Bénéfices inattendus : Le maïs Bt réduit aussi le recours aux pesticides dans les cultures légumières voisines
Bénéfices inattendus :
Le maïs Bt réduit aussi le recours aux pesticides dans les cultures légumières voisines
André Heitz
Membre du Collectif Science-Technologies-Actions (https://sciencetechaction.
La doxa veut que les OGM présentent des risques nouveaux. Ce que la science ne confirme pas. Admettons cependant que des effets inattendus puissent se produire. Mais pourquoi ne seraient-ils pas bénéfiques ? C’est précisément ce que montrent des études aux États-Unis.
L'« effet halo » du maïs Bt (qui se protège contre des insectes ravageurs) sur les cultures de maïs non Bt
Il y a quelques années, la publication de William D. Hutchison et collaborateurs, « Areawide suppression of European corn borer with Bt maize reaps savings to non-Bt maize growers », montrait que la suppression à grande échelle de la pyrale du maïs grâce au maïs Bt produit aussi des économies pour les producteurs de maïs non Bt.
Les auteurs avaient même conclu sur la base d'une étude portant sur la campagne 2009 – le maïs Bt occupait alors 63 % de la sole états-unienne – et les campagnes antérieures que ceux qui profitaient le plus de la révolution technologique du maïs Bt étaient ceux qui la... boudaient :
« Les bénéfices cumulés sur 14 ans sont estimés à 3,2 milliards de dollars pour les producteurs de maïs de l'Illinois, du Minnesota et du Wisconsin, dont plus de 2,4 milliards de dollars pour les producteurs de maïs non Bt. Des estimations comparables pour l'Iowa et le Nebraska donnent un total de 3,6 milliards de dollars, avec 1,9 milliard de dollars pour les producteurs de maïs non Bt. Ces résultats confirment les prédictions théoriques de la suppression des populations de ravageurs […]. »
L'explication est simple : les producteurs de maïs non Bt ont profité de la réduction générale de la pression des ravageurs et obtenu des rendements plus élevés (du fait de la diminution des pertes) et, le cas échéant, de la réduction des mesures de lutte contre la pyrale, sans supporter le coût plus élevé des semences transgéniques. Bien évidemment ils n'ont été gagnants que parce que d'autres ont consenti à l'investissement dans les variétés GM. Ils ont profité d'un « effet halo ».
Cet effet est à double sens. Ici, le maïs Bt contribue au bon état sanitaire des cultures voisines non Bt. Là, un champ bien tenu subit un salissement ou une contamination par des champs voisins qui le sont moins ou pas du tout.
Notons incidemment que l'effet halo positif existe pour beaucoup de mesures de protection phytosanitaires. L'agriculture biologique en profite aujourd'hui (comme les personnes non vaccinées profitent de la couverture vaccinale du reste de la population quand celle-ci est suffisamment large). Sera-ce encore vrai demain quand les surfaces en bio auront augmenté conformément aux ambitions de la filière et du gouvernement ? C'est une question qui doit être posée – y compris pour une agriculture conventionnelle contrainte par le plan Écophyto à réduire sa protection phytosanitaire –, mais c'est un autre débat.
Une nouvelle étude montre que l'« effet halo » du maïs Bt s’exerce aussi sur les cultures d'espèces différentes
Une équipe menée par Galen P. Dively (et comprenant aussi William D. Hutchison comme dernier auteur de la liste) vient de faire un pas de plus. La suppression régionale de deux ravageurs du maïs profite aussi aux producteurs de légumes (« Regional pest suppression associated with widespread Bt maize adoption benefits vegetable growers »).
Ils écrivent en tête d'article :
« Importance
L'adoption à l'échelle de la région de Bacillus thuringiensis (Bt) supprime les ravageurs au niveau régional, avec des déclins qui s'étendent au-delà des cultures Bt dans des champs de cultures non Bt. Les avantages hors site pour les cultures maraîchères d'une telle suppression n'ont pas [encore] été documentés. Nous montrons que l'adoption généralisée du maïs de grande culture Bt est fortement associée à une diminution marquée du nombre de traitements insecticides recommandés, des traitements insecticides et des dégâts aux cultures légumières aux États-Unis. Ces impacts positifs pour les producteurs, y compris les producteurs bio, dans le paysage agricole augmentent les effets écologiques connus de l'adoption du Bt. »
Pour être plus précis, sur la base de données couvrant la période pré-Bt 1976-1995 et la période Bt 1996-2016 et portant sur les États du centre du littoral de l'Atlantique, les auteurs ont montré un effet positif de la suppression régionale de la pyrale (Ostrinia nubilalis) et du ver de l'épi de maïs (Helicoverpa zea) – un polyphage malgré son nom – sur les cultures de poivrons, de haricots verts et de maïs doux.
Ainsi, la réduction de la pression des ravageurs a permis aux producteurs du New Jersey de réduire le recours aux insecticides de 79 % pour le maïs doux et de 85 % pour les poivrons entre 1992 et 1996.
Cette évolution est évidemment profitable pour les producteurs, mais aussi favorable à la biodiversité, notamment à l'entomofaune qui, auparavant, était touchée par des insecticides à spectre plus large que le ravageur à contrôler. De plus, les auxiliaires ainsi préservés exercent une pression sur d'autres ravageurs.
Saurons-nous évoluer et en profiter en Europe ?
En soi, le phénomène n'est pas surprenant ; il a déjà été rapporté (par exemple ici), mais c'est, semble-t-il, la première fois qu'il a été documenté par une étude de grande ampleur. Ce qui est remarquable, en revanche, c'est son importance dans ce cas précis (du reste, il serait intéressant d'avoir une étude similaire sur les effets induits du cotonnier Bt en Inde).
Et l'importance de ce à quoi nous avons majoritairement renoncé en Europe du point de vue de la production (en revanche, nous profitons des produits GM importés...). Il n'y a guère que les producteurs de l'Espagne et du Portugal qui bénéficient du maïs MON 810, ainsi que leurs producteurs de porc, par exemple, du fait de meilleurs garanties d'absence de dangereuses mycotoxines.
Les auteurs de l'étude ont souligné à juste titre le bénéfice pour l'agriculture biologique, laquelle a renoncé aux pesticides de synthèse et se trouve souvent confrontée à des difficultés, voire des impasses sanitaires. Ce point est aussi relevé, avec un brin de malice, sur le site de la Cornell Alliance for Science par M. Mark Lynas, un ancien militant anti-OGM qui a fait son chemin de Damas et a présenté des excuses publiques dans un discours retentissant fait à l'Oxford Farming Conference de 2013 (vidéo et traduction française ici).
Se trouvera-t-il des Mark Lynas en France pour contribuer à l'acceptation d'une technologie qui a fait ses preuves ailleurs dans le monde ?
Le blocage européen vis-à-vis des OGM en Europe doit beaucoup au militantisme de l'agriculture biologique – ou plutôt de ses idéologues. Après avoir renoncé aux pesticides de synthèse, à l'aube du mouvement bio, ils ont prononcé le bannissement des méthodes d'amélioration des plantes modernes (la transgénèse et les nouvelles techniques de sélection), et tentent même d'obtenir la mise à mort d'une mutagénèse pratiquée depuis plus d'un demi-siècle.
Bravant les idéologues, M. Urs Niggli, le directeur de l'Institut de Recherche de l'Agriculture Biologique (Forschungsinstitut für biologischen Landbau – FiBL) de Frick (Suisse), s'est prononcé contre une diabolisation générale du nouveau génie génétique.
Se trouvera-t-il des Urs Niggli en France pour contribuer à changer « les termes du débat sur les risques et les opportunités des interventions dans le matériel génétique » ? Notamment pour remettre la recherche publique sur les rails du développement, sans s'arrêter à un « L’opinion publique n’y est pas favorable » ?
Se trouvera-t-il des femmes et des hommes courageux dans le monde du bio pour affirmer que non, un grain de pollen ou une semence transgénique n'anéantit pas la filière bio ?
L'étude déjà un peu ancienne de Hutchison et celle toute récente de Dively montrent que la solution du Bt transgénique utilisée par les agriculteurs conventionnels est (aussi) très profitable pour les agriculteurs bio qui n'y ont pas accès du fait de leur cahier des charges – maintenant gravé dans le marbre législatif français et européen.
La réflexion que doivent mener les producteurs de la filière bio conscients des vrais enjeux devrait s'élargir à ce que sera leur position quand arriveront sur le marché des produits issus des techniques modernes qui répondent à de réels besoins et attentes sociétaux.
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