Bernard-Henri Lévy est-il de gauche ?

Jeudi 4 octobre, interrogé par Frédéric Taddeï, Bernard-Henri Lévy, qui vient de sortir son dernier livre, a confié ses convictions tout en marquant sa fidélité au camp de gauche. Rien d’étonnant à cela, sauf si on prend en compte la pêche à l’ouverture menée par Sarkozy qui attrapa quelques beaux poissons, tout récemment, mais aussi pendant la campagne. On se souvient en effet du ralliement d’André Glucksmann, compagnon de route idéologique de BHL dans les années 1970 avec ses nouveaux philosophes et ses combats contre les totalitarismes. Les raisons de ce ralliement sont connues, notamment quelques prises de position du candidat sur la Tchétchénie et le Darfour, plus quelques voix entendues à Yad Vashem. Ce sont d’ailleurs ces arguments qui ont été mis en avant lors d’un coup de fil de Sarkozy à BHL. Celui-ci commence d’ailleurs son livre en narrant cette banale anecdote où le candidat tente d’attirer dans son camp le plus célèbre des intellectuels français. Mais c’était peine perdue car BHL est restée dans son camp, apportant un soutient critique à Ségolène Royal.
Au cours de la discussion avec Taddeï, BHL a juste fait allusion à ce coup de fil pour ensuite développer, avec son verbe toujours aussi éclatant, les raisons de son positionnement à gauche. Et là, c’est devenu franchement intéressant puisque cela résume le personnage BHL et ses combats. Etre de gauche dans la conception livrée par BHL, c’est se déterminer sur quatre événements historiques qui sont, dans l’ordre, l’affaire Dreyfus, Vichy, la Colonisation et bien évidemment, la Décolonisation sous de Gaulle, enfin, mai 68. Or, nous dit l’intéressé, sur trois de ces points, Sarkozy, homme pour lequel il témoigne sympathie et confiance, a pris des positions incompatibles avec les convictions de gauche défendues par BHL. Brièvement, ce qui est reproché au président, c’est son manque de sévérité (et de reculs ?) à l’égard de Vichy qui, certes, n’a pas inventé la solution finale, mais a tout de même raflé un grand nombre de Juifs pour les envoyer aux camps nazis. Même griefs contre les propos de Sarkozy sur une Colonisation aux méthodes loin d’être irréprochables. Quant à mai 68, BHL a livré son point de vue franchement, trouvant quelque peu délirants les jugements de Sarkozy sur un mouvement étudiant devenu la source de tous les maux dont souffre la France.
Parmi ces quatre événements choisis, trois définissent parfaitement le combat de BHL contre tous les abus de pouvoir, les blessures infligées à l’humanité, quelles qu’en soient les raisons. C’est bien là un engagement du XXe siècle, pour défendre les droits de l’homme et combattre toutes formes de totalitarismes et de violences infligées aux humains pour des raisons politiques, en usant des armes et de la contrainte. Et si mai 68 s’y ajoute, c’est parce que ce mouvement a également joué un rôle dans la contestation des régimes autoritaires ainsi que du parti communiste français, plus stalinien que démocrate à l’époque. Est-ce là la source d’un positionnement à gauche ? Sans doute oui, mais en ajoutant que si la lutte contre les pouvoirs arbitraires est un combat de gauche, la gauche ne se réduit pas à cet élément.
C’est sur ce point que Taddeï est intervenu à propos, questionnant BHL sur un événement fondateur de la gauche qu’il a semblé mettre de côté. En 1936, le Front populaire a conduit Léon Blum au pouvoir. Les congés payés ont été instaurés, marquant un rééquilibrage dans les rapports entre travailleurs et patron. Car la gauche c’est aussi cela, la justice économique. C’est ce volet que BHL a délaissé dans ses combats. Sans doute sa situation d’héritier fortuné l’a mis en porte-à-faux dans cette lutte pour l’équité économique ; mais cela n’explique pas tout. Dans une situation similaire, Laurent Fabius a choisi le camp de gauche. Par conviction ou opportunisme ? Peu importe.
Voilà donc le point névralgique dans l’engagement de BHL. Le volet économique. Et une question qui vient à l’esprit, que l’on soit marxiste ou pas. Peut-on séparer les questions politiques des problèmes économiques ? Les deux sont-ils liés ou séparés ? La misère économique favorise-t-elle les dictatures et les totalitarismes ? Ou bien est-ce la richesse qui, poursuivie par les individus, engendre des tyrannies car l’économie a ses limites et que pour s’approprier les richesses dans des pays pauvres, la seule voie est de se constituer en caste, en cercle, en groupe, et d’exercer la mainmise par la force policière et militaire sur des populations qu’il faut rendre corvéable (cas édifiant de la Birmanie) ? Et dans les pays démocratiques et avancés, comme les Etats-Unis ou les nations européennes, la priorité n’est-elle pas dans le champ économique, pour réduire les inégalités et faire cesser ce pillage des richesses par des élites s’arrangeant entre elles pour légaliser leurs forfaits ?
En conclusion, BHL peut bien se réclamer de gauche, mais son combat semble bien limité et insuffisant. BHL se trompe d’enjeu. Quant à Bill Clinton, interviewé ce vendredi matin sur France Inter, il a reconnu l’actualité et l’urgence d’un retour à l’esprit du New Deal. Bref, une sorte de basculement semble de dessiner pour contrecarrer l’arrogance des élites économiques et financières. Il est donc temps de quitter la scène, M. Lévy, mais vous avez quand même droit à quelques espaces médiatiques pour faire votre promo et on ne vous en voudra pas, car vos combats ont été légitimes par le passé. D’ailleurs, Le Nouvel Obs s’est prêté au jeu. Ce journal a en effet besoin de repères.
83 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON