Aviation (9) : le drone qui carbure mal
Tout a déjà été dit sur les drones Predator : aussi vais-je vous proposer une autre façon de voir les choses. Charles Bwele (lire ici son formidable « Du cockpit au joystick ») et moi-même avons en effet déjà parlé de ses engins présentés comme nouveaux, et qui s’inscrivent en fait dans une longue histoire d’engins téléguidés américains, dont beaucoup étaient des engins-cibles destinés à s’entraîner au tir. Depuis, les drones ont trouvé un autre usage, celui du renseignement, qui a commencé pendant la guerre du Viet-Nam avec des engins très étonnants juchés sur des SR-71, qui n’ont pas vraiment marché comme souhaité, et qui se poursuivent aujourd’hui avec des drones actifs, des drones-bombardiers censés augurer des guerres futures. Or ces drones ne sont pas la panacée, loin de là, et leur usage actuel, surtout, par les américains est sujet à caution : ils commettent bel et bien ce qu’on peut appeler en ce moment des assassinats ciblés. On peut le dire sans être nécessairement partisan de ceux qu’on assassine, mais ça, ici, devient une véritable prouesse à dire, tant certains confondent tout. De même qu’on peut s’appesantir sur ces matériels en étant aucunement partisan de leur usage ; mais là encore les mêmes pesants reviennent tout confondre à nouveau. Place donc à une énième gabegie du Pentagone, celle des drones et de leur usage désormais immodéré. Un F-22 est bien incapable de faire ce travail, remarquez : seul le Bronco que nous évoquions hier aurait pu s’en charger.

Les drones sont donc utilisés intensivement depuis quelques années. Or leur bilan est lourd. Si le Predator avait été un avion piloté, il aurait depuis longtemps été interdit de vol : sur les 139 exemplaires que l’USAF a reçu, elle en avait perdu... 53 selon un rapport officiel de 2007 ! Pas loin de la moitié par terre ! La raison essentielle, en dehors aux fautes de pilotage inhérentes au procédé consistant à vouloir piloter à tout prix à 15 000 km de l’endroit où l’engin circule réellement : des accidents de... carburateur ! Ça a l’air idiot, mais ça l’est, en effet. Sur les premiers modèles de Predator, la motorisation était confiée à un moteur de... skidoo. Un Rotax Rotax 912 UL, qui n’est autre qu’un bon vieux 4 cylindres à plat, lointain descendant d’un moteur bien connu : celui de la Wolkswagent et des Porsche. Une sorte de "Vorsche", quoi.
Or cet engin , comme tous les moteurs de ce type est très sensible aux conditions climatiques : ses carburateurs ne l’alimentent pas de la même façon selon qu’il fait 45% dehors ou -10°c. Or je ne vous apprend rien sur le climat Afghan, la presse en parle à ma place ces jours-ci. Dans la revue DSI de février 2010 (N°56) , on décrit de la sorte le bilan du drone français SIDM-Harfang (à 41 millions d’euros les trois exemplaires et le module de guidage) comme n’étant pas très enthousiasmant, en raison surtout de son moteur Rotax (914 F ) qui "affiche un bilan mitigé". Or ce Rotax présente bien un "dual CD carburetors, mechanical diaphragm pump", selon le catalogue de son constructeur ! "Le moteur équipé d’un carburateur est d’un réglage délicat en raison des variations importantes de température et de pression que l’on connaît ici", souligne un officier technicien, nous dit l’excellent DSI. Plus loin, on y apprend que les moteurs Rotax "cassent" et surtout "n’atteignent pas les 600 heures de fonctionnement prévues par l’industriel entre deux visites périodiques ". Les français désirant un moteur "à injection comme le Predator"..nous affirme le magazine, à part que ce n’est pas le cas pour tous : si les versions A et MQ-1 sont bel et bien à carburateur, la plus récente, la version B "Altair" (devenue "MQ-9 UAV. Reaper") est elle équipé d’une turbine (un turbopropulseur) d’avion Honeywell TPE 331-10T (qui date de 1965 !) . On y verrait mal un carbu ! A noter qu’une autre turbine, la Williams FJ44-2A avait été aussi essayée sur le prototype. Bref, comme le Reaper est le dernier arrivé, c’est le moins représenté du lot. La majorité est bien à ... carburateur.
Le gag, dans cette affaire de "carbu" c’est que dans le rapport de la Commission de la défense nationale et des forces armées du 25 novembre 2009, les deux rapporteurs, Yves Vandewalle (le suppléant de Valérie Pécresse) et Jean-Claude Viollet (un socialiste) ont dit exactement l’inverse : "Pour améliorer les choses, il semble qu’il faudrait remplacer les moteurs à injection par des moteurs à carburation" ont-ils affirmé !! M’ont l’air d’être doués ces deux-là ! Précisant quand même que sur les trois "chouettes françaises"... une seule marchait le jour où ils sont allés sur la base où les aviateurs français étaient : . "L’attrition s’est révélée importante : un drone a été endommagé et un autre a connu des problèmes de moteur. Au moment de notre passage, un seul volait." Bienvenue au pays des trucs payés très cher (41 millions les 3 exemplaires !) qui ne marchent pas !
