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Accueil du site > Tribune Libre > Banlieues françaises : il est temps de faire tomber le « mur de Paris » (...)

Banlieues françaises : il est temps de faire tomber le « mur de Paris » !

Supprimer la banlieue en étendant Paris à sa petite couronne (passant ainsi de 20 à 40 arrondissements et ajoutant 2 millions de Parisiens à la ville) et en enterrant le périphérique, soit faire tomber le « mur de Paris ».

Les banlieues sont bien entendu partout en France. Chaque grande ville a sa couronne de faubourgs, comme on les appelait autrefois. Et depuis une trentaine d’années, nombre de ces banlieues incluent des quartiers qui se sont transformés en ghettos, où la France a entassé un grand nombre d’immigrés et leurs enfants.

Parallèlement, conscients du caractère explosif croissant de ces zones de sous-citoyenneté, dépourvues du minimum de services publics (éducation, santé, culture, sport...) disponibles aux autres Français, et rongées par un chômage massif, les élites françaises et l’État ont alternativement utilisé la charité et le « politiquement correct » (les socialistes), ou bien la force (l’UMP) pour acheter/imposer un calme relatif des banlieues.

Aucun projet de long terme, mobilisant le pays lui-même face à un problème structurel mettant en danger le tissu social français, n’a jamais été développé, et encore moins mis en œuvre. Pourtant, comme tout en France commence et finit à Paris (pour le pire comme pour le meilleur), on peut imaginer un projet fort, qui permette de résoudre le problème durablement : supprimer la banlieue en étendant Paris à sa petite couronne (passant ainsi de 20 à 40 arrondissements et ajoutant 2 millions de Parisiens à la ville) et en enterrant le périphérique et les principales entrées d’autoroutes dans la capitale, c’est-à-dire faire tomber le « mur de Paris » qui, à lui seul, incarne le fossé entre les deux mondes du centre ville et de la périphérie.

Mais avant de revenir plus en détails sur cette proposition, revenons sur la nature même de la crise actuelle.
La question des banlieues est emblématique en France, non pas de l’échec du modèle d’intégration, qui fonctionne bien pour l’immense majorité des enfants d’immigrés[1] ; mais d’une incapacité des élites, de l’État et de la société française à affronter efficacement la réalité du XXIe siècle.
S’il y avait eu échec du modèle d’intégration « à la française », ces jeunes auraient manifesté au nom de l’Islam, ou pour le port du foulard islamique à l’école. Mais ils ne l’ont pas fait, et bien au contraire[2] ils demandent l’égalité de traitement avec les autres Français.
En effet, avec son taux de mariage mixte de 25% (contre pratiquement quelques pour cent pour les minorités turques en Allemagne, ou presque rien pour les communautés pakistanaises au Royaume-Uni), avec la mixité des « bandes » qui manifestent (chose impensable dans les pays qui ont choisi le multiculturalisme avant de l’abandonner ces dernières années, à la suite des prises de conscience post-11 Septembre qu’il était totalement inadapté à la situation européenne), le modèle français continue à être une solution qui fonctionne plutôt bien.[3]

Les problèmes se posent ailleurs. Ils tiennent à une maladie beaucoup plus fondamentale de la société française, qui prend la forme du renoncement de ses élites à affronter les problèmes essentiels, du renoncement de l’État à jouer son rôle sur l’intégralité de son territoire, du renoncement de la société dans son ensemble à reconnaître que l’intégration «  à la française » a des contraintes, dont celle d’assurer une égalité de fait, et pas seulement formelle, à tous ses citoyens.
D’une certaine manière, cette absence de projet collectif, et de son corollaire, une vision d’avenir, à savoir la nécessité d’un effort collectif, d’un partage des efforts comme des résultats, touche aujourd’hui bien d’autres domaines que celui des banlieues. La disparition de tout projet français pour l’Europe en est un autre exemple, dû lui aussi à une cause centrale : le renoncement des élites à affronter la réalité pour se vautrer dans des luttes de pouvoir internes, au sein de leurs partis, de leur appareil d’État et de leurs centres villes bien confortables.

