal dues aux contraintes de fatigues subies et dont les plus célèbres resteront celles des deux exemplaires du Comet anglais (le premier avion commercial à réaction) qui avaient explosé en plein ciel et anéanti la carrière de l’appareil et de son constructeur.
Les criques survenues sur le C-130 commencent sérieusement à inquiéter, car un appareil C-130K anglais qui s’était crashé le 30 janvier 2005 à Bagdad avait révélé avoir carrément perdu en vol son aile droite avant de s’abîmer (ici le crash d’un appareil italien). Les appareils incriminés ont été après maintenus au sol, "grounded" comme on dit dans le jargon militaireUS. Les failles découvertes sont catastrophiques, car elles ne touchent pas les ailes proprement dit mais la "boîte" centrale de raccordement de ses ailes au fuselage. A savoir que c’est impossible à réparer, puisque cela touche à la structure fondamentale de l’avion, dont la "mise en croix" (le positionnement de l’aile sur le fuselage) demeure la phase fondamentale de construction.
Le C-130 est touché, mais aussi un autre pilier de l’aviation quadriturbopropulsé américaine : le vénérable Orion P-3, un engin non pas de transport mais de surveillance, essentiellement maritime. Lui aussi se retrouve "grounded". Un quart des appareils, selon Combat Aircraft Magazine, était confiné au sol, en décembre 2007. Là encore c’est le corps central qui est en cause, avec en prime les extrémités des ailes. Un "kit" a bien été proposé aux Gardes-Côtes US, qui travaillent désormais au nom du Homeland Security... mais la remise à niveau de la flotte a pris entre 18 et 24 mois, car l’appareil lui aussi date de 44 ans, le plus récent construit de 18 (la moyenne d’âge étant de 28 ans). Pour mémoire, il est dérivé d’un appareil commercial qui avait lui aussi explosé en vol, l’Electra, mais pour des raisons de mise en vibration de l’aile à cause de celles induites par les turbopropulseurs !
Pour en revenir aux transports, le plus gros appareil US n’est pas en reste : le C-5 (A&B) Galaxy n’a jamais vraiment été une réussite (malgré peu d’accidents à part la terrible erreur au Viet-nam avec la porte arrière qui ne verrouillait pas, entraînant un crash avec des enfants à bord), a énormément vieilli (il date de l’ère Johnson !). Au Pentagone, on commençait à sérieusement se poser la question de le mettre définitivement ou non au rencart, depuis plusieurs années maintenant. Juste après la guerre du Golfe, il avait déjà failli passer à la trappe : son aile, déjà changée bien avant la limite des 30 000 heures, redonnait déjà des signes de fatigue. Peine perdue, l’aile à peine remplacée, les criques réapparaissent à vitesse grand V, donnant à l’engin son surnom péjoratif de FRED, pour "Fantastic Ridiculous Economic Disaster". L’aile modifiée pour atteindre les 80 000 heures, l’avion aurait pu durer jusque en 2040... mais seulement avec la décision de réinjecter 7 milliards de dollars de plus pour changer ses réacteurs monstrueux trop gourmands GE TF39 contre des GE CF6-80C2, grâce à un programme, le "Reliability Enhancement & Reengining Program (RERP)". Mais cela coûtait cher, très cher. Le voilà néanmoins ainsi (à grands frais) rebaptisé "SuperGalaxy" !!! Les moteurs apportent alors 22% de puissance en plus que le TF-39, et toute l’avionique a été refaite. La seule inquiétude, c’est l’aile, déjà mise à jour auparavant, mais qui fatigue toujours énormément étant donné sa taille gigantesque ! Faut dire qu’on ne le ménage pas vraiment non plus....