Pour revenir aux origines des drones actuelles il faut remonter à la guerre et à l’après guerre aux premiers essais de téléguidage d’appareils, qui seront faits avec un drôle de petit avion téléguidé d’un Beechcraft Beech JRB-1, un bimoteur modifié. C’est le Culver PQ-14/TF2C1, une sorte d’avion de tourisme qui sera le premier à réaliser un atterrissage et un décollage guidé... comme quoi le pilotage à distance n’est pas nouveau (pour les plus gros appareils, voir ce qui a été dit ailleurs). L’engin servira à autre chose : à servir d’avion rémora, collé à un DC-3. Par un système de crochet. On se perd en conjoncture sur l’usage de ce machin. A part économiser l’essence du Culver...
Après le mini-monomoteur à hélice, les avions sans pilotes à réaction sont venus dont le plus connu est le Firebee, un drone assez conséquent en taille, mais qui restait léger. L’engin avait une forme de poisson fort marquée. On en accrocha deux sous un B-26, puis plus tard jusque 4 sous un C-130. Un engin-cible au départ, qui étant donné son bon comportement devint engin de reconnaissance. Excellent, accroché partout et décliné dans des tas de versions, du plus gros au plus rapide, il est à l’origine d’une famille incroyable de modèles. En réalité, c’est bien lui le père de tous les drones actuels, via sa version à aile allongée, les Compass Arrow ou Compass Dawn devenus plus tard Compass Cope. Ce sont ces trois appareils qui ont sombré dans l’oubli qui sont le point d’origine de tous les drones modernes. Auparavant, le fameux Firebee était déjà devenu une arme de guerre capable d’attaquer avec sa version BQM-34A. Si l’on cherche l’origine du Reaper c’est plutôt de ce côté là qu’il faut chercher. Une caméra fixée dans le nez su BQM-34A permettait de le piloter via l’avion lanceur. Dès 1971-1972, des BGM-34 lanceront des gros missiles AGM-65 Maverick et même des bombes guidées vers des sites simulés de missiles SAM. C’est bien l’ancêtre du lancement d’un AGM-114 Hellfire par un MQ-1L Predator ! Avec le modèle suivant BGM-34C, à tête interchangeable, les américains disposaient déjà en 1972 d’un drone à réaction à tout faire en réalité ! Reconnaissance ou bombardement ! A savoir pourquoi ils en sont au revenus au drone à moteur de tondeuse à gazon...
Dans la famille nombreuse des Firebee, on a donc eu de tout. Lancés de bateaux ou récupérés au vol par des hélicoptères, l’engin a tout connu. Les évolutions à haute altitude du type Compass Dawn ont été nombreuses et l’engin efficace : entre mars 1967 et juillet 1971 l’appareil à effectué138 missions lancé de DC-130 et volant à 70 000 pieds, au dessus du Nord-Vietnam, mais aussi au dessus de la Chine avec un taux de réussite de récupération de 67% pour des missions plutôt risquées. On peut dire qu’il est l’ancêtre lui du plus gros drone actuel, le Global Hawk de Grumman-Northrop. Le Teledyne-Ryan YQM-96A R-Tern (Model 235) Compass-Cope est l’évolution ultime de l’engin. Lors de son choix par l’armée, on l’avait mis en compétition avec le Boeing B-Gull YQM-94A. Mais à l’époque on préférait encore les vols pilotés et le Model 235 n’a pas eu de carrière notable. Il a quand même volé, en 1974, pendant 17 heures et 24 minutes à plus de 55 000 pieds, puis a fini sa carrière au musée de l’USAF en septembre 1979. Il n’empêche : en 1980, les américains disposent de drones de reconnaissance performants fonctionnant avec un réacteur fiable. Pourquoi en sont-ils revenus à des modèles à hélice pour les missions de moyenne altitude ? Mystère et boule de gomme. A moins d’avoir de sérieux appuis politiques dans le milieu du lobby de la guerre, on ne voit pas comment une firme minuscule va réussir à se frayer un chemin pour devenir le premier fournisseur de l’Air Force en matière de drone guidé. C’est oublier qu’aux Etats-Unis, si l’on s’approche assez de la tête gouvernementale, tout est permis. Surtout si on est une entreprise qui a longtemps fricoté avec des magnats du pétrole texan !