Le gouvernement actuel, et son ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, en particulier, porte une responsabilité essentielle dans le déclenchement des émeutes récentes. En tenant un discours provocateur et purement répressif, pour des raisons électoralistes (séduire l’électorat du Front national), ce dernier est en train de connaître le destin de tous les apprentis sorciers, en se brûlant lui-même, et en se faisant demain dépasser sur sa droite par plus démagogue que lui (voyez de Villiers). Parallèlement, en essayant d’introduire de manière répétée des composantes du modèle multiculturel, qui a pourtant échoué partout en Europe (l’Allemagne, la Belgique, la Hollande l’ont désormais abandonné), via sa tentative de lier intégration et communautarisation, notamment religieuse, ou celle visant à privilégier la discrimination positive qui ne sert là encore que la communautarisation, il a constamment porté ses dernières années des coups au processus d’intégration qui a lentement mûri à travers 150 ans d’immigration en France.
Parallèlement, les années Chirac sont marquées par l’inexistence d’une tentative, même vague, de résoudre le problème de la "ghettoisation" de certaines banlieues. Là encore, en jouant sur l’insécurité pour discréditer son opposition de gauche, il n’a fait que servir son opposition de droite, sans rien résoudre. Il a même fait pire, en empêchant l’éclatement de ces ghettos via l’obligation pour chaque commune d’accueillir des logements sociaux. Le refus d’imposer cette obligation aux communes riches est un exemple flagrant d’irresponsabilité politique. Quant à la gauche, l’exemple du PS actuellement, préoccupé par ses querelles internes et votant des lois d’urgence, en dit long sur sa déconnection de la réalité.
Gouverner, c’est prévoir. Et diriger, c’est orienter. Depuis près de deux décennies, il n’y a plus ni prévision, ni orientation au sommet de la France. Il n’y a plus que l’apparence du gouvernement et l’illusion d’une direction.
C’est donc bien l’ensemble des élites politiques (mais médiatiques et culturelles aussi, qui entretiennent des relations quasi-incestueuses avec la première) qui sont responsables de ce renoncement, de ce refus infantile d’affronter la réalité en laissant les gens se débrouiller avec elle, au jour le jour.
Pour rester tranquilles, ces élites se contentent de beaux discours, d’un peu de subventions et de supplétifs (travailleurs sociaux ou policiers) pour faire le sale travail. G.W. Bush et Tony Blair n’ont rien fait d’autre avec l’Irak et leur prétention d’y apporter la démocratie. Dans nos banlieues, c’est l’égalité et la fraternité que travailleurs sociaux et policiers sont censés apporter.

Le problème des banlieues tient donc lui aussi essentiellement dans la remise en marche de la démocratie, qui impose aux élites de répondre aux attentes des citoyens et aux problèmes de la société, tout en proposant à ses citoyens des solutions qui rassemblent, qui respectent les valeurs de cette même société, et qui permettent un jeu à somme positive, où tous les acteurs gagnent, à condition qu’ils partagent les efforts communs.

Alors, si Paris joue bien son rôle d’entraînement du pays, c’est à Paris que doit commencer la transformation. Le gouvernement, l’État (car la haute administration doit également jouer son rôle d’impulsion) et les Parisiens doivent faire une offre irrésistible, emblématique et à la fois porteuse de changements concrets, à la mesure du défi. Après 150 ans d’immobilisme, la frontière de Paris doit à nouveau bouger. Elle doit le faire rapidement et massivement, pour rattraper 150 ans de sclérose urbaine (le dernier arrondissement de Paris, le XXe, a été créé en 1860). Les deux millions d’habitants de la petite couronne doivent savoir qu’ils sont bien des Parisiens à part entière, comme le sont leurs homologues de Londres, Berlin ou Rome (car Paris est la plus petite des grandes capitales européennes, avec deux millions d’habitants contre 2,6 à Rome, 3,5 à Berlin et plus de 7 millions à Londres). Parallèlement, en devenant Parisiens, habitant d’un des vingt nouveaux arrondissements, outre leurs nouveaux pouvoirs politiques obligeant le maire de Paris a désormais prendre en compte leurs attentes (au lieu de se limiter à les inviter à Paris-Plage quand les Parisiens sont ailleurs en vacances ; ou comme son prédécesseur, Tibéri, à dépenser des sommes folles pour son petit 5e arrondissement), ils découvriront le cœur du vaste projet de reconstitution du tissu urbain du « Grand Paris », à savoir l’enfouissement du périphérique et des principales entrées autoroutières dans la capitale, afin de restaurer la fluidité des relations entre le cœur de Paris et son corps.