Le gouffre financier pour cette mise à jour est vite devenu aussi grand que sa soute, qui lui avait permis en 1973 de fournir en temps record à Israël les pièces de rechange et les avions supplémentaires pour attaquer lors de la guerre du Yom Kippour. Le C-5A était en partie responsable du succès israélien, avec la noria de C-141. Un nouveau cockpit avec grands écrans lui a été mis en place, appareil par appareil, pour le rajeunir une nouvelle fois. Baptisée Super Galaxy C-5M, donc, la dernière mise à jour avait effectué son premier vol le 19 novembre 2006. L’Air Force tentait encore une fois avec cet appareil de faire du neuf avec du vieux. Mais malgré ces ultimes améliorations, à ce jour, l’engin demeurait encore trop capricieux, et sa disponibilité dépassait rarement les 50%.
Résultat, coup de théâtre : le 18 février dernier 2008, l’USAF annonçait qu’elle renonçait à remotoriser ses plus anciens appareils et même l’ensemble de la flotte, condamnant à court terme un appareil devenu aussi bien trop gourmand en kérosène. Une décision qui n’a rien à voir vraiment avec l’appareil pour tout dire : c’est l’œuvre avant tout d’un lobby qui en privilégie un autre, au détriment même des capacités intrinsèques de l’appareil. Boeing ne souhaitait pas arrêter ses chaînes de constructions actuelles, dont celle du C-17, et a tout fait tout pour cela, quitte à rendre le déploiement des forces US bien plus compliqué en l’absence de C-5A. Le C-17 est loin de satisfaire les militaires, qui clament ouvertement qu’on leur a imposé un bidule critiquable sur un bon nombre de points. Car le problème est là : non seulement les avions vieillissent, mais leurs remplaçants ne sont pas du tout à la hauteur.
Le C-17, littéralement imposé par les décideurs du Pentagone, et non souhaité au départ par les militaires, est loin en effet d’avoir fait l’unanimité. Parmi les bizarretés qui l’accompagnent, ce fameux C-17, il en est une qui prête à sourire : c’est le fait par exemple que le nouvel hélicoptère présidentiel, un Lockheed Martin US101, clone d’un Agusta (un VH-71 Kestrel, variante de l’AgustaWestland AW101 appelé aussi EH101), ne rentrait pas dedans, alors qu’il rentrait dans un vieux C-124 Globemaster II ! Depuis, l’hélicoptère lui aussi a été décommandé : Barack Obama s’en passera, il se satisfait des anciens paraît-il !
Le C-5A Galaxy problématique, l’Hercules trop court en rayon d’action, l’US Air force ne disposait jusqu’à une époque récente que des Starlifters C-141 pour délivrer des matériels ou des hommes à des milliers de kilomètres de chez elle. L’appareil, un véritable succès, le premier quadriréacteur de transport avait débuté sa carrière en 1965, puis avait subi un allongement dans les années 80 avant de commencer à présenter des signes de vieillissements inquiétants autour des montants de cockpit et sur le caisson central de l’aile... obligeant à mettre fin en mai 2006 à une carrière bien remplie pour les 285 exemplaires construits. Exit le C-141... qui laissait par jet de l’éponge la place libre au C-17 qui n’en espérait pas tant !
Il était donc temps de lui trouver un remplaçant : ce fut le C-17 qui fut choisi... contre toute attente, à vrai dire, avec un premier vol le 15 septembre 1991. Encore une fois ! Le C-17 était un projet bâtard, et ce dès sa conception : fait pour décoller soi-disant sur pistes courtes, il dévorait quand même 7500 pieds pour décoller (2286 mètres) à pleine charge et 2700 pieds (820 m) pour atterrir à plein... A vide, ça impressionne plus ! On a dû trancher entre poids emporté et distance de décollage ! C’est la quadrature habituelle du transport par air ! Pour le poids c’est plus simple : il faut bien de quoi soulever une autre gabegie à chenilles : le char Abrams M1, qui pèse à lui seul ses 67.6 tonnes ! Le char à turbine à gaz (qui marche au JP-8 d’aviation !) que moquait un sénateur ayant de l’humour en 1980, en indiquant que "oui, il est bien protégé, mais la citerne qu’il doit traîner derrière, ne l’est pas". Toujours le même syndrome de la sur-consommation d’essence. L’engin dévorait jusqu’à ses "7 gallons par mile" lors de la Guerre du Golfe, dans le sable et à fond... 26 litres tous les 1,6 km, oui vous avez bien lu : 16 litres au km ! (1600 litres au 100 !) Donné pour plus de 400 km de rayon, il en fait en réalité 120 à peine à ce rythme là avant d’être ravitaillé (de 1900 litres). En temps ordinaire, à faible allure, c’est du 8 miles (13 km) au gallon (3,7 litres) seulement.... 3,5 litres au km, et donc du 350 litres au cent. Le Leclerc français est donné pour du 60 litres au cent kilomètres (quand il n’enclenche pas sa turbine Turbomeca !).