Car le Predator qui est dans tous les magazines aujourd’hui (jolie propagande anglaise !) est en fait issu d’un engin fort méconnu, le "Gnat", lui-même un développement d’un modèle plus ancien appelé "Amber" : contrairement à ce qu’on a pu penser, l’engin n’est donc pas récent du tout. Le projet date des années 80, où la DARPA qui souhaitait avoir un UAV, avait confié à une petite firme un projet secret de drone. C’est Leading Systems Inc. (LSI) qui avait été sélectionnée, une petite et obscure entreprise qui fit voler son Gnat 750 Amber, en novembre 1986, au nom de l’aussi obscur programme Teal Rain. Tout le démarrage du projet nage dans le flou des intentions et des crédits alloués : visiblement, ça joue dans la catégorie "Black project". En fait, il a avait deux options possibles sur un engin beaucoup plus petit que l’actuel, (8,99 d’envergure pour 4,52 de long) : une version A45 avec une tête explosive à l’avant et un corps qui se séparait de l’aile lors de l’attaque, et un modèle B-45 qui n’était qu’un drone de surveillance, ressemblant fort extérieurement à l’actuel avec sa queue en V inversé et son avant bosselé. L’engin était propulsé par un Rotax 582 : un moteur deux temps, à deux cylindres seulement et à carburateurs Bing, marchant à l’essence d’auto et à l’huile, déversée seule par injection. A savoir que le mélange de carburant ne se fait pas avant mais pendant : ce n’est pas tout à fait un moteur de Solex inutile de secouer le bidon de Solexine ! Le Rotax est répandu et très utilisé sur les ULM . Mais aussi sur les Skidoos (depuis 1962 ) ! et par les autres engins motorisés du Bombardier Recreational Products tels les... jet-skis Seadoo ! C’est un moteur classique, en réalité, inventé en Autriche par une firme née en 1920. On est très loin de la série à réacteur fort réussie des Firebee !!!
On ne verra pas la photo de l’Amber avant 1988 : les informations à son sujet ont été tout de suite classées "Secret Défense" : on apprendra ainsi qu’il a déjà fait à cette époque des missions de 38 heures de vol. Mais en 1990, l’administration gèle tous les développements de l’Amber, faut d’avoir trouvé des crédits pour le construire en masse. Rayé des listes du Pentagone, Leading Systems Inc tente bien de continuer seule le développement de son drone... mais s’effondre financièrement faute d’avoir trouvé des acheteurs : personne ne croit en effet à l’utilité de ce drôle d’oiseau ! La firme est alors rachetée par General Atomics ; une société fondée en 1955 à San Diego en Californie : c’est en fait une subdivision de General Dynamics. Une société à l’existence assez chaotique, en fait. Elle fut vendue par son créateur en 1967 à Gulf Oil, pour devenir Gulf General Atomic, qui va diviser ses parts avec Group’s Scallop Nuclear Inc, une division de... Shell. On reste dans le pétrole. L’histoire des liens avec le pétrole n’est pas finie pour autant : en 1984, c’est Chevron qui prend le contrôle de lors de sa fusion avec Gulf Oil. Revendue en 1986, la firme est enfin rachetée 60 milions de dollars par Neal et Linden Blue, deux frères passionnés d’aéronautique, qui laissent la direction de l’entreprise à Thomas J. Cassidy Jr, un ancien amiral de réserve : c’est lui qui va pousser les drones dans son entreprise. Les frères Linden vont transformer leur rachat en vraie mine d’or, grâce certainement à quelques soutiens fort bien placés... Ça y est, on tient une partie de l’explication de l’omniprésence de ces engins dans les stocks actuels du Pentagone.
Ce qui tombe bien pour eux.. c’est la guerre en Yougoslavie : en 1993, le Joint Chiefs of Staff réclame à corps et à cris un UAV pour aider les forces de l’ONU. L’armée se tourne vers General Atomic, qui lui propose un Gnat-750-45, mais comme les choses trainent avec les miltaires et leurs tergiversations administratives, c’est un autre organisme qui va pousser à la roue pour que ça aille plus vite, car elle aussi en a un sérieux besoin : c’est la CIA ! L’engin devient alors un as "I-MAE" (Interim Medium Altitude Endurance), et se nomme désormais "Gnat-750-45 Tier 1". Une volonté politique de passer au-dessus du fonctionnement du Pentagone est apparue. Deux appareils sont achetés et l’un est vite perdu en vol, mais le second est à pied d’œuvre sur une base secrète US en Albanie à partir de 1994. L’Albanie, qui regorge de bases secrètes de l’ancien régime ! C’est l’opération Nomad Vigil. basé à Gjader, Albanie, là où l’on trouve les fameux Migs dans les tunnels ! La CIA les a-t-elle utilisés, ces tunnels ? Très certainement ! Un avion-relais doit être à l’époque utilisé, car l’émetteur du drone est faible. C’est l’incroyable RG-8 Schweitzer, descendant des études de René Fournier, qui ne peut tenir que deux heures en l’air : le système est donc loin d’être parfait. Le drone tient l’air jusque 38 heures, mais n’est efficace que pendant deux... Alors que les Ryan-Teledyne étaient tout le temps en communication avec leur pilote... dès les années 70.
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