Voici l’axe d’une proposition, très « newropeans » dans son esprit, qui, s’inspirant de la situation des autres capitales d’Europe et de la situation réelle des modèles de gestion de l’immigration dans l’UE, peut ouvrir une vision d’avenir concernant l’une des grandes capitales de l’UE. Une telle réponse au problème des banlieues parisiennes aurait un effet d’entraînement immense pour les autres villes françaises, et dans d’autres métropoles européennes.
Par ailleurs, elle donne une orientation à la politique de l’UE en la matière afin d’éviter que le milliard d’euros dont a parlé hier le président de la Commission européenne Manuel Barroso ne finisse à nouveau en projets éphémères ou en palliatifs sans avenir.
C’est un projet sur dix à vingt ans, qui peut mobiliser durablement une génération entière de citoyens, d’élus locaux, d’associations, d’experts, d’architectes, d’urbanistes, de fonctionnaires et de politiciens nationaux.

Les Allemands et les Berlinois ont su faire en quinze ans de leur ville divisée et meurtrie une des plus modernes et agréables capitales d’Europe. J’ose croire que les Français et les Parisiens seront assez audacieux et compétents pour faire «  tomber leur mur », périphérique celui-ci, et affronter directement le défi de bâtir une capitale du XXIe siècle, au lieu d’entretenir une relique du XIXe.


[1] et dont cette révolte des jeunes contre les inégalités dont ils sont victimes est un exemple parfait, en phase avec la tradition politique française, comme l’indiquait récemment Masha Loyak dans les colonnes de Newropeans-Magazine.
[2] N’en déplaise à nombre d’éditorialistes internationaux et français.
[3] Lire à ce sujet l’interview d’Emmanuel Todt "Rien ne sépare les enfants d’immigrés du reste de la société"
dans Le Monde du 12/11/2005.

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7 réactions à cet article    


  • Véronique Anger-de Friberg (---.---.206.62) 29 novembre 2005 10:40

    A propos d’intégration, je vous recommande également la pertinente analyse de Luc Bronner publiée dans Le Monde (édition du 27/11/05) : « Les ghettos et le rejet de la mixité sociale ».


    • Proof OK (---.---.28.210) 29 novembre 2005 14:06

      Une des specialistes des pays communistes etait de construire des PANELS ou PANELAKS (HLM en Russe ou autres langues soviets)ou s’entaissaient les heureux camarades. Une des specialites des communistes français a ete de recopier ce MODELE dans les banlieues dont le 93 !. Le Modele communiste sovietique s’est ecroulé il y a 15 ans. Le modele des camarades du 93 ne s’est pas encore ecroule !


      • Yves (---.---.63.53) 29 novembre 2005 17:07

        ... mieux que le commentaire précédent en tous cas !!

        Il me semble peu probable que Neuilly, Boulogne, Vincennes et Saint-Mandé acceptent de bon coeur leur intégration à Paris.

        Ce qui m’amène deux constats : tout d’abord, en dehors du plaisir purement intellectuel, quel est l’aboutissement d’une proposition qui, disons le clairement, ne pourra jamais aboutir ? Ensuite, il existe des ghettos dans Paris. S’il y en a plus encore en dehors de Paris, c’est surtout pour des raisons historiques d’abord (urbanisation délirante) et financières : l’augmentation des prix immobiliers pousse peu à peu les populations pauvres au plus loin du coeur des villes, selon un processus bien connu. Intégrer les proches banlieues dans Paris est donc à mon avis impossible, mais serait de plus inefficace. Ils ne naissent pas parce que c’est la banlieue (ni à cause de la gangrène rouge, n’en déplaise à Proof).

        D’autre part, des phrases du genre « Le gouvernement actuel, et son ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, en particulier, porte une responsabilité essentielle dans le déclenchement des émeutes récentes » ressemble plus à une vérité divine qui nous est assénée qu’à un raisonnement. On ne peut pas dire que cela soit constructif, ni même que cela colle à la réalité des faits. Par contre, ça doit sûrement coller à vos fantasmes.