Prévu pour transporter loin, le C-17 se limite à 4400 km sans ravitaillement : c’est bien là sa tare essentielle !!! Il est incapable de traverser l’Atlantique à moins de ravitailler. Il traverse les Etats-Unis d’Ouest en Est ou inversement, ou fait New-York-Bogota, mais c’est tout.. Mais le pire c’est sa facture finale : quand le Canada en achète 4 exemplaires, il paye 3,4 milliards de dollars l’ensemble : à 850 millions pièce, il n’est donc pas vraiment donné. Le Rafale est annoncé dans les 140 millions de dollars pièce au Brésil, le Gripen à 70... Bradé à 90, peut-être... le Rafale ?
Au départ, au stade des prototypes, l’Us Air Force avait testé deux types d’appareils, un à effet Coanda, l’YC-14,et un à aile soufflée, l’YC-15. Les russes recopièrent le premier pour en faire un avion très réussi, l’Antonov 72-74. Le second, l’YC-15 de McDonnell à flux détourné par des volets servit de modèle à l’élaboration d’un transporteur beaucoup plus gros de chez Boeing (ayant racheté McDonnell), dont le soufflage des volets nécessite l’usage intensif de titane, et une soute largement dimensionnée en faisant un avion gourmand... avec un rayon d’action faible (il faut choisir, soulever beaucoup OU transporter loin !). Sa principale tare aujourd’hui, où la moindre traversée de l’Atlantique nécessite un ravitaillement en vol !!! Le C-17 manque sérieusement d’allonge, comme le dit le jargon aéronautique.
Un rapport au vitriol du Pentagone datant de 1986 avait conclu que que le C-17 n’était pas en fait une nécessité si on mettait à jour le C-5 Galaxy et que l’on faisait durer le Starlifter encore quelques années... ceci avant de s’apercevoir de ces criques. L’avion a quand même été construit à partir de 1994 à 120 exemplaires, dont 4 au départ pour l’Angleterre (6 aujourd’hui), et sa chaîne de production devait s’arrêter en 2006, ce que Boeing commença à clamer haut et fort dès lors, dès 2004, pour retarder l’échéance. Le congrès US ne lui ayant pas permis de continuer à le produire, le lobby s’est mis en place....avec comme cible le C-5B Galaxy et sa modernisation recommandée depuis le rapport de 1986. Cet intense lobbying va se révéler efficace : on a littéralement imposé une seconde fois le C-17 aux militaires, qui ne l’auraient peut-être pas accepté sans la désastreuse fin de carrière d’un autre avion, le Starlifter.
Après trois années de siège intensif du Congrès, le verdict est en effet tombé : c’est le C-5B qui a perdu, et Boeing qui a gagné. D’autres C-17 seront construits, et les Galaxy non modernisés : les éléments du C-17 parviennent d’un nombre plus importants de districts détenus par des congressistes que ceux du C-5. Par peur de ne pas être réélu, on choisi donc de continuer à construire un avion... qui nécessite pour ses déplacements une flotte de tankers à sa disposition, dont n’avait pas besoin le Galaxy. Et des tankers... qui ont tous plus de cinquante ans, sont à bout eux aussi ! Robert F.Door, chroniqueur à Combat Aircraft, conclut de manière amusée, à partir de la décision de suppressions budgétaires intenses (1124 avions supprimés sur 10 856 au total) : "un général deux étoiles m’a dit : on brûle les meubles pour sauver la maison", en insistant sur les choix surréalistes faits, dont ceux concernant le C-17. Un avion vieilli qu’on ne met pas à jour en lui préférant un autre plus récent mais qui pour voler à recours à une autre flotte d’avions de plus de 50 ans : c’est bien cela le paradoxe aberrant du transport militaire US !
