Bayrou, Hollande, les tartuffes et les sans-culottes d’une crise qu’on va tenter de dévoiler
Ce mardi 14 octobre 2008, réunis en Assemblée, les députés ont voté le plan Sarkozy pour résoudre la crise financière d’octobre. L’UMP a voté pour, le MoDem également, les socialistes se sont abstenus. De quoi justifier une petite analyse de ce qui, sans doute plus tard, apparaîtra dans un schéma historique plus net comme un événement marquant.
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La technique est dévoilement disait Heidegger. Allons un peu plus loin. Les crises de la technique sont les moments d’intense dévoilement. Cela est vrai pour le mal de dos (quand il est aigu). La sagesse populaire dit qu’on en a plein le dos. La crise financière et ses suites politiques participent sans doute d’un dévoilement. Mais lequel ?
Soyons clair (plus que ne l’a été François Hollande). Il est question d’une chose bien définie. Le plan Sarkozy, débattu au Parlement ; un plan qui se juxtapose au plan Brown chez nos amis britanniques et au plan Merkel chez nos copains germaniques, et aux plans d’autres pays de la zone euro. Tiens, au passage, étrange, dans les pays européens qui ne sont pas dans l’eurogroupe, il n’y a pas de plan. Ces pays ne sont pas touchés par la crise, sans doute. C’est plausible. Nous savons tous que la France a été épargnée par le nuage de Tchernobyl. Venons-en à la présentation des faits et des positions en présence.
La question posée à l’Assemblée est simple. Faut-il un voter un plan d’urgence pour subvenir à un éventuel effondrement du système financier qui, contrairement à 1929, n’a pas été mis dans la panade par l’économie ou, du moins, l’a été, mais pour une faible contrepartie, quoique quelques signes de récessions sectorielles soient avérés, comme GM, mais cela concerne les Etats-Unis. Tout est si complexe et entrelacé, les crédits, la solvabilité, la liquidité. Pourtant, on peut raisonnablement penser que la finance s’est coulée elle-même, dans un contexte mondial marqué tout de même par une moyenne de 4 points de croissance. En fait, ce sont les Etats-Unis qui sont dans la plus grosse merde. Examinons les positions face à la question posée.
Les eurenthousiastes. Là, pas de problème, ils suivent Sarkozy, ils vénèrent son sens de la réactivité, ainsi que celle des partenaires européens. Ce plan pourrait même valoir un prix Nobel tant il est génial. Pourtant, le bon sens populaire se dit que son principe est simple. Que de tergiversations inutiles. Et des fonds commun, et des instances à surajouter, et des arbitrages chargés de disputes à venir. Pourtant c’était simple. A chaque pays de nettoyer la merde dans laquelle se sont plongées les banques et assurances. Le gars basique connaît ça. Quand la neige est tombée, il balaie devant son trottoir et son voisin fait de même. Eventuellement, il donne un coup de main à la vieille qui avec ses 90 balais n’a plus la force pour retirer la neiger. Mais ce n’est pas le fond de la question. A-t-il neigé ? Voilà la question. Autrement dit, la situation est-elle si critique qu’il faille voter ce plan ? Ce n’est pas sûr. On peut même penser le contraire. N’empêche que François Bayrou n’a pas hésité. En dévot de l’européisme. Votant pour cette fierté, cet orgueil européen et, en filigrane, notre poil à gratter du MoDem se dit qu’il avait raison face aux eurosceptiques qui ne l’ont pas suivi en 2005. Tellement enivré de sa fierté personnelle, il a mis en suspens son analyse de la crise et… au bout du compte, il a dévoilé son contenu idéologique, réduit à peu de choses, à la croyance au signal fort de la France face à l’Europe, voulu par Fillon, un signal décliné tel un salut bras tendu à l’Europe de l’économisme. Heil euro ! Sur cette question qui n’a rien d’un point de détail, il a suivi le président. Mais, sur le cas Tapie, il continue sa croisade, faisant de cet épisode, réglé entre un Rastignac des affaires et des banquiers lyonnais pas très honnêtes, une affaire d’Etat. Et dire que ce M. Bayrou prétend être chef d’Etat. Laissons cette farce aux scénaristes qui auront là un remake de la tartuferie. J’ai une pensée pour les militants du MoDem. Je plains ces gens-là, auxquels j’adresse ma plus sincère compassion. Pour finir avec ce volet, notons la réaction de Luc Chatel fustigeant le PS de ne pas avoir voté ce plan alors qu’il a été défini par l’Europe. Traduction, tout ce qui est décidé par les instances européennes est aussi sûr que l’infaillibilité pontificale. Ce détail passera inaperçu, pourtant il traduit la montée en puissance d’un « nationalisme européen » pratiqué par les élites et dont on ne sait pas quel sera son impact sur les peuples et les masses. Nous ne sommes plus en 1933.
Les éco-sceptiques. Qui sont aussi les éco-désabusés. Ils ne sont pas nombreux. Ce qui est logique vu qu’ils sont parmi les plus lucides. L’un des plus connus est JM Aphatie, sévissant sur RTL et Canal. Il a trouvé une formule juste à propos du plan Paulson. Ce plan est une horreur, mais ne pas le voter conduirait à la catastrophe. Même raisonnement pour le plan des Européens. JM Aphatie est pugnace. Il a apprécié comme je l’ai fait le premier vote négatif des représentants du Congrès américain. Quand on a des convictions, de la gueule, des couilles, on dit merde à la présidence. Cela dit, relativisons car la majorité risque de bouger chez nos amis yankees. Mais nous, Français, sommes dans le cas d’une majorité qui gouvernera trois ans et demi.