        • Frédéric (---.---.135.119) 29 novembre 2005 17:34

          En revanche, en ce qui concerne l’auteur du commentaire sur la soi-disante ’impossibilité’ de la proposition présentée dans l’article, on ne peut que supposer qu’il appartient à ce petit monde parisien des élites qui ont décidé une fois pour toute (jusqu’à ce qu’elles soient renversées) qu’elles avaient le monopole de la distinction entre le ’possible’ et l’’impossible’. Franchement, ce commentaire est tellement aberrant qu’on imagine très bien son auteur vivre parfaitement bien dans la ’caverne de Platon’. enchaîné ... mais heureux ... car comment pourrait-on vivre autrement qu’enchaîné ! Pour le reste, la valeur de son jugement politique se résume au fait qu’il ne faut pas froisser Neuilly pour imaginer les solutions aux problèmes de la région parisienne et de la France ! Pourquoi pas de l’Europe aussi ? Bel exemple de ce que décrit l’auteur de l’article : des élites parisiennes provincialisées qui pensent que les arrondissements du centre de Paris sont le centre du monde, et que Neuilly c’est l’alpha et l’omega du pouvoir d’influence. Autrement dit, des caricatures d’élites qui font rire toute l’Europe et le reste du monde, quand elles étalent par ailleurs leur prétention à incarner la France, son histoire et son avenir. Comme disaient Napoleon et De Gaulle, le problème de la France c’est qu’elle a un peuple de premier choix, mais des élites de seconde catégorie. Ce que l’auteur de l’article souligne, et l’auteur du commentaire mentionné illustre !


          • (---.---.13.204) 14 décembre 2005 21:48

            Mais on dirait que les mêmes commentaires sur l’impossibilité soient servis à la même sauce sur le site du magazine qui a proposé ce même article ... On n’aime pas trop la critique on dirait.

            Moi je suis plutôt de l’avis du message avant le vôtre. C’est utopiste et surtout ça sert à quoi ? A rien. Ni plus ni moins


            • (---.---.126.15) 24 janvier 2006 14:02

              N’est-il pas réducteur et facile de penser que le seul malaise des jeunes est celui des banlieues ? Mettez donc en parallèle le taux de chômage des jeunes dans certaines régions, les premières causes de mortalité chez les jeunes(suicide, accident de la route, alcool, drogue)et vous verrez que même dans nos campagnes les jeunes s’autodétruisent pour les mêmes causes. Un témoinage :« mon fils était l’ami des deux jeunes qui ont tué toute une famille de la région parisienne et se sont tués eux-mêmes lors d’un choc frontal en 2005 dans l’ouest de la France. Il vient de se faire retirer son permis lors d’un contrôle d’alcoolémie... » Moralité : cela ne suffit pas de perdre des amis lors d’un accident effroyable...


              • Une de ces cités des banlieues (---.---.211.92) 28 janvier 2006 17:28

                1) Il n’y a pas que les jeunes qui se suicident, qui provoquent et meurent dans les accidents de la route, qui fument et boivent, ou qui trucident leur famille et leurs prochains. Et la faute à qui quand c’est un jeune ? 2) Toutes les grandes villes européennes ont petit à petit étendu leurs périphéries pour englober leurs banlieues. A Paris c’est tout le contraire. Cette ville est tellement arrogante qu’elle en est à se reconstruire son « mur », empêchant son accès à tous ces banlieusards qui la traversent, parce que du nord au sud ou d’est en ouest c’est tout de même plus simple de prendre la ligne droite que de faire tout le tour, viennent y travailler, y faire des courses, sortir, avoir du plaisir. C’est tellement compliqué et frustrant de se rendre à Pais, dans la capitale, à la ville, qu’on a vraiment envie de tout casser quand enfin on y est ... eh oui, c’est la frustration qui conduit à des actes violents et non pas parce que les banlieusards ou les jeunes sont nés comme çà. Ce qui par ailleurs permet d’expliquer beaucoup de choses dans la crise des banlieues. 3) Et enfin quand on est une capitale il faut savoir assumer ses responsabilités, or ce n’est absolument pas le cas, Paris ne se préoccupe que de Paris. Mais c’est bien à Paris que se concentrent tous les pouvoirs décisionnels français, gouvernement, parlement, justice ? Alors comment voulez-vous ne pas faire le lien entre la crise des banlieues, Paris, Neuilly et Sarkozy ?

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