L’US Air Force n’a plus le sou, mais continue à en dépenser à tort et à travers pour satisfaire non pas ses besoins mais l’ambition ou le poste des hommes qui au congrès la soutiennent. Le même général désabusé disant un peu plus loin à propos du C-17 : "on ne l’avait pas mis dans notre demande de budget, car on savait bien qu’ils la replaceraient d’eux-mêmes"... On le voit bien, dans l’Air Force, cela fait belle lurette que les généraux n’ont plus leur mot à dire. On va faire voler un avion complexe dont les portes arrières s’ouvrent toutes seules en vol (comme le Galaxy !) et dont le coût de maintenance des énormes volets et flaps en composite atteint des sommes astronomiques... (car ils sont sous le flux des réacteurs et ne tiennent pas du tout les 30 000 heures espérées !) quand son train ne se rétracte pas à l’atterrissage. Le train avant, avec un défaut manifeste de conception, dont on n’a toujours pas trouvé la solution. En minimisant ces défauts, en bricolant des renforts, on continue à le vendre, pourtant...
Ceci pour les transports lourds. Dans la gamme en dessous, c’est la même pagaille. Les américains n’ont pas su créer d’appareil spécifique, et ont puisé chez les autres pays ce qu’ils ne savaient pas faire ou n’avaient pas songé à faire. C’est tout aussi symptomatique d’une attitude dictée que par le profit maximal des grands groupes aéronautiques, pour qui un transporteur bimoteur de petit tonnage n’est pas intéressant à fabriquer et ne rapporte pas assez. Le marché étroit de l’Utility Tactical Transport n’a pas intéressé grand monde. L’Air Force ou l’Army ont donc puisé parmi la gamme des Skyvan anglais, puis de leur agrandissement en Short 330 devenu le C-23 Sherpa, datant de 1976. Envoyé à Balad Air Base, l’avion s’est montré fort performant, malgré son absence de protection en volant à basse altitude (il vole à vue) : il coûte nettement moins cher à entretenir qu’un Chinook et consomme beaucoup moins. La seule complainte à son égard est son absence de pressurisation : on lui reproche son inconfort relatif, et c’est tout.
Et comme là encore la privatisation a sévi, il a fallu que le groupe Blackwater, devenu Xe, fort impliqué dans des opérations secrètes à la frontière afghane choisisse "son" modèle spécifique pour que l’armée américaine se pose la question de son existence et de son utilisation. C’est le petit Casa 212 qui a été choisi, un des meilleurs compromis du moment, un appareil âgé mais à un coût bien inférieur à la concurrence. Dans le cadre du choix d’un cargo moyen, un concours a opposé un autre Casa, le modèle 235 au G222 italien devenu Spartan car construit sous licence aux Etats-Unis. Le C-27J Spartan est plus gros et effectue depuis des années des démonstrations en meeting absolument époustouflantes aux mains des pilotes italiens fort talentueux. Le Casa C-235 a été acheté à 57 exemplaires, l’avion apparu en 1983 est entré en service en 1988. Aux USA, il sert aux forces spéciales, et même plutôt à la CIA, qui en a fait un de ces avions de "renditions" favoris, celui qui a sillonné toute l’Europe ces 8 dernières années. Vu en Floride, en Europe ou au beau milieu du désert du Nevada. Ici, le célèbre Aero Contractors CASA CN-235-300, numéroté N168D,enregistré comme étant de Devon Holding and Leasing, Inc de Lexington : une boîte aux lettres sans adresse véritable.