Les coléreux gauchistes. Ceux-là sont résolument contre le plan Sarkozy. Certains ont lu le bouquin cosigné par Sartre, on a raison de se révolter. Quoique ce n’est pas vraiment une révolte, mais une défiance. Un refus. Evidemment, on ne trouvera personne parmi les élites pour s’opposer au plan Sarkozy. Les PS étant tartuffes et sans-culottes, nous verrons pourquoi. Seul le PC a voté contre. Comme l’auraient voulu les gens auxquels s’adresse ce parti, des gens qui ont de modestes revenus, une épargne sur le livret A, parfois un salaire assuré de fonctionnaire modeste, bref, pas de quoi craindre pour son épargne. Ces gens ne sont pas dupes. On leur a fait croire qu’il fallait débloquer 360 milliards pour sauver le système et leur situation. C’est un mensonge. C’est même le contraire si ça se trouve. Les plus précaires vont faire les frais de la casse économique qui se dessine. J’aime bien les gens du PC, je les croise sur le marché. Ils ont souvent ce côté généreux de l’humanisme basique, sans le côté gâteux de l’armée du salut.
Le cas du PS. Ce 14 novembre, François Hollande s’est exprimé sur l’abstention face à cette question. C’est grave. Les socialistes n’ont pas voulu prendre position sur un sujet aussi grave. Ne pas prendre position, c’est avouer en filigrane qu’on ne sait pas trancher sur un problème aussi crucial et, par voie de conséquence, c’est dévoiler à nos concitoyens que le PS ne peut plus être un parti qui gouverne. Nul n’engagerait un capitaine de navire qui ne sait pas dans quelle direction barrer lorsque le bateau dévie par la tempête. Le numéro d’Hollande face à JM Aphatie, le pugnace Basque, a été édifiant. Bien évidemment qu’Aphatie avait l’ascendant sur un premier secrétaire qui cherchait à botter en touche en expliquant l’abstention par le fait que le plan Sarkozy n’était pas assorti d’un plan social. Mais ce n’était pas question posée et, malgré tout le jeu d’acteur de Hollande cherchant à embrouiller son questionneur, Aphatie ne s’est pas laissé berner. Maintenant, PS signifie, Parti des sans-culottes. Terme bien nommé puisque les sans-culottes à la Révolution ne savaient pas quel système économique défendre. Le sans-culotte est épris d’égalitarisme et méprise la richesse. N’est-ce pas là un signe de distinction du citoyen Hollande ?
La minute de vérité. Pour autant qu’il y ait une vérité. Nul ne peut affirmer que le plan Sarkozy s’imposait. Et si c’est le cas, il est moins urgent que le plan Paulson dont on doute également de sa légitimité. Tout repose en fait sur des incertitudes. Est-ce le principe de précaution en œuvre en vue de nous prémunir d’une catastrophe financière puis économique ? Rien n’est fiable. Et en pareille situation, la prudence veut qu’on ne fasse pas confiance aux gouvernants et aux économistes. Cette crise est sublime, elle est la crise de la confiance. On n’a pas le sentiment que les intervenants sont honnêtes, pas plus les financiers que les politiciens. Junker affirmait il n’y a même pas quinze jours que les institutions financières européennes n’avaient pas besoin de plan. Même l’Elysée qui démentait un plan de 300 milliards alors que, dix jours plus tard, nous en sommes à 1 700 milliards pour la zone euro.
Si Raymond Aron était parmi nous, il nous aurait bien renseigné sur les manœuvres actuelles, ces déplacements des pouvoirs économiques, d’une zone à une autre, mais aussi des institutions privées vers les Etats. Il nous aurait expliqué que c’est le même système. Comme il expliquait dans ces fameuses leçons sur la société industrielle qu’il n’y avait pas de différences essentielles entre le système soviétique et le système libéral. Les Etats peuvent bien prendre une part dans la finance en 2008, ce sera en dernier ressort le même système de domination des élites qui sera en place. Les Etats sont des acteurs économiques comme les autres. Ils peuvent même jouer en ayant des leviers que ne possèdent pas les établissements privés (l’Etat ne fait jamais faillite), avec des connivences avec les banques centrales, des connivences bien connues avec la Fed et qui semblent se dessiner en Europe avec la BCE. De quoi réjouir les partisans de l’économie régulée qui, si elle évite la crise, ne remet pas en cause la domination des élites. Elle ne fait que déplacer les bénéficiaires du système. Eh oui ! Cette crise aurait pu susciter un débat de société. Qui n’aura pas lieu. Alors attendons la prochaine crise. Ou alors l’endormissement des masses. Drôle d’issue, mais le grand soir de cette farce politique, n’est-ce pas aussi le grand sommeil pour les masses ? Quand la nuit tombe, les braves gens s’endorment. Sauf les brigands.
La minute ésotérique. A prendre avec recul. Quand un organisme est secoué par une crise latente, certains thérapeutes font en sorte d’accentuer la crise de telle manière qu’elle soit aiguë, que ça secoue, afin que les mécanismes naturels de compensation fassent leur effet en ayant à sa disposition la cognition sur la nature de cette crise. Je ne suis pas loin de penser qu’il aurait fallu laisser la crise financière se dérouler. C’est là l’ultime point de vérité. Mais c’est aussi la révélation des limites car notre société n’a sans doute pas les mécanismes cognitifs pour contrer la crise. Une simple question à l’Assemblée devient une question métaphysique. C’est génial. Notre corps et notre mental qui savent souvent faire face à une crise. Et une société ?
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