Un concours (pour le Joint Cargo Aircraft (ou JCA) l’a opposé au Spartan et là encore, la machine à broyer la concurrence et les pressions politiques se sont mises en route : inévitablement c’est le Spartan qui a été choisi. Au départ c’est pour remplacer les Sherpas. Motfif invoqué : soute plus large. En réalité c’est encore une victoire du lobby Boeing, associé adroitement à Alenia Aeronautica (les italiens créateurs de l’appareil) mais aussi à L-3 Communications (qui a racheté une partie de Raytheon et qui a été créé grâce à la Banque Lehman Brothers) dans un regroupement exprès, le Global Military Aircraft Systems (GMAS).
En fait, c’était aussi une vieille connaissance. Assez tôt il avait été employé par les américains ; dès 1990 il avait été envoyé au Pérou dans des opérations anti-drogue, puis en 1999 au Panama où avaient été expédiés les 7 derniers avions achetés. Un appareil automatiquement critiqué par l’Air Force, qui n’en voyait pas vraiment l’intérêt dans son programme de Future Cargo Aircraft (FCA) et qui tente depuis d’en faire autre chose qu’un avion de transport depuis que le Pentagone l’a imposé en juin 2007. On songe en effet à en faire un mini-Spectre, avec un canon rotatif : le syndrome du DC-3 "Spooky" de la période Viet Nam est de retour. Finalement, le 4 mai 2009 le couperet tombait : l’AFSOC se voyait privée de ses 16 C-27 commandés. Le budget 2010 avait eu raison de lui. En Afghanistan, les Chinooks vieillissants auraient bien aimé le voir arriver, pourtant, ce "Chuck" (son surnom).
Chez les Forces Spéciales, le choix s’est porté sur une autre machine.... russe. Un ex-Antonov 28, d’une excellente et étonnante capacité STOL, doté d’une énorme porte cargo latérale produit par les polonais de PZL sous le nom de "Mielec M28 Skytruck" de la gamme des 15 tonnes. Dix modèles seulement ont été achetés et ont été fournis à la base de Cannon Air Force Base. Quand il ne lui faut pas se poser trop court, l’Army ou l’Air Force utilisent des Pilatus suisses PC-12, devenu U-28A. Le choix de monomoteur a été dicté par le coût de revient uniquement, au détriment de la sécurité. L’engin est utilisé par les Green Berets et les Navy’s SEALs. C’est le 319th Special Operations Squadron d’Hurlburt AFB en Floride qui devait l’utiliser, avec six U-28A et environ 45 hommes pour s’en occuper. Le 319eme, qui avait disparu, a été réactivé spécialement pour l’occasion le 1er Octobre 2005. En 2008, changement : c’est le 318th Special Operations Wing de Cannon qui en recevait trois de plus, trois ans après la date officielle de la mise en service à Hurlburt : les errements d’une administration fantasque : tous ces appareils ont visiblement été achetés dans l’urgence, afin de satisfaire des besoins ayant changé dans la politique des armées. Avec l’arrivée de McCrystal à la tête des armées, les forces spéciales se sont vues accorder des crédits nouveaux et inespérés, et ont dû sélectionner des appareil en hâte, dont aucun n’avait été prévu par le Pentagone ces trente dernières années !
Conséquence inéluctable de tous ces errements, une deuxième gabegie : pour transporter tout ce dont elle a besoin, dont l’indispensable brosse à dents du soldat de Bagram ou les plats préparés par KBR ou Halliburton, l’US AIR Force ou l’Army signent à tour de bras des contrats de livraison avec des firmes privées, qui emportent par palettes entières ce qu’elle ne peut assumer. Ce sont les "International Airlift Services”, qui ont coûté au contribuable américain la bagatelle de 2,29 milliards de dollars en 2006, 2,32 milliards en 2007 et plus de 3 milliards en 2008... pour 2009, trente contrats ont été à nouveau reconduits ou signés par l’ USTCAD ("United States Transportation Command Acquisition Directorate") de la base de Scott, dans l’Illinois.
En septembre 2008, par exemple, le Federal Express Charter Programs Team Arrangement de Memphis a reçu 1,34 milliard de dollars de contrats à se partager entre Federal Express Corporation de Memphis, dans le Tennesse, Air Transport International LLC de Little Rock, dans l’Arkansas, Atlas Air, Inc., de Purchase dans l’état de New-York, Northwest Airlines, Inc. de St. Paul, Minesotta, Omni Air International, Inc. de Tulsa, Oklahoma, et Polar Air Cargo Worldwide, Inc., également de Purchase, (51% des parts de la société sont de l’Atlas Air Group) et avec enfin Tradewinds Airlines, Inc., de Greensboro en Caroline du Nord. A voir la dissémination sur le territoire, on imagine le casse-tête de l’intendance : comment acheminer les palettes avant qu’elles ne s’envolent ? On sait au moins pourquoi il y a autant de "18 roues" sur les routes américaines !
En septembre 2008 toujours, un autre contrat signé avec l’UPS Contractor Team de Louisville, dans le Kentucky se voyait attribuer 189,3 millions de dollars à répartir entre l’United Parcel Service Company de Louisville, mais aussi avec ABX Air, Inc., de Wilmington, dans l’Ohio, et Kalitta Air LLC d’Ypsilanti, dans le Michigan (et ses avions qui se crashent), National Air Cargo Group, Inc., via Murray Air, près d’Ypsilanti également, Ryan International Airlines, Inc. de Rockford, dans l’Illinois, et Southern Air, Inc., de Norwalk, dans le Connecticut. De tous, c’est bien Kalitta qui est le moins qualifié, avec ses crashs à répétition et sa gamme vétuste de 747 à l’entretien aléatoire (un jour un particulier du Michigan va trouver un réacteur dans son jardin : celui perdu par un Boeing de Kalitta, fixé avec deux boulons au lieu de quatre). A quoi on doit ajouter Lynden Air Cargo LLC d’Anchorage, dans l’Alaska, qui a reçu en 2008 également 77,7 millions, pour l’approvisionnement de palettes transportées à bord de ses L-382, la version civile du C-130H Hercules. Sans oublier, enfin d’arroser les amis de la famille Bush, avec une firme de Floride, Miami Air International, Inc., pour 34,3 millions de contrat. Pour les contrats de 2009, deux autres firmes de Floride apparaissent : Arrow Air, Inc. et Astar Air Cargo, Inc, ainsi qu’une société... jamaïcaine (? ??), North American Airlines, Inc. On note aussi parallèlement des bateaux, comme TransAtlantic Lines LLC de Greenwich dans le Connecticut pour 15 078334 dollars de contrat pour 2 options) enttre les USA et le terminal de Praia da Vitoria dans les Açores, par exemple ! Via le MV Baffin Strait ou le MV Geysir, le premier ravitaillant au départ Diego Garcia dans l’Océan Indien.
En avril 2008, Lynden Air Cargo(aujourd’hui en Haïti) avait déjà reçu 63,7 millions de dollars, relevé à 108,7 millions, pour transporter au plus vite les remplaçants des Humvees, ces fameux "Mine Resistant Ambush Protected" (ou MRAP) : il est incroyable de constater aujourd’hui que les C-17 n’en ont pas livré énormément ! Ou alors, pour les Humvee, comme pour les MRAP c’était bien pour les photos de propagande ! La réalité est moins glorieuse, sans doute : les Antonov font ça beaucoup mieux c’est une évidence !!! (Ici c’est un MRAP... français !). Un autre contrat civil encore ! Le 17 septembre 2009, même topo : ce sont AMR Corp, Delta Air Lines Inc, Northwest Airlines Inc et US Airways Group Inc qui emportent le gros lot du "Transportation Command contract" avec 1.58 milliard de dollars, sous le nom d’Alliance Contractor Team de Leesburg. Fedex Corp emporte le second lot, de 1,51 milliard et UPS le rogaton de 331,7 millions "seulement". Derrière les trois noms principaux, on découvre exactement les mêmes autres que déjà cités en 2008 ! Il y a une belle continuité Bush-Obama dans ce domaine !!!
C’est une manne fabuleuse, et un procédé qui permet tous les coups tordus : si un jour on découvre des armes dans un des appareils, c’est aux risques et périls du contractant. Le Transport US est incapable de gérer seul l’approvisionnement de ses armées ! Si bien qu’à Bagram ou à Kandahar, les pistes sont autant embouteillées par des avions civils que militaires, quand ce ne sont pas les Antonov de Victor Bout qui viennent y mettre leur grain de sel. L’armée US fait appel aux IL-76 de Bout, on le sait et cela a été prouvé à maintes reprises ! Star Air utilisant ses propres Antonov 12, la confusion est totale. Sur le site de l’entreprise, une superbe vue de deux contrôleurs aériens en pleine discussion avec un C-130H... aucun n’est militaire, tous sont des privés, portant uniformes ou utilisant un Hercules camouflé. Rumsfeld voulait privatiser les guerres, il n’y a pas meilleure illustration je pense. L’US Air Force et l’Army se font ravitailler... par des mercenaires !
En prime, à voir les noms, on retombe sur des clients connus... de la CIA, dont notamment Polar Air, vu à plusieurs reprises dans des coups pendables de transport d’obus ou de bombes, notamment en 2006 vers Israël, via Londres, pour alimenter l’attaque du Sud-Liban. Lors du crash de Kalitta Air à Madrid, en Colombie, tout le monde avait remarqué une étrange odeur qui planait sur le site.... c’était le deuxième en deux mois de la firme, avec celui de Liège le 25 mai 2008. Ou les vestiges de Southern Air, en banqueroute en 1998, revenu en 2002 grâce au fonds Oak Hill Capital Partners. Southern Air, vieille émanation d’Air America, une firme au passé plus que louche, ayant eu maille à partir en 1987 avec la justice lors des suites de l’affaire des contrats. Un juge avait voulu examiner ce que faisait un des avions à Barranquilla, en Colombie, en 1983, dans le fief de Jorge Ochoa, le baron de la drogue de Medellin. Dans le formidable livre "Drugs, Oil and Wars", de Peter Dale Scott, la firme Southern Air tient en effet une place de premier choix. Une firme dénoncée par la femme d’un trafiquant, Wanda Palacio. La subdivision de Southern Air, appelée EAST, avait été créée par Richard Gadd, un ancien officier poussé en avant par Oliver North pour lui servir de plastron. Le 5 octobre 1986 un avion de Southern Air avait été abattu au Nicaragua, bourré de drogue. Derrière les premiers à suivre l’enquête, on trouvait déjà le sénateur John Kerry.
Entre 1999 et 2000, malgré sa banqueroute, et ses ennuis judiciaires, Southern Air-East avait pourtant encore signé pour 30 millions de contrats gouvernementaux et Gadd reçu personnellement 1/2 million de dollars pour son silence. Ayant accepté de témoigner à charge, Gadd n’avait jamais été inquiété. Les avions décollaient d’Ilopango au Salvador ou d’une piste secrète au Costa-Rica. A l’époque déjà, l’avion utilisé était un L-100 : un Hercules civil ! Pour passer inaperçu, les avions de Southern Air avaient été déguisés en effet en avions humanitaires ! En 1996, l’avion volait toujours sous les couleurs de Southern Air... l’avion du Nicaragua était enregistré chez Globe Air, avec le code N517SJ qui n’avait pas été peint : il naviguait donc sans registration aucune ! Lors de l’enquête après son crash, il était démontré une grave déficience de maintenance de Southern Air, qui ne purgeait pas l’huile des compresseurs des moteurs : l’avion était incapable de surpuissance lors de l’atterrissage en cas de problèmes. Il y avait eu 5 morts. Le 9 avril 87, l’US Air Force avait suspendu Southern après le crash de l’avion en Californie. Quelques jours seulement... et ce sont ceux-là à qui le transport militaire US confie ses biens ou ses personnes....
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